Maddyness : Comment est né le carve-out ou détourage ? 

Jean-Luc Allavena : Par la nécessité de rendre autonome une activité appartenant à un groupe et qui, pour des raisons économiques, stratégiques ou liées à son développement, va être cédée donc devenir une société indépendante, en dehors du groupe auquel elle a appartenu. Pour un groupe, revoir le portefeuille d’activités, décider des branches qui ne sont plus stratégiques et que l’on vend, cela existe depuis que les sociétés existent... Mais il y a 30 ans, les groupes industriels avaient trois solutions. Ils pouvaient vendre à un autre groupe - souvent complexe, source de tension ou de concurrence -, à un industriel qui ne connaissait pas le secteur - source d’erreur potentielle – ou réaliser une introduction en Bourse – ce qui n’est pas possible à tout moment et suppose de remplir beaucoup de critères financiers. La cession à un fonds d’investissement est devenue une vraie solution alternative. 

Les fonds de private equity figurent désormais parmi les investisseurs les plus actifs dans ces transactions. Quels sont les avantages pour chaque partie ?

Une opération de carve-out réussie doit permettre de satisfaire chaque partie en valorisant les actifs de l’entreprise, en développant sa croissance, en améliorant ses performances, et en créant de l’activité et de l’emploi. 

Les fonds d’investissement ont acquis des compétences qui offrent au vendeur de fortes chances qu’il n’y aura pas de problème ni de casse sociale. Un détourage doit être fait selon les règles de l’art. Statut social d’une entreprise, existence financière autonome, gestion du cash, système informatique autonome… Les chantiers sont nombreux, techniques et durent souvent des années. Par ailleurs, vendre à un fonds est un choix plus neutre. C’est une sorte de période de transition y compris pour les équipes dirigeantes et les salariés, qui deviennent actionnaires, avec un intéressement capitalistique. 

Pourquoi le mouvement s’accélère aujourd’hui ? 

C’est une tendance structurelle. Les groupes industriels voyaient les fonds d’investissement comme des financiers agressifs qui identifiaient des opportunités voire des proies à dépecer… Cela a freiné les opérations mais la perception a heureusement changé car la réalité est tout autre. Ils ont aujourd’hui de plus en plus recours à eux comme contreparties de ventes de leurs actifs car ils recherchent leurs compétences techniques et se sentent en confiance. Les ressources dans les fonds d’investissements se sont considérablement accrues, jusqu’à un trillion sous gestion pour certaines plateformes. On n’impose plus aujourd’hui à des entreprises que l’on rachète à des industriels des effets de levier qui peuvent les mettre en risque. 

Enfin, nous sommes des investisseurs pour une certaine durée (en moyenne 5 à 10 ans). Les groupes savent donc que l’actif structuré et amélioré reviendra ensuite sur le marché.

La période est propice ?

La demande a changé de côté. Aujourd’hui, les fonds sont appelés pour faire des opérations de détourage… Les principaux clignotants sont au vert. Dans des périodes économiques favorables, les groupes saisissent cette fenêtre pour faire des carve-out de sociétés non stratégiques dont ils tireraient le meilleur prix. Dans une période défavorable, ils le font pour se procurer de la ressource financière, déconsolider ou réduire leur dette.

Quelles sont les nouvelles stratégies qui montrent que le métier se réinvente ?

J’en vois une principale. L’industrie financière propose une palette de solutions de plus en plus complète afin de répondre aux besoins des entreprises. Qu’il s’agisse de capital primaire, structuré, hybride, dette, etc…le métier s’est considérablement sophistiqué et à grande échelle permettant ainsi de mieux rapprocher sociétés et investisseurs ou financeurs. Un groupe peut même éviter de vendre un actif tout en disposant de capital supplémentaire. C’est une tendance lourde des dernières années, comme le montrent certaines opérations récentes comme celle d’Air France-KLM (financement en quasi-fonds propres de 1,5 milliard d'euros suite à la signature le 26 octobre 2023 d'un accord définitif entre Air France-KLM et Apollo, ndlr).