La sémantique cache bien des gouffres. Cofondateur d’une startup, CEO d’une deeptech, vous ne vous désignez pas forcément comme « un patron de PME ». C’est pourtant ce que vous êtes, rappelle avec humour Emmanuelle Barbara, avocate en droit social, qui a créé le département dédié du cabinet August Debouzy.

« Les entreprises de 10 salariés ou moins ne sont pas concernées. Mais à partir de 11 salariés et jusqu’à 49, votre startup entre dans le champ de la nouvelle loi n°2023-1107 du 29 novembre 2023, qui elle-même reprend les propositions d’un accord national interprofessionnel conclu neuf mois plus tôt, le 10 février. Et cette loi est à respecter dès janvier 2025, autant dire que c’est demain… »

Dans un an, ces entreprises auront l’obligation de proposer un dispositif de partage de la valeur à leurs collaborateurs, pourvu qu’elles soient bénéficiaires, c’est-à-dire qu’elles aient réalisé un bénéfice net au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires, pendant trois années consécutives. Ce qu’on ne peut que leur souhaiter.

Quatre options possibles pour le partage de la valeur

Quel dispositif choisir ? Rassurez-vous, la réponse « ça dépend » n’est pas envisageable, dans la mesure où la loi prévoit les choses très clairement.

« Vous avez le choix entre quatre dispositifs, reprend l’avocate. La participation volontaire, qui permet de redistribuer une part des bénéfices. L’intéressement, une prime liée aux performances de l’entreprise. L'abondement de l'employeur à un plan d’épargne. Ou encore la prime dite « Macron », rebaptisée PPV (prime de partage de la valeur). »

L’intéressement et la participation ne datent pas d’hier : on les désignait autrefois sous le nom d’épargne salariale. « Pour autant, même s’ils ne sont pas sexys, ils fonctionnent très bien. Pourquoi réinventer la roue ? », se demande Virgile Raingeard, CEO de Figures, qui lui-même plaide en faveur de l’intéressement - et depuis plus d’un an déjà. « Personne ne comprend rien aux plans d’intéressement ni à leur mécanisme fiscal, mais c’est un super levier. J’en ai proposé un à vingt collaborateurs l’année dernière. J’ai choisi pour ma part un montant fixe - la même somme pour tout le monde - car je trouve cela plus égalitaire, mais d’autres optent pour un pourcentage du salaire. »

Parmi les autres formules possibles, on l’a vue, la PPV très utilisée ces deux dernières années, mais parfois « tordue » pour se substituer à une augmentation de salaires.

Au-dessus de 50, on entre en négociation syndicale

Et pour les entreprises qui ont franchi la barre des 50 salariés ? Certaines startups en phase d’hypercroissance peuvent passer de 10 à 50 ou 80 collaborateurs en seulement quelques mois.

La nouvelle loi est alors plus contraignante : « Attention aux plafonds. Si vous comptez plus de 50 collaborateurs depuis cinq ans continûment, reprend Emmanuelle Barbara, vous êtes assujettis à la participation obligatoire et si des délégués syndicaux existent dans l’entreprise, alors vous devez ouvrir des négociations avant le 30 juin 2024 pour définir ce que signifie “l’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal”, visée dans le texte de loi. Ceci, que vous ayez déjà un accord de participation ou pas. Et ensuite il faudra vous entendre sur les conséquences du constat de cette future augmentation exceptionnelle de bénéfice : il faut d’ores et déjà décider si ce constat ouvre droit à un supplément de participation ou à une négociation sur un tel supplément ou sur l’intéressement ou encore sur un abondement à un plan d’épargne ou une prime de partage de la valeur. Les choix sont multiples et obligent à se projeter à l’avenir. »

Le législateur a donc choisi de rendre obligatoire la négociation : il faudra s’entendre sur des critères et indicateurs-clefs, qui seront à la source de tout le nouveau dispositif concernant l’augmentation exceptionnelle de bénéfice.

Or, pour une startup en hypercroissance, définir une « augmentation exceptionnelle » est sans doute plus compliqué qu’il n’y paraît.

BSPCE et PPVE : à étudier, en option

Attention enfin aux BSPCE qui ont le vent en poupe (les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise) : ils s’appliquent dans les cas de création d’entreprise - il faut répondre à de nombreuses conditions -, mais n’entrent en aucun cas dans le cadre de la nouvelle loi. « Donner accès aux actions, c’est super, bravo, mais ça ne règle pas le sujet du partage de la valeur voulue par la dernière loi », résume Emmanuelle Barbara.

Même chose pour le nouveau PPVE (plan de partage de la valorisation de l’entreprise), un dispositif collectif déployé à titre expérimental pour cinq ans. « On s’approche d’un modèle où les salariés deviennent actionnaires - mais ce n’est pas le cas. C’est un dispositif plutôt malin, qui permet de fidéliser les collaborateurs puisqu’il s’active à partir de trois ans d’ancienneté, explique Emmanuelle Barbara. Mais il ne constitue pas la réponse aux exigences de la loi nouvelle en matière de partage de la valeur obligatoire pour certaines entreprises. »