Le terme “redressement judiciaire” reste à consonance négative dans l’imaginaire collectif. Pourtant, loin de signer la fin de l’histoire, ce type de procédures vise au contraire à marquer la pause qui permettra à l'entreprise de continuer. En effet, dans le cadre de procédures collectives, plusieurs issues positives existent, comme le plan de sauvegarde, qui consiste à la reprise de l’activité par l’équipe en place, ou la reprise des actifs par de nouveaux actionnaires dirigeants. 

« Ces procédures ne sont pas un gros mot, au contraire, elles existent avant tout pour protéger les entreprises et leurs salariés », commente Benjamin Bitton, associé chez 2C Finance, un cabinet de conseil financier opérationnel. « C’est un moment où l’on met les dettes en pauses et où l’on réfléchit avec un expert sur la façon dont l’activité pourrait continuer. J’ai plusieurs exemples de sociétés parmi nos clients qui ont connu ce type de procédures, qui ont su se réinventer et qui génèrent aujourd’hui un EBITDA positif », ajoute-t-il.

Le redressement judiciaire ne sonne pas la fin de l’histoire, au contraire

Si le placement en redressement judiciaire n’est pas synonyme d’une période agréable pour l’entrepreneur, il est loin de représenter le pire scénario. « Plus les entrepreneurs prennent conscience tôt qu’ils vont dans le mur, plus ils peuvent anticiper et utiliser les mécanismes et procédures de sauvegarde à leur disposition. Mieux vaut débuter cette période rapidement, car quand une société est acculée, ses chances de réussite sont beaucoup plus faibles », alerte Benjamin Bitton. « Si on se casse une jambe, plutôt que d’ignorer la fracture, il vaut mieux être immobilisé quelque temps et se soigner afin d’éviter des séquelles trop importantes », compare-t-il.

Pour s’en sortir suite à un placement en procédure, quel qu’en soit le stade, il est aussi important de bien se faire accompagner. « Le rôle de l’entrepreneur est de faire croître sa société, de recruter, etc..il n’est pas forcément la bonne personne pour gérer les crises, dans la plupart des cas, il devra faire appel à une personne externe », conseille Benjamin Bitton. Dans tous les cas, il invite les entrepreneurs à se faire accompagner de personnes dont ces phases sont le métier comme les CFO et les mandataires judiciaires. 

L’entrepreneur, lui, doit maintenir la relation avec ses fournisseurs, ses banques, etc.. « En général, les banquiers vont être plus favorables au rééchelonnement de la dette d’un client qu’ils connaissent bien et avec qui ils sont en contact régulier », commente Benjamin Bitton.  Il encourage aussi les entrepreneurs à accepter le temps long. « L’entrepreneur et ses équipes vont vivre des moments de stress au quotidien, mais la procédure sera longue, il faut accepter que la restructuration de la dette va prendre plusieurs mois et être patient », souligne-t-il.

Une histoire relativement nouvelle pour l’écosystème startups

Relativement récent, l’écosystème startups connaît encore mal cette phase. Mais aujourd’hui, à l’image de Cityscoot ou Masteos, les startups ont bien fait leur entrée dans la liste des sociétés à reprendre, consultable sur le site du greffe du tribunal de commerce de Paris par exemple

Masteos, placé en redressement judiciaire en janvier dernier, a déjà reçu trois offres de reprise. Il est peut-être encore trop tôt pour confirmer l’issue positive de certaines startups passées par la case redressement judiciaire, mais un autre cas de figure intéressant est celui d’entreprises plus anciennes reprises par des acteurs de l’écosystème startup.

C’est le cas de Cours Legendre, marque historique du soutien scolaire, reprise à la barre en janvier 2023 par Naël Hamameh et Jean de La Porte, deux entrepreneurs de la tech, reconnus pour leur succès dans la modernisation de marques et secteurs historiques (fondateurs de LeCiseau, acquis par Boosky après son rapprochement avec Kiute).

Plusieurs repreneurs, dont Acadomia, s'étaient portés candidats, mais c'est leur offre qui a été choisie. « Par rapport à Acadomia, qui allait intégrer les équipes, nous étions en position de sauvegarder la quasi-totalité des emplois. C’est un critère majeur dans le choix du repreneur. Un choix pour lequel l’avis des salariés est aussi important », confie Naël Hamameh.

La reprise, une alternative à la création

Suite à leur exit, les deux entrepreneurs souhaitaient s’engager dans une nouvelle aventure entrepreneuriale et ont finalement préféré reprendre une activité existante. « Reprendre une activité existante permet de s’appuyer sur une marque établie, des actifs, mais aussi et surtout de sauver des emplois. D’autre part, nous étions intéressés par l’éducation et comme nous avions peu d’expérience sur le sujet, cela nous a semblé plus judicieux de s’appuyer sur des actifs et des expériences existantes », partage Naël Hamameh.

S’ils visaient au départ une activité rentable, ils se sont finalement intéressés aux sociétés en redressement judiciaire. « Dans le cas de Cours Legendre, l’ancienne société a été liquidée, nous avons repris certains actifs, mais pas la dette. J'encourage tous les entrepreneurs à considérer l’option de la reprise. Non seulement, on maintient des emplois, mais, pour les repreneurs, commencer d’emblée avec un product market fit, des clients et une équipe peut faire gagner beaucoup de temps. Le tout pour des sommes qui peuvent être relativement modestes », avance Naël Hamameh.

Les deux entrepreneurs appliquent des réflexes acquis pendant leurs années d’expérience en startups. Simultanément à la reprise, ils mènent un tour de table de 1,5 million d’euros, auquel ils participent personnellement aux côtés de certains de leurs anciens actionnaires et du Fonds du Bien Commun. « Nous avons baigné dans l’écosystème startup, nous avons donc des réflexes, des outils et des modes de management qui viennent de ce monde. L’idée est de garder l’essence et les métiers historiques, tout en modernisant le fonctionnement », partage Jean de La Porte.

Une rencontre entre deux mondes, qui pour le moment semble concluante. « Nous avons mené un important travail sur la baisse des coûts et nous nous sommes concentrés sur l’augmentation du chiffre d’affaires. C’est un peu tôt pour annoncer des chiffres, car nous n’avons pas encore bouclé une année comptable complète, mais nous avons en moyenne 10 à 20% de croissance sur les différentes activités », conclut Jean de La Porte.