Maddyness : Quelle est la situation d’I/O Média aujourd’hui ?

Albin Serviant : Le groupe est entré en période d’observation le 25 octobre dernier, et depuis, les résultats sont plutôt bons. Ils nous permettent de préparer la suite plus sereinement. Sur le dernier trimestre 2023, nous avons commencé à voir le plein effet des optimisations et de la réorganisation que nous avions lancée dès le début de l’année, mais les perspectives de trésorerie ne nous laissaient pas d’autre choix que de demander la protection du tribunal de commerce. Depuis le 25 octobre, la dette du groupe est donc gelée, mais l’exploitation est positive.

M : Quelles sont les prochaines étapes maintenant, alors que le tribunal a reçu plusieurs offres de reprise ?

A.S : Plus que jamais, j’ai la flamme et l’envie de passer ce choc. D’où mes discussions avec des actionnaires actuels et nouveaux pour obtenir les moyens de continuer. Mon souhait n’est pas de vendre des titres, au contraire, j’ai la volonté de garder le même périmètre. Oui, il y a eu des offres déposées devant le tribunal, mais elles ne sont pas du tout au niveau de la qualité des actifs, à mon sens. Ce sera au juge de décider, au regard du plan de continuation que nous allons lui proposer et de ses différents critères - la sauvegarde de l’emploi venant en tête.

M : En quoi consiste le plan de continuation que vous proposez ?

A.S : Il s’appuie sur un business plan actualisé en fonction de l’état du marché - qui reste difficile - avec un plan de trésorerie et des hypothèses sur le traitement de la dette. La stratégie repose sur la poursuite de la montée en gamme de nos magazines « millesimés » et les diversifications, accompagnées de la baisse pilotée de la diffusion, qui nous a déjà permis de baisser nos coûts et d’augmenter notre Ebitda pendant la période d’observation. Les ventes se sont redressées en fin d’année.

La prochaine étape est de convaincre les administrateurs judiciaires de la viabilité de notre plan, pour solliciter ensuite une audience auprès du juge. En théorie, la période d’observation dure au maximum six mois - ce qui nous amène au 25 avril - mais elle est renouvelable une fois. Néanmoins, j’ai la volonté d’accélérer les choses, sur la base de nos bons résultats de fin 2023. La situation est anxiogène pour les salariés qui ont fait preuve d’une grande résilience. Plus vite on sortira de la procédure, mieux c’est pour l’activité.

M : Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur confronté à une telle situation ?

A.S : De prendre les devants. Souvent, par manque de connaissance, les entrepreneurs n’anticipent pas ces situations. De nombreux outils peuvent donner de l’air à une société en difficulté, à commencer par les mandats ad hoc ou les plans de sauvegarde. Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut utiliser tous les leviers qui existent. Plus tôt on se tourne vers les procédures collectives, mieux c’est !

Une fois le choc de l’entrée en redressement judiciaire passé, on se rend compte qu’il y a des gens pour vous aider et des outils qui n’étaient pas accessibles plus tôt, notamment pour renégocier la dette. Les procédures collectives sont très mal connues en France, elles ont mauvaise presse et s’avèrent anxiogènes, alors qu’aux Etats-Unis, le Chapter 11, leur équivalent, est davantage ancré dans les habitudes. Il y a donc déjà un vrai travail de pédagogie à faire. Le redressement judiciaire peut vraiment donner des moyens pour reprendre du souffle pour la suite.

M : Pourtant, en plus du signal qu’elles envoient, ces procédures sont souvent critiquées pour leur coût important…

A.S : Oui, les coûts sont significatifs. Un administrateur judiciaire a un coût, un mandataire judiciaire aussi, les conseils également… Mais après, c’est souvent ça ou la liquidation. D’où aussi l’intérêt d’anticiper le plus possible, quand on a encore un peu de cash pour financer ces procédures.

M : Avec le recul, qu’est-ce qui vous a amené dans cette situation ?

A.S : Je ne suis pas milliardaire et je ne viens pas des médias, mon passé était plutôt dans la French Tech. Il s’agit d’un projet de transformation plus qu’un projet de presse. J'ai racheté Têtu au tribunal de commerce en mai 2018, puis Opéra Magazine en 2021. L’opportunité de constituer un build-up de marques média de niche s’est présentée en 2022 avec The Good Life et Ideat, dont le modèle avait été mis en difficulté par le Covid et la crise des kiosques.

Avec Têtu, on repartait d’une page blanche, avec Ideat et The Good Life, on reprenait une quarantaine de personnes, avec des expertises pointues. Créer un fit culturel, ça prend du temps. 2023 a été un accident de parcours. Le rachat de Ideat et The Good Life a été plus difficile que prévu, à cause de la hausse du prix du papier et de la baisse du marché publicitaire. Bref, on a manqué de cash.

M : Comment voyez-vous la suite pour les marques du groupe ?

A.S : Maintenant que la réorganisation est bien enclenchée, nous nous concentrons sur les diversifications de toutes les marques. Ideat va fêter ses 25 ans et nous avons de nombreuses idées pour marquer l’événement. The Good Life va avoir son think-tank - sur le modèle de celui de Têtu - consacré à la ville de demain, avec un événement annuel à Biarritz, l’organisation de débats régulièrement et la réalisation d’études. Nous allons aussi développer les hors-séries et créer une agence-conseil transverse, autour du mieux vivre ensemble. Le groupe compte 45 personnes aujourd’hui et il y aura des départs dans le cadre de la procédure actuelle et de la réorganisation à venir, mais l’objectif est de garder un maximum de collaborateurs.