La présence de Fabrice Brégier, Président de Palantir Technologies - France et ancien PDG du Groupe Airbus, en tant qu'invité d'honneur du dîner du 6 février du Cercle Humania, promettait des échanges intéressants. Le thème de la soirée : l'émergence de l'intelligence artificielle.

Fort d'une expérience de plus de vingt ans dans le domaine aérospatial, et aujourd'hui président de Palantir France, acteur leader de la big data, Fabrice Brégier est revenu sur le thème "L'entreprise de demain à l'épreuve de l'IA". Il a soulevé des questions cruciales sur l'impact de l'intelligence artificielle sur les compétences et les métiers, la gouvernance des données à mettre en place, ainsi que le rôle des entreprises dans cette transformation majeure, et notamment celle des Directeurs de Ressources humaines, qui composaient en grande partie l’assemblée. « L’apparition de l’IA est un changement majeur pour l’ensemble des personnels de l’entreprise et vous serez au premier rang », a-t-il affirmé en introduction.

Une histoire de cols blancs, sans alternative

Il n’y a pas d’alternative. C’est le message que Fabrice Brégier a tenu à faire passer, appuyant son propos sur une récente étude du Fonds Monétaire International qui a mis en évidence un constat alarmant : dans les pays développés, 60 % des emplois sont susceptibles d'être impactés par l'intelligence artificielle. « C’est déjà beaucoup. Mais je pense qu’en réalité c’est plus que ça. En contraste, dans les pays en voie de développement, seuls 26 % des emplois sont concernés. Cette disparité met en évidence que cette révolution technologique touche principalement les emplois qualifiés, englobant ainsi une grande partie des postes en France et dans toute l'Europe. Il est à craindre que ces avancées ne fassent qu'accentuer les inégalités, car les emplois valorisés par l'intelligence artificielle creuseront davantage le fossé », a-t-il analysé.

« Les professions à caractère répétitif seront les plus vulnérables. La radiologie illustre parfaitement cette tendance. Parallèlement, avec l'avènement de chatbots de plus en plus performants, les centres d'appels sont également voués à disparaître. Les métiers d'interprète et de traducteur ont, pour leur part, déjà quasiment disparu », a-t-il énuméré. Il a également rappelé que les métiers administratifs ne sont pas épargnés, offrant ainsi au gouvernement français une opportunité sans précédent de mener une transformation profonde et efficace. Néanmoins, il a tenu à rassurer les sceptiques en affirmant que « la suppression des tâches ne sera pas systématique, mais tout sera simplifié ».

Facilitatrice décisionnelle et moteur de transformation

Devant l'audience largement composée de DRH, Fabrice Brégier a surtout tenu à souligner le rôle crucial de l'intelligence artificielle en tant qu'aide décisionnelle. « Elle offre aux décideurs toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions en temps réel, voire les anticiper. C'est particulièrement utile en période de crise ou de transformation, notamment lorsqu'il s'agit de réajuster le planning de production d'un avion. Auparavant, avec des outils performants, cela prenait trois mois, une période durant laquelle les conditions du marché évoluaient. Désormais, les opérationnels ont accès au temps réel », a-t-il analysé.

Par ailleurs, il reconnaît que l'intelligence artificielle est en elle-même un véritable moteur de transformation, dont il aurait aimé disposer lors de moments clés de son expérience chez Airbus : « J'ai mené deux transformations majeures. La première a consisté en une restructuration / réorganisation, la seconde a porté sur le lead manufacturing, très en vogue dans les années 2000. Ces périodes n'étaient pas dépourvues de défis et étaient parfois associées à des réductions d'effectifs. La communication n'était pas toujours aisée et nous avons dû faire face à une certaine réticence syndicale, craignant une surveillance excessive. »

Communication et formation clés de l’acceptation

Rappelant que la transformation digitale est aujourd’hui le pilier de la productivité et que ceux qui n'opèrent pas ce changement courent un véritable danger, il a partagé plusieurs conseils pour embarquer le plus grand nombre notamment en matière de communication et de formation. « Qu'ils soient ouvriers ou ingénieurs, tous ont déjà un certain degré de familiarité avec l'intelligence artificielle dans leur vie privée. Pour que son adoption soit efficace sur le plan opérationnel, il est impératif d'expliquer clairement la nature de la transformation en cours », a-t-il souligné. Il a ainsi encouragé les directeurs des ressources humaines présents dans la salle à quasiment systématiser l'orientation de la formation vers la transformation digitale des métiers. « En démystifiant et en rendant ces technologies plus accessibles, vous permettrez à vos collaborateurs de monter en compétences, ce qui est essentiel pour garantir leur pleine adhésion », a-t-il déclaré, suggérant de mettre l’accent sur les formations en mesure de rassembler des fonctions et des profils différents mais toujours sur des cas d’usages opérationnels.

Il reconnaît qu'à l'instar des ouvriers pendant la révolution industrielle, la crainte du remplacement massif est inévitable et légitime, mais il souligne que l'histoire a largement démontré que les entreprises prospères sont celles qui ont su tirer le meilleur parti de la robotisation en s'appuyant sur les compétences techniques des travailleurs. « Cette fois la crainte viendra des corps de métier qui auront le sentiment d’être plus intelligents », a-t-il affirmé.

Un éclairage précieux sur les enjeux de demain en matière de ressources humaines et de technologies émergentes. Rendez-vous est pris pour le 26 mars prochain pour une nouvelle édition du Cercle Humania.