« L’Agritech a été mise dans les mains des agriculteurs mais n’a pas réussi à changer leur vie économique. Elle a simplifié leur travail mais ils restent en difficulté », lance d'emblée Cyril Bertrand, managing partner chez XAnge. Le tracking, les outils météo, les logiciels ERP, la robotique… Selon l'investisseur, la technologie a augmenté les rendements des productions de 5 à 10%. « Pour avoir un impact fort, il faudrait que les revenus croissent au moins de 50% », estime-t-il. La technologie peine, économiquement notamment, à rivaliser avec le soleil et la terre comme en témoigne l’exemple de la startup Infarm qui mise sur l'agriculture verticale. « C’était une licorne, mais elle diminue », affirme Cyril Bertrand. Certains concepts apportent toutefois une réponse au secteur comme la place de marché Agriconomie, utilisée chaque mois par 85% des agriculteurs français, ou encore C’est qui le patron qui apporte une rémunération juste.

« Ce qui marche, ce sont les sujets difficiles et ambitieux qui intègrent l’ensemble de la chaine de valeur et peuvent avoir un impact sur la rémunération des agriculteurs », explique Cyril Bertrand. Pour opérer les changements attendus, plusieurs facteurs doivent inévitablement être pris en compte comme le souligne Anne-Valérie Bach, managing director chez Capagro. « Les cycles sont longs avec une récolte annuelle. Ce facteur temps reste incompressible. Il faut être sélectif, choisir les solutions pertinentes. La tech a alors sa place dans la transition agricole. » Elle estime que la technologie peut non seulement répondre aux enjeux écologiques, en contribuant à réduire les intrants dans les sols, mais aussi aux enjeux économiques, en améliorant les rendements et en résolvant les problèmes de main d’œuvre. « C’est un problème qui touche aussi bien nos pays développés que les pays en développement. Dans un secteur qui compte une population particulièrement vieillissante, les innovations peuvent éviter que l’on arrête certaines productions faute de personnel. »

Les agriculteurs ont besoin d'investisseurs patients

Ancien agriculteur, conférencier et auteur de "Cultivons l’avenir ensemble" et d’"Un monde sans faim" à paraitre prochainement, Hervé Pillaud insiste sur le rôle des investisseurs. « Les taux de rentabilité sont différents dans l’agriculture par rapport au numérique par exemple, avec des marges faibles. Toutefois, cela reste un secteur sûr d’investir dans la terre. » Partisan d’une industrialisation agricole pour rationaliser les process, Hervé Pillaud compte sur l’implication des fonds pour imaginer de nouvelles solutions. « Nous devons miser sur une agriculture intensive en connaissances, nous sommes désormais en capacité d’agréger les données, de réaliser des jumeaux numériques du sol ou d’un animal mais cela demande d’investir dessus, de démarrer maintenant en acceptant le temps nécessaire. »

Tous s’accordent à dire qu’il reste des choses à faire. Les tentatives de disruption de l’agriculture n’ont pas encore abouti pour Cyril Bertrand de XAnge. « Il y aura l’émergence d’une deuxième génération qui s’appuiera sur les échecs et les réussites. C’est un sujet essentiel donc il connaitra à coup sûr une deuxième vague. » Anne-Valérie Bach dresse le portrait d’un secteur connecté. « Le monde agricole est moins rétrograde que certains l’imaginent. Il est demandeur d’innovations pertinentes tant sur le plan économique, qu’agronomique et environnemental, car il joue sa survie. » Dressant un portrait plus large de la problématique, Hervé Pillaud pointe du doigt les ralentisseurs à l’innovation. « On reste plus dans l’incrémental qui améliore l’existant, plus que dans la disruption, freinée par les ONG ou peu soutenue par les politiques qui mettent l’innovation dans les discours mais peu dans les actes. » Si la technologie a son rôle à jouer, elle ne pourra pas seule transformer le secteur et les pratiques.