Pour tout dirigeant d’une startup, calculer correctement sa valorisation est un préalable indispensable avant de démarcher des investisseurs pour une levée de fonds. L’enjeu est de taille. Il s’agit en effet d’un indicateur clé pour les investisseurs du potentiel de croissance future et dans la perspective de l’exit. Et s’il est impossible de faire une estimation à l’euro près, attention à ne pas sous ou survaloriser !

Il s’agit en effet d’être crédible face aux investisseurs et ne pas se tirer une balle dans le pied. « Une valorisation élevée ou injustifiée, c’est dangereux pour le fondateur et la pérennité de l’entreprise. Les fonds acceptant des valorisations artificielles introduisent en effet de plus en plus dans les pactes des clauses de liquidations préférentielles (afin de récupérer leur argent quelle que soit la valorisation et un rendement défini d’avance) ou des clauses de ratchet, mettant en péril les levées suivantes… », note le serial entrepreneur Charles Cabillic, cofondateur du fonds Epopée Gestion.

A chaque stade sa méthode…

Traditionnellement, les entrepreneurs et les investisseurs utilisent plusieurs méthodes de valorisation pour estimer la valeur d’une société en fonction de sa maturité, de son secteur d’activité, de son chiffre d’affaires ou encore de sa rentabilité. Notamment la Discounted Cash Flows (DFC) ou l’actualisation des flux de trésorerie, permettant de déterminer indirectement ce que va dégager la société ; la méthode des multiples de transactions comparables, basée sur les opérations de levées de fonds et de cessions déjà effectuées par un panel de sociétés relativement proches ; ou encore la méthode des multiples de comparables boursiers (avec l’avantage que les sociétés cotées en Bourse ont l’obligation de publier leur chiffre d’affaires et leur valorisation à l’instant t…).

« Une médiane des différents résultats permet d’obtenir la valorisation la plus fiable pour des sociétés de taille mature », explique Marc Forestier de Kickston, une banque d'affaires qui accompagne les entrepreneurs dans les levées de fonds et opérations de M&A.

Concernant les startups en particulier, mieux vaut adopter la méthode des comparables. « À partir de la série A, on regarde plutôt les multiples de transactions comparables, la méthode de la DCF étant valable à partir de la série C », ajoute Marc Forestier.

Concrètement, il s’agit alors de sélectionner un échantillon d’entreprises comparables ayant fait l’objet d’une acquisition dans les précédentes années (il existe des bases de données comme Pitchbook), de voir combien d’argent elles ont levé et à quelle valorisation. Ensuite, il s’agit de calculer des multiples pour chacune des entreprises comparables qui constituent les échantillons (par exemple, on obtient un multiple de chiffre d’affaires en divisant la valorisation par le chiffre d’affaires) et de les appliquer à sa société avec une simple règle de trois… Pour se faire une idée de ces multiples, les experts conseillent aux entrepreneurs de consulter, dans un premier temps, l’étude annuelle des valorisations et des levées de fonds de la banque d’affaires Avolta Partners, qui fait référence en France et en Europe, même si ce ne sont que des moyennes.

Quel multiple privilégier ?

« Les multiples ne sont pas les mêmes en fonction des segments d’activité et du business model. Il y a des industries où l’on regarde plutôt en multiple de CA ou d’ARR (Annual Recurring Revenue) comme la Tech (avec un ratio est de 3 à 5). Dans d’autres secteurs (consommation, mode, food, etc.), on privilégie le multiple d’EBITDA soit le résultat d’exploitation (avec un ratio de 8 à 10) », précise Marc Forestier.

Par exemple, « les startups tech de software se valorisent généralement entre 4 fois et 20 fois les revenus annuels récurrents (ARR) en fonction de différents paramètres (croissance, domaine, société à l’international ou pas, actif technologique unique et différenciant) », note Corentin Orsini fondateur de Super Capital, spécialisé dans l’early stage en Europe.

D’autres indicateurs sont utiles. Charles Cabillic suit ainsi le taux de croissance. « C’est un concept américain qui ajoute le pourcentage d’EBITDA au pourcentage de croissance annuelle du chiffre d’affaires de la startup. Le taux de croissance, qui définit le multiple de la valorisation, est un bon indicateur de création de valeur. Grosso modo, si vous avez un taux de croissance à 15 %, vous allez avoir un multiple de CA autour de 2 ou 3 fois le chiffre d’affaires… »

C’est plus compliqué pour les startups early stage

Pour les startups early stage, qui ne génèrent pas encore de revenus, en pré-seed ou seed, le calcul de la valorisation est encore plus épineux. « Il n’y a pas encore de chiffre d’affaires, donc appliquer un multiple est compliqué. Les investisseurs se basent alors pour valoriser la société sur un mix entre différents éléments : le potentiel de marché de la société et l’historique des entrepreneurs. »

Les investisseurs seront plus à même de mettre de l’argent au pot si les entrepreneurs ont performé par le passé et s’ils « sortent d’un accélérateur, incubateur ou startup studio très prestigieux comme le Y Combinator en Californie, la référence ultime... », rappelle Corentin Orsini, qui liste également parmi les indicateurs la R&D et la croissance du nombre d’utilisateurs, même gratuits.

Les experts regardent aussi la dilution cible et la valorisation acceptable par tous. « La dilution lors d’un premier tour de table est entre 15 % et 23 % et entre 15 et 20 % en moyenne en pré-seed/seed. L’idée est de trouver une dilution qui permet d’indexer tout le monde sur la création de valeur future de la société », indique Marc Forestier.

Bien évidemment, tout dépend du contexte. « Depuis deux ans, il y a vraiment un marché à deux vitesses. Pour 80 % des startups, il est difficile de lever de l’argent, les valorisations sont revues à la baisse, le temps de closing est plus long, elles vont lever moins d’argent. En revanche, 10 % à 20 % des startups sont dans une bulle artificielle car elles attirent beaucoup plus d’investisseurs que ce qu’elles ont besoin et dictent leurs règles, elles peuvent se valoriser presque au prix qu’elles veulent, le tour de table est sur-souscrit, il y a plus d’investisseurs que de place autour de la table. C’est le cas de la levée récente de Mistral AI, la plus représentative », analyse Corentin Orsini.