«Démontrez-nous que vous savez faire rapidement et pour pas cher», voilà le message de Philippe Baptiste, président du Cnes (Centre national d'études spatiales), aux quatre entreprises de lanceurs sélectionnées pour répondre à des contrats publics. En visite sur la base spatiale de Kourou en Guyane aux côtés du président de la République, le Cnes annonce soutenir des entreprises innovantes dans les mini-lanceurs : MaiaSpace, Sirius, Latitude et HyPrSpace. Elles sont en train de signer des contrats de commandes publiques avec le Cnes pour un montant total de 400 millions d’euros. 

«C’est un vrai changement de paradigme», insiste le président du Cnes. «L’industrie européenne du spatial est en danger. Il faut bouger rapidement.» Bouger rapidement et faire émerger des entreprises innovantes qui deviendront les champions européens de demain. «La coopération européenne est centrale, il faut qu’on soit unis à la fin autour des futurs projets. Mais pour faire émerger des choses, il faut qu’on accélère», martèle Philippe Baptiste. 

Concurrencer SpaceX et Blue Origin

Latitude, startup rémoise, développe une fusée pour envoyer dans l’espace des satellites de moins de 200kg et fait partie des pépites sélectionnées par le Cnes. 

«C’est la combinaison de beaucoup de jalons techniques passés et réussis depuis les dernières années», se félicite Stanislas Maximin, PDG de Latitude. «On apporte un service de lancement à très haute fréquence, avec 50 lancements par an, et à des prix très compétitifs.» Les clients de Latitude seront principalement des startups qui ont besoin de constellations de satellites pour faire de la communication -entre objets connectés par exemple- ou de l’observation de la Terre. 

Ce contrat public est une opportunité majeure pour Latitude. La startup a pour objectif de finaliser le développement et la construction de sa fusée cette année. Fin 2025, elle vise sa première tentative de lancement depuis le centre spatial de Kourou. «C’est une aide financière dans le développement, c’est une marque de confiance extrêmement importante et c’est très important également pour les investisseurs privés», explique Stanislas Maximin. Ce sera un boost dans la commercialisation du service de Latitude, notamment à l’étranger. 

«Concentrons-nous sur toutes les ressources que nous pouvons apporter aux nouvelles entreprises, aux startups, particulièrement dans le secteur des lanceurs, stratégique pour la France. Pour pouvoir, d’ici 10 ans, ressortir avec une entreprise qui pourra entrer potentiellement en compétition avec SpaceX», encourage le patron de Latitude. C’est bien cela l’enjeu aujourd’hui pour le Cnes et l’Esa (Agence spatiale européenne). «On peut faire certaines choses beaucoup plus rapidement et directement en faisant confiance à des entreprises», valide Philippe Baptiste.

Changer de paradigme pour changer de rythme

Cette commande publique fait donc confiance aux pépites françaises pour accélérer. L’enjeu est aussi de sortir des contraintes du «retour géographique» de l’investissement européen : quand un pays investit un euro, il doit avoir un retour sur investissement par un contrat industriel d’un euro sur son territoire. «On arrivera jamais à faire décoller le spatial européen comme ça ! Ce n’est pas le bon rythme !», martèle le président du Cnes. 

Un constat partagé par Alexandre Mangeot, co-fondateur et CEO de HyPrSpace, startup également sélectionnée. «L’Esa veut changer de paradigme, développe-t-il. Ces contraintes posent des gros soucis de développement et au-delà. Aujourd’hui, cela pose un problème d’accès à l’espace et de souveraineté.» HyPrSpace propose un service de mise en orbite via une innovation dans la propulsion. «C’est une très bonne nouvelle qu’on soit sélectionné parce qu’on pourra concourir au niveau européen dans les prochaines années quand il faudra donner suite au projet Ariane 6», se projette déjà Alexandre Mangeot. 

400 millions d’euros sont consacrés à ces premiers contrats, jusqu’aux premiers vols : entre 2026 et 2028 selon les projets. C’est un premier pas pour encourager l’innovation française et la propulser au niveau européen et mondial. «Ce qu’on est en train de faire là avec les lanceurs, détaille Philippe Baptiste, il faut le faire absolument sur tous les secteurs du spatial qui s’y prêtent.» 

«Quand je vois la vitesse de développement, l’agilité de certaines entreprises à l’étranger, il faut faire la même chose en Europe», encourage le président du Cnes. «On a toutes les compétences techniques !» Ce changement de paradigme est bienvenu pour les entreprises innovantes du spatial. Les investisseurs privés, qui représentent 20 % de l’argent investi, ont aussi un rôle à jouer. Notamment lorsqu’on compare les montants investis : le gouvernement américain injecte 70 milliards par an dans le spatial. L’Europe tout compris, c’est 8 milliards par an.