De nombreuses données, dont celles d’Adam Street Partners, montrent qu’au sein d’un portefeuille, seuls 20% des investissements vont délivrer pour l’ensemble. Ces entreprises les plus performantes vont permettre aux fonds de VC de mettre en place une stratégie de création de liquidités pour garantir la restitution du capital aux LPs (Limited Partners). Pour Corentin Orsini, cofondateur de Super Capital, 60% des participations vont détruire de la valeur, 30% vont délivrer un rendement entre x1 et x2 et 10% vont vraiment performer. C’est en sortant au fur et à mesure de cette dernière catégorie que la liquidité va se créer.

« Jusqu’à présent, de nombreux fonds de VC avaient tendance à garder les top performers le plus longtemps possible pour aller toujours chercher de la performance supplémentaire », partage Xavier Lorphelin, cofondateur de Serena. Une approche qui présente des limites, car elle retarde le moment de redistribuer aux investisseurs et ajoute du risque au portefeuille. « On ne sait jamais ce qui peut advenir des top performers, les trajectoires de croissances ne sont pas linéaires, des facteurs exogènes, comme la crise du Covid, peuvent impacter négativement ces trajectoires », confie Xavier Lorphelin. 

Sortir, au moins partiellement, en série B

Chez Serena, la stratégie est claire. Le gérant sort dès qu’il le peut des sociétés les moins performantes. « Pour certaines sociétés, nous avons des discussions ouvertes avec les fondateurs et nous réfléchissons assez vite à des sorties industrielles plutôt qu’à des nouveaux tours de table », commente Xavier Lorphelin. À l’autre bout du spectre, Serena cède une partie de ses participations dans les meilleures sociétés sur le marché secondaire. Une stratégie qui permet de dérisquer des lignes, de créer de la liquidité, mais aussi de faire entrer des investisseurs plus late stage. « C’est une stratégie qui marche pour les sociétés performantes et visibles, celles qui attirent l’œil d’investisseurs plus late stage qui n’ont pu y rentrer faute de nouvelle augmentation de capital », explique Xavier Lorphelin.

Beaucoup d’avantages, pour une stratégie qui implique de bien savoir qualifier ses participations. « Tout est une question d’arbitrage. En early-stage, on investit très tôt dans la vie des entreprises, et donc mécaniquement, on surpaye toutes les startups. Il faut donc ensuite que la croissance soit suffisamment importante pour rattraper ce surprix. Au bout de quelques années de détention, il faut se demander si on a suffisamment rattrapé la valeur et si la part la plus importante du potentiel de progression est devant nous ou derrière nous », explique Corentin Orsini. « En général, nous rentrons en pré-amorçage ou en amorçage. Nous suivons dans les meilleures boites en bridge, pré-série A ou série A, et quand c’est possible, nous sortons, au moins partiellement, en série B. Cela nous donne un peu de liquidité et nous permet de rester positionné en cas de très beau succès », poursuit-il. 

« Le vrai métier d’un VC est de gérer des fonds, ce n’est pas seulement d’investir dans des startups », résume Xavier Lorphelin. Pour lui, cette stratégie de sortie progressive nécessite tout de même de détenir une part du capital suffisamment importante. C’est le cas de Serena qui investit toujours en lead et détient en moyenne entre 10 et 15% de ses sociétés. Le VC a par exemple déjà réalisé deux opérations de secondaire sur Dataiku. La première en 2019, avec CapitalG, le fonds corporate de Google, et la seconde en 2021, avec notamment Eurazeo, Dawn Capital et Lightrock.

Le DPI, un indicateur qui revient sur le devant de la scène

Pour s’assurer de rendre la liquidité aux investisseurs, le ratio DPI (Distribution to Paid-In) est un outil majeur. Cet indicateur de performance est calculé en divisant les distributions reçues par le capital investi. « Évaluer une entreprise uniquement sur la base de ses performances peut conduire à préférer la conserver le plus longtemps possible. Cependant, notre priorité est de fournir des liquidités aux investisseurs, en leur rendant le capital avec des performances constantes », souligne Xavier Lorphelin. « Nous avons toujours regardé le DPI, mais avant, l’indicateur qui primait était le TVPI (Total Value to Paid-In Capital), un multiple qui représente la valeur totale du fonds par rapport à la valeur des investissements réalisés. Le TVPI additionne donc de la performance effective et de la performance potentielle, là où le DPI se concentre sur la performance effective », poursuit-il.

Jusqu’à présent, LPs comme GPs avaient en effet tendance à se focaliser sur le multiple du portefeuille (MOIC, multiple on investment capital). Aujourd’hui, bien que cette mesure soit toujours suivie de près, les produits réalisés et les montants distribués aux investisseurs sont devenus encore plus importants. « La crise du Covid a brouillé les pistes, car de très nombreux gérants affichaient des performances gonflées par les niveaux des valorisations. Aujourd’hui, les choses sont un peu revenues à la normale, et les investisseurs sont également très attentifs à un autre indicateur, le DPI, qui correspond au ratio d’argent rendu par le fonds par rapport à ce qui a été appelé. On en parlait moins, mais aujourd’hui c’est un indicateur que nous valorisons énormément », explique Rudy Chappe, directeur des investissements chez Flexstone, investisseur du groupe Natixis IM.

Le DPI se calcule chaque année. « Les cessions commencent en général au bout de cinq ans, quand le portefeuille est suffisamment mature. Notre objectif est donc d’atteindre un DPI de 100% entre les années 8 et 9 », partage Xavier Lorphelin. Pour la société de capital-risque Super Capital, les choses fonctionnent un peu différemment. La société propose à des investisseurs individuels d’investir dans des startups via des véhicules collectifs diversifiés. Ce type d’investisseur ne va généralement pas regarder le DPI, indicateur dont il est peu familier, mais plutôt le TRI (taux de rentabilité interne, soit le rendement généré) ou les multiples effectifs. Néanmoins, les priorités du fonds sont les mêmes et dès la cinquième année d’investissement, Super Capital donne de la liquidité à ses investisseurs, cette liquidité provient des dividendes issus des plus-values de cession. « Au bout de cinq ans, on soustrait les faillites aux exits, et s’il reste du capital et d’éventuelles plus-values, nous le distribuons aux investisseurs en récupérant au passage notre carried interest », partage Corentin Orsini.