Si le terme d’intelligence artificielle a été désigné mot de l’année par le dictionnaire Collins, c’est parce que la technologie est en train de bouleverser la société mais aussi les rapports de force entre les pays. Pour y voir plus clair, France Digitale vient donc d’éditer l’étude « Des puces aux applications, l’Europe peut-elle être une puissance de l’IA générative ? » afin d’en décrypter les forces et faiblesses, mais aussi les pistes de développement.

« À tous les étages, il y a des pépites européennes qui tirent leur épingle du jeu mais peu sont à plusieurs endroits de la chaîne à la fois. Donc l’enjeu aujourd’hui, c’est que faire pour consolider, massifier et avoir des champions européens ? », explique Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques de France Digitale, qui a piloté l'étude. Une quarantaine de startups européennes et fonds de capital-risque actifs dans le secteur de l’IA générative ont donc été interrogées pour réaliser cette étude à la fois complète et très pédagogique, avec infographies et lexique à la clé, pour proposer une vue d'ensemble de la chaîne de valeur de l'IA générative dans le monde.

Un réseau d'interdépendances entre les acteurs

Bien entendu, cette chaîne de valeur est complexe, englobant à la fois des éléments matériels et logiciels. En plus, chaque segment et sous-segment de cette chaîne représentent un marché à part entière, tout en étant inextricablement liés aux autres, créant un réseau d'interdépendances entre les acteurs. L’étude a donc la volonté d’en expliquer les tenants et aboutissants sur les quatre couches fondamentales : les puces (logiciels de conception, matières premières, machines de haute précision, fabrication), l'infrastructure (centres de données, réseaux, logiciels et services, y compris les services de distribution), les modèles de fondation et les applications.

La bonne nouvelle, c’est que les entreprises européennes excellent donc à différents niveaux, de l’assemblage de puces à la conception de modèles de fondation, l’hébergement de données ou le développement d’applications hautement spécialisées. Le seul endroit où le bât blesse, c’est au niveau de l’infrastructure et des matériaux rares. Mais Marianne Tordeux Bitker estime qu’« il ne faut s’interdire aucune réflexion sur le sourcing des matériaux rares et multiplier nos interlocuteurs et fournisseurs. Sur ce sujet, nous sommes très dépendants de la Chine et de Taïwan et nous devons avoir ça en tête dans un contexte géopolitique qui peut se complexifier encore dans les prochaines années. Il faut identifier toutes les sources d’indépendance potentielle pour l’Europe, tout en ayant conscience que l’autonomie stratégique reste compliquée dans une économie mondialisée ».

Renforcer à chaque couche de la chaîne de valeur l’échelon européen

S’il n’existe pas aujourd’hui de chaîne de valeur strictement européenne, de la même manière qu’il n’existe pas non plus de chaîne de valeur strictement américaine ou chinoise, il apparaît néanmoins possible de réduire cette interdépendance en renforçant à chaque couche de la chaîne de valeur l’échelon européen. Cela passe aussi par une vision politique et réglementaire adaptée au contexte économique et financier, c’est-à-dire « aligner l’ensemble des politiques sur des objectifs communs, à savoir plus de financements, plus de commandes publiques et privées, plus de talents et plus de marché unique, donc moins de fragmentations des réglementations », détaille Marianne Tordeux Bitker. « On doit absolument accélérer sur la mobilisation du financement de l’épargne privée à l’échelle européenne ».

Avec en ligne de mire, les élections européennes et américaines, les prochains mois risquent d’être déterminants pour y parvenir. « Ces échéances vont être cruciales pour l’avenir de l’Europe et sa capacité à atteindre une certaine souveraineté dans l’intelligence artificielle : est-ce que l’Union européenne va se mettre d’accord sur une politique industrielle et innovante encore plus ambitieuse, et embarquer l’ensemble des États de l’Union, ou allons-nous reculer ? Les États-Unis et la Chine, eux, ne nous attendent pas pour avancer », souligne Marianne Tordeux Bitker, qui reste cependant déterminée sur le fait que « nous pouvons y arriver. Surtout, nous n’avons pas d’autre choix que de tout faire pour y arriver ».