Pour cette table-ronde dédiée à l’exit, Natixis Wealth Management a choisi de s'attarder sur les détails. Le débat a été centré sur le choix parfois difficile de rapprochement d'une startup d'un groupe industriel ou bien d'un fonds de private equity pour conclure son exit. Lors de la Maddy Keynote 2023, la banque s’était intéressée au passage d'un modèle dual track à un modèle triple track. Un sujet qui n’est pas si éloigné. Concrètement, si le dual track permet d'évaluer en même temps une augmentation de capital et un potentiel rachat, le triple track consiste à inclure les perspectives de rentabilité comme troisième objectif. Un enjeu d'autant plus important au vu du contexte plutôt "frileux" sur le marché du capital-risque.

Un contexte propice aux rachats

« L'année 2022 a été très lente en termes d'investissement dans les startups, encore plus en 2023, décrit Nicolas von Bülow, Managing Partner chez Clipperton. C'est une période de purge après celle de l'euphorie - peut-être excessive - qui permet une mise à plat niveau valorisation. » Il constate donc une montée en puissance d'acquisitions de la part de grands groupes ainsi qu'un intérêt croissant des fonds pour les plateformes d'investissement dans le but de réaliser des acquisitions par la suite.

Vincent Klingbeil, CEO et cofondateur d’European Digital Group remarque lui aussi une forte dynamique sur ces opérations de rachat. « Nous avions toujours eu l'habitude de racheter des entreprises rentables et il est clair qu'elles sont devenues bien plus attractives ces 18 derniers mois », développe-t-il tout en justifiant que l'EBITDA devient donc un critère bien plus important. Même son de cloche du côté de Clipperton qui observe un marché du M&A très concurrentiel. « On manque plus de bons actifs que de transactions », complète-t-il.

Avant la création d’EDG, Vincent Klingbeil avait déjà mis en place ce fameux "dual track" dans le cadre de son entreprise Ametix, fondée en 2011. En 2019, la filiale Docaposte du groupe La Poste s'est prononcée pour le rachat de sa startup et est parvenue à "intégrer sans désintégrer". « Ils nous ont vraiment boostés et cela nous a permis de nouvelles synergies, déroule-t-il. Enfin, cette expérience de grand groupe m'a aussi permis de développer des compétences qui sont très utiles pour assurer mon poste actuel chez EDG. »

De l’intérêt de s’adosser à un industriel

Romain Passilly, CEO et fondateur d'Inqom, raconte également comment s'est passé le rachat de sa startup en 2022 par le fournisseur de logiciels Visma. Un choix d'abord motivé par la conjoncture fin 2021, avec le lancement d'un processus de cession en dual track pour envisager plusieurs options stratégiques. « Nous avons vécu le retournement du marché pendant le process et un acteur industriel américain s'est finalement rétracté sur notre potentiel rachat, après avoir perdu de l'argent en Bourse courant avril 2023 », explique-t-il.

N'étant pas dans un objectif de redresser l'EBITDA, Inqom a donc fait le choix de s'adosser à l'industriel Visma, notamment parce que cela permettait d'orienter le business plan sur les chiffres futurs. Ici, Visma se comporte comme un fonds qui rachète généralement entre 50 et 70 % des parts d'une startup pour l'aider à se surpasser. Le reste des parts étant détenu par les fondateurs qui peuvent espérer en tirer des bénéfices si le rapprochement s'avère vertueux. « Cela nous laisse beaucoup de liberté et c'est plus facile à vivre qu'une financiarisation des engagements assez classique dans un rachat à 100 % », justifie-t-il.

En décembre dernier, Vincent Klingbeil s'est lancé dans une opération de LBO en faisant entrer à son capital le fonds Latour Capital aux côtés de ses investisseurs historiques qui ont remis au pot, comme Montefiore. Dans le même temps, sur les 2.000 collaborateurs chez EDG, 200 d'entre eux sont actionnaires et tous les fondateurs d'entreprises qui font partie du groupe ont réinvesti. « Les startups qui ont réalisé un LBO sont plus performantes car les indicateurs de croissance mis en place boostent la motivation en interne », assure-t-il.

Bien s'entourer pour éviter les erreurs

Bâtir une startup dans l'espoir de lever des fonds très rapidement et clôturer un exit dans le moyen terme n'est donc plus la seule voie que doivent envisager les entrepreneurs. Il faut, selon Nicolas von Bülow, sortir de cette vision simpliste de la réussite et rappeler que le Private Equity monte en puissance depuis 15 ans en Europe, ce qui a permis l'émergence de maillons plus matures dans l'écosystème.

Il cite le rôle primordial de fonds - traditionnellement anglo-saxons à l'image de Marlin Equity Partners ou Insight Venture Partners - qui œuvrent plutôt pour la consolidation de modèles existants. « Ces échelons intermédiaires ne cherchent pas d'exit et peuvent offrir aux startups une nouvelle étape dans leur histoire entrepreneuriale », défend-il.

Vincent Klingbeil conseille de s'entourer de plusieurs experts en VC pour éviter les erreurs mais aussi de bien se mettre d'accord avec ses associés afin de prendre la meilleure décision. Il ajoute par ailleurs un point de vigilance sur la pression de la dette dans le cas d'un LBO, d'où l'intérêt de ne jamais perdre de vue la rentabilité.

Romain Passilly fait valoir que son adossement industriel garantit un accompagnement sur-mesure pendant plus de 20 ans, contre 5 ans dans le cadre d'un rapprochement classique avec un fonds de venture capital. « Je n'ai pas la pression de trouver un autre fonds ou de gérer les relations avec mes investisseurs », souligne-t-il. Cependant, il met en garde : « Ne fermez pas trop de portes, sans ouvrir le capot trop vite non plus », alerte tout de même Romain Passilly en citant des cas d'espionnage technologique et commercial de la part d'acteurs qui font faussement croire à des startups qu'ils ont l'intention de les racheter.

Pour Nicolas von Bülow, les premières questions à se poser sont les suivantes : « Qu'ai-je envie de faire ? Est-ce que mes équipes en interne ont envie de changer ? Sont-elles prêtes à s'ouvrir à de nouveaux marchés ? Que veulent mes actionnaires ? Que puis-je faire de mes actifs en externe ? » Sachant que ces logiques d'arbitrage entre rentabilité et croissance dépendent de la nature du projet, de "sa valeur intrinsèque" et de ses objectifs de développement. « Il faut rester humble et lucide, tout en éliminant l'ego et l'émotion qui ne doivent pas guider ce moment très important dans la vie de votre entreprise », conclut-il.