En France, les 1% les plus riches détiennent 36% du patrimoine financier total, selon le dernier rapport d'Oxfam France. Plus encore, les 4 familles françaises les plus riches - à savoir les familles Arnault, Bettencourt Meyers, Gérard et Alain Wertheimer - ont vu leur fortune augmenter de 87% depuis 2020. Naturellement, cette progression de l'accumulation de richesses a contribué à la prolifération de family offices, ces structures destinées à une meilleure gestion du patrimoine de ces mêmes familles fortunées.

Apparues au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle avec les grandes familles américaines Rockefeller, Whittier ou encore Pitcairn, elles ont d'abord pris la forme de single family offices puis plus tardivement de multi family offices, supervisant les actifs de plusieurs familles en même temps. Mais si ces organisations privées étaient traditionnellement réservées aux actifs immobiliers ou réels (comme le vin ou l'art), ces dernières ont dû - au vu du contexte géopolitique et économique incertain - opter pour plus de diversification.

En 2020 par exemple, les family offices ont représenté près de 13% des levées de fonds des startups françaises, soit plus de 3 milliards d'euros. Cette part allouée au private equity dépasse aujourd'hui les 20% et commence à surpasser, dans certaines familles, toutes les autres classes d'actifs.

Vers une généralisation du multi family office

Généralement, une famille fortunée constitue sa propre holding pour assurer la gestion de ses actifs et autres participations financières. C'est le cas de François Pinault et son groupe Artémis fondé en 1992 ou encore la famille Bettencourt qui a logé ses participations dans la société Théthys dès 2004. Mais cette tendance au single family office replié sur lui-même a progressivement laissé place au multi family office.

« Le métier de multi family office a plus de 20 ans d'existence mais il a pris beaucoup d'ampleur ces 8 dernières années, car cela devient plus accessible », détaille Stéphane Fragues, CEO d'Occur, cabinet de conseil qui facilite l'accès aux experts du patrimoine pour les investisseurs privés, entrepreneurs, familles pour la gestion et la préservation de leurs actifs.

D'après Frederick Crot, président de l'AFFO depuis 2022, l'avantage de recourir à un family officer reste de bénéficier d'un accompagnement sur-mesure « dans l'intérêt premier de la famille ». Un service jugé plus adapté pour des patrimoines très importants que celui offert par des banquiers privés qui ont plutôt un intérêt à faire valoir les produits de leur propre maison et qui ont également un champ d’action plus réduit qu’un family officer. « Ce family officer est rémunéré par la famille elle-même, il y a donc un alignement d’intérêt entre eux qui est vertueux », renchérit-il.

Ce dernier constate la tendance croissante des fortunes familiales à utiliser ce type de structure. Ainsi, l'association a été rejointe par 40% de single family offices en plus entre 2022 et 2023. Et le private equity continue de croître régulièrement dans les portefeuilles de ses adhérents. « Cela s'explique par le fait que le private equity affiche de meilleures performances que d'autres classes d'actifs notamment le coté, plus volatile », développe-t-il. 

Mais ce n'est d'après lui pas la seule raison qui séduit les familles fortunées à se lancer : « beaucoup d'entre elles doivent leur fortune à des ancêtres entrepreneurs et les héritiers actuels sont sensibles au fait de récompenser ceux qui prennent des risques et partent souvent de rien », affirme-t-il.

Une part grandissante allouée au private equity 

Selon une étude de 2023 menée auprès de 120 investisseurs majoritairement européens par Campden Wealth et Titanbay, 84% des family offices ont déjà mis un pied dans le private equity. Ces derniers y allouent en moyenne près de 20% de leurs actifs et la moitié d'entre eux le font par le biais d'investissements directs tandis que l'autre investit dans des fonds. 

Les raisons sont plurielles : certains avancent que de nouveaux héritiers souhaitent assurer un contrôle plus précis des investissements de leur famille, le tout en fonction de leurs propres valeurs. Autre raison souvent évoquée : la crise financière de 2009 aurait entamé la confiance des familles fortunées envers les boutiques traditionnelles de gestion, ce qui ne fait plus du marché côté l'unique moyen de diversifier son portefeuille.

Dans le même temps, une nouvelle catégorie d'acteurs est intéressée par ces family offices. D'après Stéphane Fragues, de plus en plus d'entrepreneurs « expriment le besoin d'être accompagnés dans le détail et non pas seulement par le biais d'une banque en conseil d'investissement ». Cette nouvelle génération d'entrepreneurs aurait permis de « décomplexer les familles avec leurs actifs » et donc de ne plus se contenter d'une simple gestion de la transmission d'héritage.

Cette culture du "wealth management", répandue depuis bien longtemps aux États-Unis, se démocratise donc rapidement en Europe, avec l'arrivée plus marquée des "wealth planner". Pour ces entrepreneurs "nouveaux riches" de la French Tech, cela permet de faire jouer la concurrence et de trouver les meilleures offres d'accompagnement.

Le chemin de ces profils reste d'ailleurs souvent le même : un entrepreneur monétise grâce à un exit et se mue de plus en plus en business angel pour faire fructifier ses capitaux en investissant en direct, permettant ainsi de diversifier son portefeuille. « Gérer son entreprise et son patrimoine sont deux choses totalement différentes, d'où l'intérêt de déléguer la gestion de son patrimoine et la préservation de ses actifs à un expert dont c'est le métier », estime Stéphane Fragues.

Les avantages à lever auprès d'un family offices

Pour les entrepreneurs en quête de fonds et plongés dans un contexte persistant de contraction du marché du capital-risque, le grand avantage du family office est de pouvoir accéder à « un soutien sur le temps long et avec moins de contraintes qu'un institutionnel ». C'est en tout cas ce que décrit Frederick Crot en admettant que l'accès aux family offices demeure tout de même plus restrictif que dans le cas des fonds de venture classiques. En matière d'investissement en venture, ce dernier remarque que les family offices commencent généralement par souscrire à des fonds spécialisés et « prudemment sur plusieurs exercices avant de se lancer dans l’investissement direct dans des sociétés ».

« Il faut effectivement avoir une certaine maturité dans l’investissement, une capacité financière importante pour prendre à la fois un nombre suffisant de participations, clé dans la constitution d’un portefeuille de venture sachant que le taux de mortalité est important et être capable de remettre de l’argent le cas échéant sans oublier les ressources humaines pour assurer le suivi », conclut-il.

« Faire appel à un fonds présente l'avantage de ne pas mobiliser de trésorerie mais implique en contrepartie un risque de dilution du capital », prévient Stéphane Fragues. Si le private equity reste tout de même selon lui « le meilleur moyen de se financer rapidement », l'accompagnement par un family office a le mérite d'être bien plus personnalisé. « La mission du family office est de préserver les intérêts du dirigeant accompagné et son regard est plus externe et moins financier que celui d'un fonds en VC ou d'une banque de financement, fait-il valoir. Tous les outils de financement sont bons à utiliser mais ils doivent être bien calibrés selon les perspectives de l'entrepreneur pour son entreprise mais aussi sa situation personnelle et familiale, actuelle et future ».

« L'attachement personnel d'une famille à un projet ou à un secteur peut aussi beaucoup jouer, ajoute Frederick Crot. Elle va chercher à entrer dans une forme d'intimité avec les entrepreneurs pour bien comprendre la genèse du projet, chercher à savoir si les liens entre associés sont assez forts et complémentaires, car la cohésion d'équipe est un des facteurs de réussite sur le long terme ». Les entrepreneurs doivent donc s'attendre à présenter un dossier du même niveau d'exigence que celui demandé par les fonds de venture classiques.