« On se demande un peu ce qui s’est passé. Je viens de me placer en procédure de sauvegarde. Et là, je décompense. Toutes les tensions partent d’un coup, je m’écroule », se souvient Vincent Fourdrinier, fondateur d’Eveia. Après plusieurs mois de difficultés financières, cet entrepreneur industriel, basé à Blois, se rend au tribunal de commerce et entame une procédure de sauvegarde. C’est le début d’une nouvelle page pour sa startup, un chapitre qui va lui permettre de poursuivre son aventure plus sereinement.
Vincent Moindrot, fondateur de Carlili, est également passé par une procédure de conciliation puis de redressement judiciaire. « La première interaction avec le tribunal de commerce marque le moment où je commence à redormir la nuit », confesse Vincent Moindrot. « Je vois la juge du tribunal de commerce qui nous dit : “ne vous inquiétez pas, nous sommes là pour vous aider.” On n’est plus seul. » Le placement en redressement judiciaire de Carlili a fini par déboucher sur une liquidation judiciaire, le 22 décembre 2023. Puis une reprise de son fondateur et de Rent A Car le 12 mars 2024.
Si ces deux trajectoires d’entrepreneurs diffèrent à plein d’égards, dans les deux cas, les procédures collectives ont permis de sauver l’activité et de soulager les fondateurs qui ont tout donné pour permettre la survie de leur entreprise.
« L’administrateur m’a permis de débloquer cette situation. »
Tout commence en 2018 pour Vincent Fourdrinier. Après une visite au CES de Las Vegas, il est convaincu de son intuition : il faut lutter contre la sédentarité et notamment celle des employés de bureau. Après une carrière dans l’industrie comme designer de produit, Vincent Fourdrinier décide de lancer sa startup. C'est sa première aventure d’entrepreneur. Il fonde Eveia et fabrique puis commercialise un prototype de pédalier connecté de bureau pour permettre aux salariés statiques de rester actifs. Il lance dès le départ un financement participatif, sur le site Indigogo, et recueille un peu plus d’une centaine de pré-commandes de 18 pays. « Je me suis dit : oui, il y a un business. »
C’est finalement avec la crise Covid que démarrent les difficultés de Vincent Fourdrinier et d’Eveia. Le jeune patron a alors sept salariés et lancé la production de son pédalier via plusieurs fournisseurs. « Tous les chiffrages nous avaient donné un délai et un coût précis. On a reçu nos pièces avec 9 mois de retard et 30 % d’augmentation. » Comme toute startup industrielle, Eveia demande beaucoup de capital et l’entrepreneur se retrouve peu à peu à court de trésorerie malgré l'investissement de Groupama à hauteur de 200 000 euros, quelques mois plus tôt. Les premiers produits sont livrés début 2022 et le fondateur doit procéder à 5 licenciements sur 7. « À ce moment-là, c’est l’alerte incendie, il y a des feux qui s’allument partout », image-t-il.
Convaincu par son projet, Vincent Fourdrinier négocie avec chacun de ses créanciers pour relâcher un peu la pression sur sa trésorerie. Puis, il pousse la porte du tribunal de commerce sur les conseils d’un ami. Vincent Fourdrinier démarre une procédure de sauvegarde et est suivi désormais par un administrateur, le 6 juillet 2023. « J’ai embauché quelqu’un pour faire ma comptabilité. Nous avons pris 3 ou 4 mois pour rattraper le retard. » Cette procédure a permis à l’entrepreneur de sauver son business. « Un de mes fournisseurs avait bloqué toute ma marchandise. Je n’avais plus rien. L’administrateur m’a permis de débloquer cette situation. Le tribunal de commerce et le juge commissaire ont été hyper bienveillants, c’est important. Ce sont des chefs d’entreprise en face de nous. »
Carlili : de "l'enfer" à la reprise d'activité
Carlili, fondée en 2016, a, au contraire d'Eveia, évolué dans l’écosystème parisien et suivi la trajectoire de nombreuses startups. La jeune pousse de location de voitures ne lève un premier tour de table d’1,5 million d’euros qu’en 2020. « Finalement, nous n’avions pas tant d’argent que ça. Nous avons été très prudents et malgré tout, 2020 et 2021 ont été deux très bonnes années pour Carlili », se rappelle Vincent Moindrot, cofondateur. Fin 2021, la startup repart en roadshow, « pour monter un vrai tour à la hauteur de nos ambitions ». Carlili lève 28 millions divisés en equity et en dette. L’idée est d’acheter une première flotte de Tesla, que l’entreprise louera par la suite et dont les loyers serviront à rembourser cette dette. 18 millions d’euros devaient donc être versés à Carlili en plusieurs tranches, sous formes d’obligations convertibles pour être fléchés vers l’achat de Tesla. La startup ne touchera que 4,5 millions d’euros. Nous sommes alors fin 2021.
C’est le début des difficultés pour Vincent Moindrot qui, quand il raconte cette période, parle « d’enfer ». Le représentant d’un des fonds d’investissement, au board de Carlili, change. Vincent Moindrot et lui ne s’entendent pas du tout. À cela s’ajoutent des difficultés de trésorerie : « Nous avons vraiment dérapé sur le premier semestre 2023 », confie l’entrepreneur. Les relations avec le board se dégradent et ce conseil décide « un changement brutal de stratégie ». Il refuse un nouvel apport de cash et veut accélérer vers la rentabilité : « il faut absolument couper tous les coûts. » Les relations entre Vincent Moindrot et ses investisseurs se délitent encore un peu plus. L’entrepreneur doit alors procéder à des licenciements. Jusqu’à un point de bascule : « La confiance n'existe plus avec les investisseurs, ils essayent, à partir de ce moment-là, de récupérer l'argent qu'ils ont investi dans les Tesla, ce qui équivaut matériellement à tuer la boîte. Plus vite la boîte est liquidée, plus vite on pourra revendre les véhicules dans lesquels ils ont investi pour qu'ils puissent récupérer leur caution, leur gage. »
D’abord, Vincent Moindrot entame une procédure de conciliation en avril 2023 après avoir reçu une mise en demeure pour que les Tesla soient vendues. Le 12 octobre 2023, le fondateur choisit de se placer en redressement judiciaire. Il est prêt à tout pour sauver son entreprise. « Nous avions un petit matelas de cash qui nous permettait de tenir quelques mois. » Carlili est ensuite placée en liquidation après d’autres différends avec les investisseurs. Le 12 mars, contre toute attente, Vincent Moindrot et l’industriel Rent A Car présentent une offre de rachat des actifs et de préservation de l’emploi acceptée par le tribunal de commerce. L’activité repart le 18 octobre. Vincent Moindrot est toujours directeur général de « New Carlili » au sein de Rent A Car.
Hygiène de vie, entourage, salariés...
Si les causes peuvent être variées, le facteur déclencheur est toujours le même : l’argent en banque. « Quand, sur le plan de trésorerie à 6 mois, il n’y a plus de cash, il est déjà tard pour se réveiller », rappelait Solène de Boishebert, directrice générale adjointe de LER, qui accompagne des entrepreneurs en difficultés. Comme Eveia, 60 % des entreprises reprennent leur activité après une procédure de sauvegarde ou de redressement.
Aujourd’hui, Vincent Fourdrinier relance son activité. Le mandataire et l’administrateur judiciaire ont présenté un plan de continuation et d’étalement de la dette sur dix ans. « J’ai eu deux chances », confie le fondateur d’Eveia. « Mon ami Franck et mon épouse. » Pour Vincent Moindrot également, il est impératif d’être accompagné dans ces étapes professionnelles : « Il y a un entourage personnel qui joue beaucoup. » Autre conseil : « Je pense qu’il faut toujours rester honnête et ne pas dépasser cette ligne rouge avec les investisseurs même si la tentation est là. Ensuite, il faut rester attentifs à ses salariés, au tribunal, le premier sujet est le maintien de l’emploi. »
Du côté de Vincent Fourdrinier, qui avait une plus petite structure, l’hygiène de vie est capitale. « Sinon, on ne tient pas le coup. C’est une bonne décision mais qui est tout de même pesante et source de stress », explique l’entrepreneur qui marche 4 à 5 km avant de se coucher et dort 7 à 8 heures par nuit. Enfin, il faut bien étudier chaque scénario possible et préparer plusieurs stratégies. Mais les mandataires judiciaires sont aussi au service des entrepreneurs et des startups pour préserver une activité, des emplois et des innovations. Aujourd'hui, la production d'Eveia a été relancée, gérée sans fournisseurs, et les livraisons repartent. « C’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie », conclut le néo-entrepreneur blésois.