Le ton est posé d’emblée : “Rassurez-vous, moi, je ne suis pas là pour vous parler de robots qui prennent le contrôle ou de voitures volantes.” Lors de sa keynote à la MKIA, le 29 avril, Anne Bouverot a livré une lecture stratégique de l’évolution de l’intelligence artificielle. L’ex-PDG de Morpho est revenue sur un début d’année mouvementé “Rappelez-vous, le 21 janvier 2025, à peine investi, le nouveau président américain lance Stargate, un plan massif de 500 milliards de dollars pour les infrastructures IA. Le message envoyé à ce moment-là, c’est : plié, l’IA c’est nous.” Or, le 27 janvier, la Chine riposte avec DeepSeek, un modèle qui n’a coûté que six millions de dollars. “Preuve que la bataille n’est pas uniquement une question de moyens. Les cartes ne sont pas encore jetées et il y a de la place pour d’autres développements.”
Du côté de l’Europe, la réponse commence à se structurer. Anne Bouverot rappelle les dernières annonces : “109 milliards de promesses d’investissement privées en France dans les infrastructures pour l’intelligence artificielle” et “200 milliards d’investissement privé et public en Europe”, prolongés par le plan AI Continent porté par la Commission européenne. Une dynamique qui doit s’accompagner d’une mobilisation large, au-delà des annonces politiques. À ce titre, le sommet a été précédé par des centaines d’événements partout en France : le Tour de France de l’IA du Medef et de l’UMEOM, les Café IA du Conseil National du Numérique, ou encore des initiatives locales d’expérimentation : “Tous ces moments sont vraiment importants.”
Une IA qui transforme la société
L'intelligence artificielle n’est pas neutre. Sur la scène de la salle Gaveau, Anne Bouverot rappelle qu’elle transforme déjà ”le travail, l’éducation, la santé et la culture”. Mais son impact ne s’arrête pas là. Côté environnement, l’alerte est sérieuse : “La consommation d’électricité de l’IA et des data centers va doubler d’ici 2030 pour atteindre 3% de la consommation d’électricité mondiale”, cite-t-elle en s’appuyant sur un rapport de l’Agence internationale de l’énergie.
Pour répondre à ces défis, deux initiatives ont été lancées au sommet : une coalition pour une IA durable réunissant plus de cent partenaires publics et privés, et un observatoire environnemental piloté par Capgemini, l’INRIA et l’Institut IA & Société. L’objectif : maximiser les usages positifs de l’IA pour le climat tout en limitant ses effets négatifs.
Sur le terrain économique, la France et l’Europe disposent d’atouts. “J’appelle ça le pack des licornes européen”, a expliqué Anne Bouverot en citant Mistral AI, Pigment, Helsing, Dataiku et Black Forest Labs. Mais pour peser réellement, l’écosystème doit se structurer. Une initiative baptisée “Champions européens de l’IA” a ainsi été lancée pour renforcer la collaboration entre startups et grands groupes. “Il faut qu’on mette nos forces ensemble, il faut qu’on travaille ensemble pour ce développement-là”, insiste-t-elle, inspirée par une approche de type "Buy European", mais sans recourir à la contrainte réglementaire.
Tester, comprendre, et créer des communs
Le message est clair : l’IA ne doit pas être laissée à quelques grandes plateformes. “Il faut quand même se souvenir que c’est quelque chose qui va vraiment impacter nos sociétés et qui doit être à notre main.” Pour cela, Anne Bouverot encourage les citoyens comme les entreprises à se saisir des outils. “Mon conseil, c’est d’expérimenter dans des domaines que vous connaissez”, recommande-t-elle, en citant ChatGPT, Gemini ou d’autres modèles. L’important est de tester avec un esprit critique : comprendre ce qui fonctionne, ce qui aide, et ce qui relève du “blabla”.
Dans les entreprises, elle appelle à donner de l’autonomie aux collaborateurs : “Il faut laisser, y compris à des individus dans l’organisation, la possibilité d’expérimenter.” Anne Bouverot conclut avec un avertissement et un appel : “Les acteurs de demain ne sont pas encore tous définis.” Et de rappeler que “nous avons une opportunité, une nécessité et une chance de nous en saisir en France et en Europe.”