Dans le monde feutré du M&A, la signature d’un deal ne marque jamais la fin d’une opération. Au contraire, elle n’en est souvent que le point de départ. C’est dans les mois qui suivent le rachat qu’un groupe mesure réellement sa capacité à créer de la valeur. L’enjeu ? Intégrer la société rachetée sans gripper les rouages. 

Deux visions se dessinent aujourd’hui chez les acteurs du digital. D’un côté, celle portée par European Digital Group (EDG), fondée sur l’association capitalistique, le respect de l’autonomie opérationnelle et l’alignement d’intérêts. De l’autre, celle de Monks, qui assume une absorption rapide et une culture unifiée, pensée comme gage d’efficacité. Deux philosophies que tout oppose sur le papier, mais qui visent pourtant la même chose : transformer l’intégration en levier de croissance.

Une intégration progressive et structurée pour capitaliser sur l’ADN

Chez EDG, groupe intégré dans la transformation digitale, spécialisé dans la data, l'IA, les services IT, Cloud et cybersécurité et le marketing et la communication digitale, l’intégration post-acquisition est d’abord une affaire d’intention. « Ce ne sont pas des deals de sortie, ce sont des deals d’association », pose Edwina Bassil, directrice des fusions-acquisitions du groupe. « Les dirigeants qui nous rejoignent restent entrepreneurs, gardent leur marque, leurs équipes et un incentive capitalistique fort. Ils continuent de piloter leur entreprise au quotidien », poursuit-elle.

Loin d’un schéma d’absorption, le groupe revendique une intégration structurée, mais ne se substitue pas pour autant aux dirigeants dans une logique de co-construction qui s’inscrit dès la phase de sourcing. Au-delà des critères financiers, EDG scrute l’ADN des sociétés approchées : qualité de l’expertise, réputation des fondateurs, compatibilité culturelle. « On peut très bien renoncer à une acquisition si on sent que ça ne matche pas humainement, même si la société est performante sur le papier », commente Edwina Bassil.

L’intégration, chez EDG, repose sur trois piliers : people, process, outils. L’humain d’abord, avec une attention portée à la gouvernance et au partage de la valeur via l'accès au capital. Plus de 250 associés, fondateurs ou managers, sont aujourd’hui engagés dans le groupe. Un socle qui permet de fédérer autour d’objectifs communs. Ensuite viennent les process : une structuration rigoureuse, des reportings financiers, opérationnels et RH réguliers, une gouvernance partagée. À cela s'ajoute une structuration continue des fonctions supports aux niveaux des BUs afin que les fondamentaux du groupe puissent soutenir une croissance solide et constante, et de gagner en scalabilité. Enfin, les outils, mais jamais en premier, insiste Edwina Bassil. « L’erreur serait de vouloir tout uniformiser trop vite. Imposer un nouvel ERP dès le premier jour crée de la résistance. On préfère d’abord apprendre à travailler ensemble, en mettant en place des process huilés. Par la suite, l’harmonisation des outils devient une évidence », explique-t-elle.

Cette méthode d’intégration par étapes permet de préserver ce qui fait la force des sociétés rachetées. Le groupe qui a déjà réalisé 30 acquisitions en cinq ans, revendique des succès notables. Ads Up, Foll-ow, Equancy, Metsys, pour n’en citer que quelques-unes… toutes conservent leur marque et leur identité dans l’écosystème. « Ces acteurs sont reconnus pour leur expertise. Supprimer leur nom, c’est potentiellement fragiliser la confiance de leurs clients comme de leurs collaborateurs », avance Edwina Bassil.

Cette philosophie n’empêche pas les fusions complètes. Certaines marques choisissent volontairement de fusionner, comme Cardata et Adventure Conseil, réunies sous l’enseigne Dataventure. Ou encore Avisio et Mobiskill, qui ont donné naissance à Wefy. « Chaque scénario est discuté avec les dirigeants, selon les complémentarités, le positionnement et les objectifs à long terme », précise Edwina Bassil.

Une absorption rapide pour gagner en efficacité

Chez Monks, le modèle est à l’opposé. Ici, la logique d’intégration est immédiate, assumée. L’entité acquise est absorbée dans la structure globale. « On ne rachète pas du chiffre d’affaires, on renforce une capacité », résume Charles Moynet, Head of Data & Digital Media. Un modèle dicté dès le départ par Sir Martin Sorrell, fondateur de S4 Capital, maison-mère de Monks, et pensé comme une alternative au mode opératoire parfois dysfonctionnel au sein des réseaux d’agences.

L’idée est simple : un P&L unique, des process communs, une proposition de valeur cohérente. Chaque acquisition est pensée comme un ajout modulaire à une offre globale, structurée autour de quatre piliers : content, media, data et tech. « L’ancienne marque disparaît. Les équipes sont intégrées dans nos “capabilities” existantes, ou viennent en créer de nouvelles si leur expertise est inédite », explique Charles Moynet.

Ce modèle favorise la rapidité d’exécution, la mutualisation des compétences et la montée en charge des équipes sur les comptes. « Un client qui travaille déjà avec notre pôle influence peut très facilement activer le pôle data ou media : tout le monde fonctionne avec les mêmes outils, les mêmes standards de qualité », illustre-t-il. Résultat : une promesse de fluidité, qui permet aux clients d’acheter plusieurs expertises sans friction.

Mais cette efficacité a un prix : le risque de rejet. Charles Moynet ne le nie pas. « Si on plaque nos méthodes sans concertation, on prend le risque de faire fuir les équipes. J’ai vu des intégrations échouer ailleurs pour cette raison », reconnaît-il. Pour limiter ce risque, Monks implique les opérationnels dans les discussions amont, aux côtés des équipes M&A. L’objectif : anticiper la compatibilité culturelle, la capacité à adopter les codes du groupe et la volonté d’adhérer à un projet commun.

L’approche de Monks repose aussi sur une conviction : la valeur est dans le collectif. « L’identité initiale n’a pas vocation à survivre. Elle est intégrée à quelque chose de plus large. Si les talents jouent le jeu, ils y gagnent en opportunités et en capacité d’impact », partage Charles Moynet. Encore faut-il accepter de sortir de sa zone de confort. « Ce modèle repose sur une hybridation permanente des expertises. Il faut apprendre à se confronter intelligemment, à croiser les regards pour créer de la valeur », poursuit-il.

Deux visions, une même exigence : embarquer les talents

Malgré leurs différences, les deux modèles convergent sur un point : la réussite de l’intégration ne se joue ni sur un tableur Excel, ni dans un planning d’onboarding. Elle repose d’abord sur la qualité du lien humain. Sur la capacité à créer de la confiance, à aligner les intérêts et à construire une vision commune.

Chez EDG comme chez Monks, le facteur déterminant reste l’engagement des équipes. Ce sont elles qui conditionnent la réussite d’un projet de croissance externe. Ce sont elles, aussi, qui peuvent le faire échouer.