Pour Emmanuel Grégoire, ce mois de juin 2025 revêt une importance particulière. Et pour cause, c’est la dernière ligne droite avant la primaire socialiste qui aura lieu le 30 juin prochain. Opposé à Rémi Féraud, soutenu par Anne Hidalgo, et Marion Waller, candidate surprise, l’ancien premier adjoint de la maire sortante mise notamment sur son appétence pour la tech et surtout l’intelligence artificielle pour faire la différence.
Ainsi, à moins d’une vingtaine de jours de la primaire socialiste, il dévoile 25 propositions «pour un usage ambitieux et responsable de l’IA à Paris» pour faire de Paris «la capitale de l’IA d’intérêt général». Maddyness vous dévoile en exclusivité l’essentiel de ces mesures.
Une «Station IA» dans le quartier de la Porte de la Chapelle
La première est probablement la plus forte puisqu’Emmanuel Grégoire veut créer une «Station IA» sur le modèle de Station F, l’incubateur XXL de startups initié par Xavier Niel, dans le quartier de la Porte de la Chapelle. Ce haut-lieu parisien de l’IA serait baptisé «Alice Recoque», en hommage à cette informaticienne français pionnière de l’IA qui a été largement invisibilisée. L’entrepreneuse Marion Carré (Ask Mona) avait d’ailleurs voulu réhabilité le rôle crucial joué par cette scientifique dans un livre («Qui a voulu effacer Alice Recoque ?», éditions Fayard) publié l’an passé.
Situé dans le secteur «Chapelle International», à la mite de la Seine Saint-Denis, cet «espace ouvert et hybride dédié à l’IA» abriterait plusieurs éléments, à commencer par un incubateur et accélérateur, comme à Station F, pour accueillir des startups d’IA. Cela leur permettrait notamment de bénéficier des ressources clés pour se développer, à l’image de la puissance de calcul émanant du datacenter de la Ville de Paris situé à proximité, de jeux de données, d’API et de codes sources de la municipalité, mais aussi de terrains d’expérimentation et de contacts au sein de l’administration.
Outre cet incubateur, cette «Station IA» a vocation à héberger un campus pour proposer un espace de formation aux Parisiens et aux agents de la Ville de Paris. Des conférences et des ateliers seraient également proposés dans ce cadre. Enfin, le lieu serait ouvert sur l’extérieur pour accueillir des événements, des projections et des expositions autour des enjeux numériques, sur le modèle de ce que propose l’Académie du Climat pour les enjeux environnementaux. «L’objectif est d’avoir un lieu permettant de contrer le modèle viriliste de la tech américaine, chère à des acteurs comme Elon Musk qu’ils entretiennent jusqu’à l’absurde», indique Emmanuel Grégoire. Avant d’ajouter : «L’idée de mon programme est de construire Paris comme un contre-modèle de la Silicon Valley, en faisant le lien entre innovation et émancipation.»
Instauration d’un «Small Business Act» municipal
Dans le prolongement de cette «Station IA» en hommage à Alice Recoque, l’ancien bras droit d’Anne Hidalgo à la Mairie de Paris, livre plusieurs pistes de réflexion pour épauler les PME et les startups. Emmanuel Grégoire plaide ainsi pour la mise en place d’un «Small Business Act» municipal pour orienter un minimum de 10 % de la commande publique vers les PME et doubler le volume des achats publics innovants d’ici 2030. «Les startups de l’IA sont des PME comme les autres. Elles ont plus besoin de clients que de subventions», estime Emmanuel Grégoire.
Le député souhaite aussi redéfinir le périmètre d’action de l’incubateur Paris&Co alors que ce dernier a atteint «une phase de maturité» aux yeux de l’élu parisien. Plus globalement, Emmanuel Grégoire défend un recentrage des dispositifs de soutien municipal sur les projets d’intérêt général, c'est-à-dire les startups qui cherchent à résoudre des grands enjeux environnementaux et sociaux, ou sur les publics sous-représentés dans l'écosystème startup. Dans ce cadre, il est question par exemple d’ouvrir au secteur privé le capital de plusieurs incubateurs aujourd’hui gérés par Paris&Co, et d’utiliser les montants levés pour mieux financer des projets d’IA d’intérêt général.
Création d’un Chief AI Officer rattaché au maire
Plus globalement, Emmanuel Grégoire veut profiter de la prochaine mandature municipale pour faire de Paris une ville exemplaire en matière d’usage de l’IA. Dans ce cadre, il souhaite notamment créer un poste de Chief AI Officer, qui serait directement rattaché au maire de Paris, et qui serait appuyé par un adjoint spécifiquement en charge de l’IA pour doter la Ville d’une charte éthique sur le modèle de Barcelone.
Dans une perspective plus large, l’ex-premier adjoint de la maire sortante veut ainsi créer une gouvernance politique, éthique et démocratique de l’IA générative, en s’inspirant de ce qui a été fait à Buenos Aires, Séoul ou encore New York. «Séoul a développé son propre chat “Seoul Talk” afin de répondre aux demandes de renseignements ou de plaintes liées à des fonctions de la ville. Récemment, la ville de New York a fait de même mais son chatbot a fait rapidement l’objet de plusieurs critiques en raison d’hallucinations, confirmant que le déploiement de tels outils doit être encore réalisé avec précautions», explique Emmanuel Grégoire dans son programme. Pour éviter les dérives autour de l’IA, ce dernier souhaite également mettre en place une convention citoyenne sur l’IA générative pour évaluer les usages et dessiner une feuille de route pour la Ville de Paris.
Formation des agents municipaux et création d’un jumeau numérique de la ville
Les agents de la Ville de Paris ne sont pas oubliés et Emmanuel Grégoire estime qu’il est impératif de les former à l’IA, ce qui concerne pas moins de 60 000 personnes. «70 % des emplois sont susceptibles de ne pas être remplacés par l’IA, mais des métiers peuvent être améliorés par l’IA», observe le député. «L’IA permettrait de libérer 20 % du temps de travail des agents», ajoute-t-il. Ce plan de formation professionnelle des agents en matière d’IA générative pourra se dérouler dans la «Station IA». Pour les Parisiens, l’IA pourrait constituer un levier pour réduire considérablement le temps d’attente des démarches administratives et déployer proactivement des services et des droits sans avoir à en faire la demande. «Objectif zéro délai et zéro formulaire», résume Emmanuel Grégoire. Ce dernier souhaite notamment s’inspirer du mécanisme en place à Helsinki pour automatiser l’inscription des enfants à l’école primaire.
Enfin, Emmanuel Grégoire plaide en faveur de la mise en place d’un jumeau numérique pour simuler le fonctionnement de la ville, anticiper des évolutions de l’espace urbain et prendre des décisions à la lumière de ces prédictions. Il milite aussi pour l’open data, ce qui passe par une politique d’APIsation des données de la Ville de Paris afin de rendre les services publics plus proactifs.
L’élu souhaite aussi un cadre de régulation des activités économiques plus adaptés à la vitesse de ces innovations. «Je suis émerveillé par la puissance d’outils comme Google Maps qui a une connaissance incroyable du monde, mais il ne peut pas y avoir un usage commercial de l’information sans qu’il n’y ait de retombée économique pour la collectivité», souligne Emmanuel Grégoire. Avant d’approfondir sa pensée : «A titre personnel, je porte une grande réforme nationale sur les compétences de régulation de la sphère numérique. Il y a des vagues de disruption urbaine assez dangereuse, notamment dans les modes de consommation avec Amazon et Shein. Ça menace tout un modèle sociétal. La surface, le sous-sol, l’air et le fleuve, c’est du bien commun. Par conséquent, je ne laisserai pas un truc voler en l’air sans qu’on discute auparavant. Les drones par exemple, j’y suis favorable pour certains usages, mais pas commerciaux.» Le ton est donné pour un éventuel mandat d’Emmanuel Grégoire. Il espère franchir une étape décisive au début de l’été lors de la primaire socialiste.