L’IA n’est plus un simple sujet d’innovation, elle est devenue un levier structurant. “Le secteur du retail vit une transformation systémique qui impacte l’ensemble de ses fonctions, de la création publicitaire à la logistique en passant par la relation client et la gestion des stocks”, constate Arnaud Gallet, directeur du Retail’s Big Show Europe, nouveau rendez-vous qui fusionne la Paris Retail Week et l’édition européenne du salon de la NRF. L’événement, qui se tiendra à Paris du 16 au 18 septembre 2025, réunira en septembre plus de 480 exposants et 200 intervenants autour d’un mot d’ordre : l’IA.
Le retail européen à l’heure de sa transformation structurelle
“Le secteur du retail vit une transformation systémique qui impacte l’ensemble de ses fonctions, de la création publicitaire à la logistique en passant par la relation client et la gestion des stocks” observe Arnaud Gallet, directeur du Retail’s Big Show Europe. Selon lui, cette révolution n’a rien d’abstrait : “Elle se manifeste déjà concrètement dans les pratiques de nombreuses enseignes, qui investissent massivement dans ces technologies pour répondre aux attentes d’un consommateur toujours plus exigeant, informé et volatile.”
Ainsi, les applications concrètes de l’IA se multiplient déjà. “Chez Sephora, par exemple, l’assistant virtuel recommande des routines beauté personnalisées, tandis que Carrefour a développé un moteur de promotion intelligent qui adapte les offres à chaque profil client, à la manière de Netflix pour les contenus” illustre Arnaud Gallet.
Côté contenu, l’IA générative révolutionne la production marketing.” Nike a expérimenté la création d’images publicitaires avec des IA comme DALL·E pour explorer rapidement des concepts créatifs inédits. Les retailers peuvent générer des descriptions produits ou slogans en quelques secondes grâce à des modèles comme ChatGPT, avec un gain de temps et de cohérence non négligeable sur de grands catalogues.”
Des avancées spectaculaires, certes, mais dont il faut trier le signal du bruit. “Le retail est arrivé à un point de saturation. Trop de prestataires, trop de bruit. La même technologie déguisée sous des logos différents” résume Massimo Volpe, fondateur de Retail Hub et curateur de la House of Innovation au sein du salon. “Notre rôle ne se limite pas à faire des mises en relation. Il s’agit de discernement. On crée un espace qui dit : si c’est ici, c’est que c’est validé. Que ça répond à un vrai besoin.”
L’IA performe quand elle disparaît
La performance de l’IA ne se mesure pas à l’effet “waouh”, mais à l’efficacité réelle. “Les cas d’usage les plus performants ne sont pas ceux qui font des démos spectaculaires. Ce sont ceux qui résolvent un problème de bout en bout” insiste Massimo Volpe. Il prend pour exemple les assistants virtuels capables de résoudre les requêtes clients sans escalade inutile : “Si le bot ne peut pas boucler la boucle, ce n’est qu’une musique d’attente numérique.”
Même constat sur les contenus automatisés : “C’est comme avoir une équipe de contenu extensible, qui travaille 24h/24.” Idéal pour les enseignes aux vastes catalogues. Et côté logistique, des outils d’IA permettent déjà de détecter les risques dans la chaîne d’approvisionnement, d’ajuster les commandes dynamiquement ou de négocier des tarifs à partir de schémas récurrents. “Ce n’est pas spectaculaire, mais ça fait vraiment bouger les lignes.”
Chez Decathlon, cela se traduit par des prédictions de demande croisées avec météo et calendrier sportif. L’enseigne utilise aussi la robotisation intelligente dans ses entrepôts. Casino, de son côté, affine ses prévisions de ventes à l’échelle du point de vente et du produit, pour réduire les gaspillages tout en assurant la disponibilité.
Une transformation organisationnelle autant que technologique
Mais l’IA ne fonctionne vraiment que si elle est intégrée au quotidien, pas superposée. “Si votre équipe doit tout changer dans sa manière de travailler pour utiliser l’IA, elle ne le fera pas. Les meilleurs résultats viennent des intégrations invisibles” résume Massimo Volpe. Et c’est bien l’un des défis soulevés par Arnaud Gallet : “Repenser ses pratiques et son organisation en tant que retailer à l’ère de l’intelligence artificielle ne consiste pas simplement à adopter de nouveaux outils, mais à engager une transformation structurelle et culturelle en profondeur.”
Cela suppose une gouvernance de la donnée rigoureuse (CRM, ERP, e-commerce, magasins, réseaux sociaux), des équipes pluridisciplinaires mêlant IT, data, et métiers, des modes projet agiles, en test & learn, via des POC à fort impact métier et une acculturation de tous les collaborateurs, y compris en magasin.
Mais les obstacles restent nombreux. “La moitié des systèmes n’ont pas été conçus pour dialoguer entre eux. Et l’autre moitié n’a pas été conçue pour être interrogée” note Massimo Volpe. Résultat : des IA cloisonnées, peu orchestrées. “On jongle avec un flux de travail façon Frankenstein, qui casse dès qu’un paramètre change.”
Et les risques ne sont pas que techniques : hallucinations, marges d’erreur, mauvais pricing, etc. “Un bon pilote ne passe pas à l’échelle si la marge d’erreur dépasse ne serait-ce que 3 %” insiste-t-il. Sans parler des blocages invisibles : “Le juridique et la cybersécurité bloquent discrètement plus de projets qu’on ne l’imagine dans les comités de direction.”
Une décennie pour réinventer la relation entre tech et humain
D’ici 2030, l’IA devrait s’infiltrer dans toutes les décisions mais de façon invisible. “L’IA cessera d’être une abstraction pour s’intégrer dans les décisions du quotidien, invisible mais décisive. Les retailers les plus malins s’en serviront pour simplifier, pour épurer. Pour créer moins d’interactions, mais de meilleures.”
Pour Massimo Volpe, la vraie rupture ne sera pas dans les technologies elles-mêmes, mais dans qui les développe. “Les retailers vont arrêter de déléguer toute leur réflexion à des prestataires et commencer à acquérir ou à incuber des startups en interne.”
Et cette évolution devra se faire avec des garde-fous humains. Car la personnalisation atteint ses limites. “Ce n’est pas parce que vous pouvez suivre mon cycle de sommeil et m’envoyer des réductions sur des snacks quand je manque de sommeil paradoxal que vous devez le faire.” La question ne sera plus seulement "pouvons-nous le faire ?", mais "devons-nous le faire ?"
Dans un secteur sous pression, où chaque point de marge compte, l’IA n’est plus un luxe technologique mais un levier de compétitivité. Les enseignes qui réussiront cette transition ne seront pas celles qui en font une vitrine, mais celles qui savent en faire un moteur invisible, intégré et responsable de leur performance future.