Le capital-risque français vit un paradoxe. D’un côté, des milliards d’euros levés et non déployés. De l’autre, des startups en amorçage qui peinent à trouver leurs premiers investisseurs. Selon le French Tech Journal, seuls 147 tours de pré-seed et de seed ont été recensés au premier semestre 2025, contre 410 sur la même période en 2024. Une chute de 64 %. Même sur les mois les plus actifs pour l’early stage, comme le mois de mai 2025 (24 deals en amorçage), la tendance à la contraction se confirme d’un mois sur l’autre. Or, ce segment est la racine de tout l’écosystème. Sans jeunes pousses financées, pas de scale-up à financer.


L’argent ne manque pas, mais il n’est pas déployé

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le problème n’est pas un assèchement des financements. « En 2024, les fonds de capital-risque français ont levé 2,8 milliards d’euros (pour 80 fonds), soit davantage qu’avant la pandémie », avance Jérôme Masurel, co-fondateur et CEO de 50 Partners. « Nous atteignons aujourd’hui un record avec 50 milliards d’euros de dry powder (argent disponible) en Europe”, poursuit-il.

Mais ces fonds ne sont pas suffisamment déployés par les investisseurs. Selon le cabinet de conseil en innovation In Extenso Innovation Croissance, les investissements dans les startups françaises ont chuté de 34 % en montant levés et de 60% en nombre de deals réalisés au premier semestre 2025. Cette baisse touche tous les stades, y compris l’amorçage. « Jusqu’ici, le secteur de l’amorçage s’était toujours révélé dynamique, y compris après la crise Covid. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », confirme Olivier Baroux, Président de Paris Business Angels. Selon lui, c’est la première fois qu’une inflexion aussi nette est constatée sur cette tranche de financement critique pour les startups.

Malgré ce contexte, les principaux réseaux de business angels démontrent une vraie résilience. Chez Paris Business Angels, les montants investis ont continué leur progression au premier semestre, avec 2,5 millions d’euros levés, sans pour autant baisser le niveau d’exigence. « Pour les premiers tours, nous n’investissons que sur 1 % des 1 200 à 1 500 dossiers reçus chaque année », détaille Olivier Baroux.



Une montée des exigences qui fragilise les premières étapes


Dans un contexte plus incertain, les investisseurs se montrent plus sélectifs. Les projets rentables, portés par des équipes expérimentées, dans des verticales attractives comme l’IA, tirent leur épingle du jeu. « Les projets les plus prometteurs lèvent très vite, avec des valorisations encore élevées », observe Jérôme Masurel. Mais cette sur-attention aux “bons dossiers” cache une autre réalité : celle d’un entonnoir qui se rétrécit dangereusement. « Les projets qui n’entrent pas parfaitement dans les cases, sont écartés. Et cela touche de plein fouet l’amorçage », poursuit-il.

Cette prudence s’explique aussi par une dégradation des perspectives de sortie dûe à une quasi-absence d’IPO et du fort ralentissement des opérations de M&A. « Aujourd’hui, les exits sont plus rares, plus tardifs, et se font dans des conditions moins favorables pour les business angels », explique Olivier Baroux. Avant, on espérait une sortie entre 3 et 5 ans. Désormais, elle intervient parfois plusieurs années après cet horizon. Et quand elle a lieu, les clauses de liquidité préférentielle négociées par les fonds VC pénalisent ceux qui ont investi et accompagné le projet au début. « Si cette tendance se poursuit, des business angels pourraient réduire, voire stopper leurs investissements. Aujourd’hui, ils prennent tous les risques, sans nécessairement bénéficier du retour attendu sur des dossiers ayant pourtant réussi leur phase de croissance », dénonce Olivier Baroux.



Soutenir les projets pour augmenter la qualité des dealflow

Au-delà du financement, l’accompagnement semble être un levier important pour permettre à un plus grand nombre de startups de devenir finançables. « Il y a deux types de projets qui s’arrêtent : ceux qui ne sont pas pertinents (produit, marché, équipe etc), et ceux qui ont un fort potentiel mais qui échouent pour des raisons qui peuvent être évitées (pactes d’associés mal ficelés, rythme d’investissement inadapté, erreurs stratégiques évitables etc) », alerte Jérôme Masurel.

Sur les 3000 nouveaux projets français par an, 80% s’arrêteront dans les 5 ans. Ce taux remonte de 50% lorsque les projets sont accompagnés par des incubateurs/accélérateurs/startup studios. Chez 50 Partners par exemple, sur 150 startups accompagnées depuis 2012, seules 13 ont cessé leur activité. « Un accompagnement bien structuré permet de faire baisser significativement le risque. Il faut soutenir les structures qui soutiennent l’amorçage, partout en France », insiste Jérôme Masurel.

S’il est possible d’augmenter le taux de succès et le développement des jeunes projets, alors c’est tout l’écosystème et notamment les investisseurs en venture capital qui en bénéficieront « L’amorçage, c’est le début de la branche sur laquelle nous sommes tous assis », relève-t-il.



Recréer un cercle vertueux de financement


Pour relancer le financement early stage, plusieurs leviers sont envisagés. D’abord, revaloriser le rôle des business angels dans la sélection, l’accompagnement et la structuration des projets. Parmi les pistes concrètes : généraliser les Special Purpose Vehicule (SPV) soit des véhicules d’investissement qui permettent d’investir à plusieurs investisseurs dans des startups, maintenir les incitations fiscales (IR-PME, JEEI), ou créer des mécanismes de garantie publique pour sécuriser une partie des tickets de Business Angels. « Une protection des investissements business angels aurait pour conséquence d’augmenter significativement le nombre d’investisseurs et les montants engagés», résume Jérôme Masurel. Des solutions peu couteuses qui, selon lui, permettraient de dynamiser un secteur du financement critique et qui ne sera jamais couvert par les VC traditionnels.

Les deux hommes appellent également à une action collective. « Il faut rapprocher les business angels et les VC, travailler avec la French Tech, France Digitale, France Angels, France Invest, la BPI… Personne ne pourra résoudre ce problème seul », insiste Olivier Baroux. Un groupe de travail entre toutes les parties prenantes est d’ailleurs en cours de création à la rentrée. Avec une priorité : élargir l’entonnoir à la base, tant en termes de deals de qualité et de liquidités disponibles, pour garantir l’avenir de l’écosystème.