A quelques jours de la rentrée, François Bayrou a fait sortir brutalement les Français de leurs vacances en annonçant un vote de confiance à l’Assemblée nationale. De quoi mettre le feu aux poudres dans la classe politique tricolore… et de susciter de nombreuses inquiétudes dans les rangs de l’écosystème tech de l’Hexagone. Que ce soit dans les allées de la REF du Medef à Roland-Garros, ou dans nos échanges avec les entrepreneurs et les investisseurs ces derniers jours, c’est souvent la même tonalité qui revient : «On se serait bien passer d’une nouvelle période d’instabilité.»
Dans les allées de la REF du Medef, les entrepreneurs ne cachaient pas leur amertume devant la situation actuelle, surtout que le tableau était déjà loin d’être parfait ces derniers temps. «Les derniers mois ont été assez compliqués, avec un climat assez frileux au niveau des investissements. Des projets ont été mis en pause ou repoussés à 2026», relève ainsi Elodie Bondi, directrice générale de Qualisteo, startup spécialisée dans l’optimisation énergétique sur les sites industriels, et co-président de la French Tech Côte d’Azur. «Nous étions assez contents en mai, juin et juillet, car ça repartait un peu comme avant. Mais il va y avoir un nouveau coup d’arrêt au mois de septembre. Nous sommes plutôt inquiets», ajoute-t-elle.
«Le monde entrepreneurial a besoin d’une stabilité politique»
Même son de cloche chez le patron de Skyted, jeune pousse toulousaine qui a conçu un casque permettant de passer des appels silencieux et confidentiels. «L’instabilité du marché est vraiment problématique. Pour une entreprise deeptech et de recherche fondamentale comme la nôtre, c’est vraiment flou pour savoir quelle va être l’offre que l’on pourra proposer à nos investisseurs. On veut faire une usine made in Toulouse et Occitanie, mais on ne sait pas à quelle sauce on va être manger», note Stéphane Hersen, CEO de Skyted. Avant de renchérir : «C’est un vrai problème quand on est engagé dans une compétition mondiale avec les États-Unis et la Chine, car nous n’avons pas de visibilité sur l’évolution du marché à quatre mois.»
A ses yeux, il est nécessaire que les soubresauts de la vie politique française cessent rapidement. «Le monde entrepreneurial a besoin d’une stabilité politique. On aimerait que les choses soient plus simples… Il faut aider les startups à investir et à croître en France. Et pour cela, il faut une vision à 3 ou 5 ans que l’on a pas aujourd’hui», constate-t-il avec dépit. Car si l’écosystème des startups semble pour l’heure épargné dans les dispositions prises par le gouvernement pour alléger le budget 2026 de l’État, l’instabilité politique actuelle n’est pas de nature à rassurer les investisseurs étrangers ou même les fonds tricolores qui demeurent dans l’expectative.
«On ne peut pas nier un climat d'incertitude qui fait peur»
Présente à Roland-Garros pour la REF du Medef, Julie Huguet, la directrice de la Mission French Tech, ressent également les préoccupations qui agitent actuellement l’écosystème. «Les entrepreneurs nous disent qu’ils ont besoin de stabilité. Et pour cause, une bonne stabilité politique engendre une bonne stabilité économique, ce qui est essentiel pour faire leur business», observe-t-elle.
Néanmoins, Julie Huguet veut se montrer optimiste dans ce contexte délicat. «A la REF, les seules bonnes nouvelles que l’on trouve, elles sont souvent sur le stand de la French Tech. C'est-à-dire que les entrepreneurs qui innovent vraiment, ils créent de l'innovation, ils font du business, ils continuent à lever des fonds… Même si ça s'est ralenti, il y a quand même des très belles levées de fonds. J'ai encore parlé à des entrepreneurs qui s'apprêtent à faire de très belles annonces. Donc les bonnes nouvelles sont quand même là, mais on ne peut pas nier un climat d'incertitude qui fait peur», explique-t-elle.
«Veut-on vraiment revenir en arrière ?»
Autre figure importante de la tech française, Roxanne Varza, la directrice de Station F, a également pris la parole sur LinkedIn pour donner son point de vue sur la situation actuelle. «C’est une période pleine d’incertitudes — ce qui n’est jamais une bonne chose. Je ressens l’anxiété autour de moi», indique-t-elle sur le réseau social professionnel.
«À Station F, nous sommes au contact des entrepreneurs tous les jours. Celles et ceux qui démarrent, qui se lancent, qui osent. Ils veulent se développer, recruter, innover, rendre notre pays plus compétitif. Mais sans stabilité politique, c’est impossible pour eux d’avancer. C’est la condition sine qua non de l’innovation (qui est déjà assez risquée !). Sinon, pas d’investissements, pas de conditions avantageuses pour les prêts, moins de recrutements, moins d’attractivité tout court», ajoute-t-elle. Avant de s’interroger : «Est-ce vraiment ce que nous voulons ? La France était classée 4e écosystème mondial en début d’année — devant Los Angeles, Londres, même Tel Aviv… Qui l’aurait cru il y a encore quelques années ? Veut-on vraiment revenir en arrière ?»
C’est donc de manière fébrile que la French Tech effectue sa rentrée. Si l’écosystème est quelque peu dépité par la chute annoncée du gouvernent de François Bayrou, les différents acteurs de la tech veulent néanmoins croire que la fameuse «résilience», notion déjà bien éprouvée depuis la pandémie de Covid-19, permettra de surmonter cette période difficile dans les prochains mois. Elle sera bien utile à plus long terme, dans la mesure où le retour d’une stabilité politique semble hypothétique jusqu’à la prochaine élection présidentielle au vu de l’éclatement de la représentation des groupes politiques à l’Assemblée nationale. A moins d’une nouvelle dissolution ? Pas sûr qu’elle telle perspective soit cependant souhaitée par de nombreux entrepreneurs et investisseurs.