Avec ses tickets plus généreux, ses investisseurs sophistiqués et un marché plus ouvert à l’innovation, les États-Unis représentent une promesse d’accélération pour les startups françaises. Mais cette expansion aux États-Unis ne s’improvise pas. « Il est contre-productif de chercher à lever là-bas si l’on n’y réalise encore aucune activité », prévient Louis Sautet, Partner chez Founders Future. « Pour maximiser ses chances, il faut avoir prouvé l’existence d’un product-market fit sur le marché domestique, et commencer à démontrer une traction commerciale réelle aux États-Unis », ajoute-t-il.

Même prudence du côté de Yoann Brugière, cofondateur d’Orbiss, cabinet d’expertise comptable dédié à l’implantation des entreprises françaises aux États-Unis. « Une levée aux États-Unis demande des ressources importantes, tant sur le plan juridique que fiscal. C’est une opération qui peut fragiliser une structure encore trop jeune », rappelle-t-il. Selon lui, le bon moment se situe lorsque le produit a trouvé son public en France, que la proposition de valeur est solide et que l’entreprise a les moyens d’envisager une implantation physique. 

Structurer sa présence avant de pitcher

L’une des premières attentes des fonds américains concerne la structuration juridique. « Ils sont encore très attachés à la Delaware C-Corp, un statut juridique pour les sociétés qui s’enregistrent dans le Delaware », indique Louis Sautet. « Ils voient d’un mauvais œil les entreprises dont le siège juridique reste en France, car ils ont peur du risque fiscal, même s’il faut reconnaître qu’ils sont plus souples qu’avant », poursuit-il. Pour rassurer les investisseurs, il est donc souvent nécessaire de créer une entité juridique américaine et de la désigner comme société mère du groupe.

Une démarche que Yoann Brugière connaît bien. « Cela implique ce qu’on appelle un “flip” : soit on crée une holding américaine dans laquelle on apporte les titres de la société française, soit on inverse la structure pour que la filiale US devienne la tête de groupe », explique-t-il. « C’est une opération complexe, qui demande du temps, un bon accompagnement juridique et fiscal, et surtout un budget conséquent », ajoute-t-il.

Mais structurer ne suffit pas. Pour Louis Sautet, l’incarnation joue un rôle clé : « Il faut qu’un des fondateurs s’installe sur place. Les investisseurs veulent sentir un engagement clair vers le marché américain ». Cela passe aussi par un début d’équipe locale, souvent orientée business development. L’enjeu est autant symbolique qu’opérationnel. « Il est souvent plus facile d’obtenir un premier rendez-vous aux États-Unis qu’en France. Mais décrocher un deuxième nécessite une exécution sans faille », prévient-il.

Adapter son discours et structurer ses bases

L’une des différences culturelles les plus marquées entre les deux écosystèmes concerne la manière de pitcher. « En France, on valorise la prudence, la rigueur, la rationalité. Aux États-Unis, on attend une vision, une ambition très forte, un vrai sens du storytelling », observe Louis Sautet. « Le fondateur doit être capable de projeter l’investisseur dans une trajectoire de croissance ambitieuse, parfois même avant que les chiffres ne soient au rendez-vous », conseille-t-il.

C’est dans cette logique qu’est née la Rule of 40, un indicateur-clé dans le secteur du SaaS. Il additionne le taux de croissance annuel d’une entreprise et sa marge d’EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements). Si la somme dépasse 40 %, l’entreprise est considérée comme performante : elle peut croître très vite en perdant de l’argent, ou être rentable avec une croissance plus modérée.

Malgré cette tolérance apparente, la rigueur opérationnelle reste cruciale. Yoann Brugière d'Orbiss met en garde contre une forme de relâchement comptable parfois observée : « Contrairement à la France, la comptabilité n’est pas réglementée aux États-Unis. Il est donc fréquent que les entrepreneurs délaissent cette partie, ou la confient à des prestataires low-cost sans contrôle », déplore-t-il. Résultat : au moment de préparer une levée de série A, les comptes sont souvent à reprendre. « C’est dans ces moments-là que beaucoup reviennent nous voir, pour remettre de l’ordre. Mais il est toujours plus coûteux de corriger que de bien structurer dès le départ », rappelle-t-il.

Sur tous les aspects, il est important de s’entourer de personnes qui connaissent les rouages de l’Oncle Sam : avocats, fiscalistes, pairs américains. Outre ses compétences comptables, Orbiss accompagne aussi ses clients dans leur préparation stratégique. « En 15 ans, nous avons vu passer des centaines de projets. Rien qu’en consultant un deck ou un business plan, nous pouvons souvent identifier les points qui pourraient poser un problème aux investisseurs américains », conclut Yoann Brugière.