La colère gronde chaque jour un peu plus dans l’écosystème à l’égard de la taxe Zucman. Alors que cette dernière est l’une des pistes envisagées pour taxer les grandes fortunes, les entrepreneurs s’en inquiètent et estiment qu’elle pourrait nuire à l’esprit d’entreprendre à la française. De là à penser qu’un nouveau mouvement des Pigeons pourrait voir le jour, il n’y a qu’un pas que l’écosystème pourrait franchir à mesure que les débats s’enflamment sur le budget 2026 de l’État.

Pour rappel, l’économiste Gabriel Zucman propose d’imposer à hauteur de 2 % les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Ainsi, cette taxe, si elle était instaurée, pourrait s'appliquer aux fondateurs de licornes et de startups françaises, qui détiennent une part significative de leur entreprise. C'est notamment le cas des fondateurs de Mistral AI, valorisée aujourd'hui près de 12 milliards d'euros après sa méga-levée de fonds de 1,7 milliard d’euros. Arthur Mensch, Timothée Lacroix et Guillaume Lample, les trois créateurs de la pépite française de l'IA générative, possèdent encore une part non négligeable, qu'on ne connaît pas précisément, de leur startup. Ce qui les assujettirait à cette taxe si elle était votée.

L’intervention d’Éric Coquerel a mis le feu aux poudres

Les réactions négatives à cette taxe se sont multipliées dans l’écosystème la semaine dernière, et plus encore depuis l’intervention du député LFI Éric Coquerel, président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale, sur le plateau de BFM Business. Et pour cause, ce dernier a donné l'impression de confondre le salaire des entrepreneurs, leur patrimoine et la valorisation de leur entreprise. Or cette taxe concerne bien le patrimoine des grandes fortunes, soit la valeur totale de leur richesse, peu importe qu'ils gagnent ou non de l'argent.

Dans ce contexte, de nombreuses figures de la French Tech, comme Éric Larchevêque, n’ont pas manqué de fustiger sur les réseaux sociaux cette méconnaissance de l’économie et du monde des entreprises. Et face à l’intérêt croissant du monde politique et syndical pour cette taxe, présentée comme la solution miracle à la crise budgétaire de la France, 36 entrepreneurs et investisseurs de la tech française, dont Jean-David Chamboredon (ISAI), Philippe Corrot (Mirakl), Vincent Huguet (Malt), Tatiana Jama (Sista), Roxanne Varza (Station F), Matthieu Rouif (Photoroom) ou encore Marc Menasé (actionnaire de Maddyness, ndlr), ont signé une tribune dans L’Opinion.

«La proposition de Zucman nous détourne du principal enjeu de notre pays»

Décidés à faire entendre leur voix, les entrepreneurs et investisseurs de la French Tech adoptent un ton offensif pour dénoncer la taxe Zucman. «Pour nous, entrepreneurs et investisseurs français, la proposition de Zucman est non seulement inopérante, mais elle nous détourne du principal enjeu de notre pays : le risque d’un décrochage économique et technologique par rapport au reste du monde, dans un contexte international de plus en plus dangereux et fragmenté», écrivent-ils d’entrée de jeu.

Échaudés par les remarques selon lesquelles les fondateurs de licornes seraient forcément riches, ils n’ont pas tardé à démontrer l’absurdité de la taxe pour le monde de la tech : «Cela obligerait de nombreux fondateurs à céder une partie de leur capital pour s’acquitter de l’impôt. L’idée de permettre à l’État de prélever des actions à l’entrepreneur si le patrimoine n’est pas liquide ne fonctionne pas : elle n’apporte pas de revenus liquides à l’État, et serait rédhibitoire pour nos investisseurs.» Avant d’ajouter : «Laisser entendre qu’il nous suffit de taxer la richesse, en la confondant avec le capital entrepreneurial, c’est décourager la réussite là où elle devrait être valorisée. C’est nous détourner des vrais sujets sur la viabilité de notre modèle.»

«Un contresens stratégique et une non-réponse aux problèmes structurels de la France»

Plutôt que de taxer leur patrimoine, les entrepreneurs et investisseurs militent plutôt pour «une meilleure orientation de l’épargne», encore trop peu mobilisée pour financer le développement des startups. Surtout, ils estiment que cette taxe ne résoudra pas le problème budgétaire et serait préjudiciable pour la tech française face à une compétitivité mondiale accrue à l’heure de la révolution de l’IA.

«Cibler les entrepreneurs, au moment où les Etats-Unis et la Chine investissent massivement dans l’innovation, est un contresens stratégique et une non-réponse aux problèmes structurels de la France. Notre priorité doit être au contraire de renforcer notre capacité à produire en France et en Europe, de réduire nos dépendances technologiques et industrielles, et de soutenir ceux qui prennent des risques pour bâtir les champions de demain. La taxation du patrimoine professionnel ne répond pas à ce diagnostic, elle l’aggrave», estiment les signataires.

Entrepreneurs et investisseurs sont d’autant plus échaudés par cette taxe que les efforts fournis pour faire émerger la French Tech portent leurs fruits. La rentrée a été notamment été marquée par le tour de table XXL de Mistral AI, rendu possible par le soutien du groupe néerlandais ASML. «Nous avons prouvé que la France peut faire émerger des géants capables de rivaliser avec les États-Unis ou la Chine. Protéger notre liberté, c’est aussi garantir le poids économique de la France et de l’Europe et réduire nos dépendances», écrivent les signataires. Avant de réaffirmer leur attachement à la France : «Nous aimons la France. Nous voulons y investir, y créer des emplois, y développer les technologies qui renforcent notre indépendance et notre puissance, qui apportent des solutions concrètes aux Français en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures. Mais cela suppose un environnement stable et compétitif. La taxe Zucman serait tout l’inverse.»

«Un piège mortel pour l’économie française»

Dans la même veine, Philippe Corrot, le patron de Mirakl, s’est offusqué de l’idée de faire peser cette taxe sur les entrepreneurs. Dans une tribune publiée sur Les Échos, il estime carrément que la taxe Zucman constitue «un piège mortel pour l’économie française» et qu’elle «menace de détruire en quelques années ce que la France a mis une décennie à construire».

Le dirigeant de la licorne tricolore tire également la sonnette d’alarme sur les conséquences d’une telle mesure pour l’écosystème tech en lui-même. «L'entrepreneur se retrouverait dans une situation kafkaïenne : contraint de vendre ses parts à bas prix pour s'acquitter d'un impôt sur une richesse virtuelle. Cette vente forcée ouvre la porte aux opportunismes. Des fonds américains ou chinois pourraient racheter nos pépites technologiques, nous privant de notre souveraineté numérique», écrit-il.

Cet argument sera-t-il suffisant pour écarter la taxe Zucman ? Rien n’est moins sûr. Mais tant qu’elle sera sur la table, la colère des entrepreneurs et investisseurs ne devrait faire que se renforcer à l’heure où les vents contraires de l’économie et de la géopolitique mondiales préoccupent déjà fortement l’écosystème.