«Tu vas transformer la France en prison fiscale !» Rapidement, l’économiste Philippe Aghion a donné le ton pour son débat avec Gabriel Zucman, dont la taxe qui porte son nom fait énormément réagir ces derniers jours dans la French Tech. Dans le cadre champêtre du Musée des Arts forains, à Paris, l’échange entre les deux économistes était très attendu par les participants au FDDAY de France Digitale. Si elle était intéressante, la discussion est parfois sortie de son cadre, tandis que les réactions parfois appuyées du public ont donné à cet échange pourtant sérieux une ambiance de basse-cour.

Répondant à l’invitation de France Digitale pour éclairer sa pensée autour de la taxe destinée à imposer à hauteur de 2 % les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, Gabriel Zucman a d’abord tenté d’expliquer l’essence de sa mesure. «Je comprends les craintes qui peuvent s’exprimer sur l’impact potentiel sur la croissance et l’innovation. Il s’agit de taxer des personnes, et non des entreprises, suit environ 1 800 contribuables. On a eu les mêmes débats il y a 120 ans lors de la création de l’impôt sur le revenu. Depuis, les catastrophes annoncées ne se sont pas produites, et c’est précisément l’inverse qui s’est produit. La proposition que je défends vise à seulement à parachever l’impôt sur le revenu», a-t-il détaillé.

Aghion : «Pourquoi viser des startups à forte valorisation mais pas encore profitables ?»

Mais rapidement, Philippe Aghion a répliqué pour démontrer les limites de cette taxe Zucman. «On partage le même désir de prospérité avec Gabriel Zucman, mais la prospérité doit être partagée. Mais le problème avec cette taxe, c’est qu’elle inclut l’outil travail. Pourquoi viser des startups à forte valorisation mais pas encore profitables ?», s’est-il interrogé. Avant de poursuivre : «Je ne voudrais pas que la France manque la révolution de l’IA car nous décourageons des personnes comme Arthur Mensch qui démarrent des choses et qui relèvent purement de la valorisation à l’heure actuelle. Je veux un impôt distributif, je veux mettre à contribution les plus fortunés mais je ne veux pas que ceux qui fassent la révolution de l’IA en France quittent le pays !»

Par ailleurs, Philippe Aghion estime que la taxe Zucman aurait un effet particulièrement négatif en restant cantonnée à la France. «Tu ne peux pas faire la taxe Zucman en France, mais au niveau européen ? Si la France fait ça à son échelle, elle va apparaître comme un pays très différent des autres pays européens. Or ces dernières années, l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers a augmenté. Tu vas transformer la France en prison fiscale !» Une punchline saluée par le public, puis prolongée quelques minutes plus tard : «Dès que quelqu’un invente quelque chose en Europe, il part aux États-Unis. Il faut qu’on ait un écosystème qui permette à nos licornes de grandir en Europe. C’est possible comme on peut le voir en Scandinavie où les pays sont plus innovants et égalitaires que nous.»

Zucman : «Il faut inventer un modèle fondé sur la souveraineté et la coopération»

Face au ton offensif de son interlocuteur, Gabriel Zucman a esquissé un pas dans la direction de Philippe Aghion. «Je suis pour que cette taxe soit européenne et mondiale. Mais il faut que la tech européenne invente son propre modèle à elle. Il faut inventer un modèle qui n’est pas américain, surtout avec la dérive oligarchique qu’on observe là-bas à l’heure actuelle. Il faut inventer un modèle fondé sur la souveraineté et la coopération. Et ça commence par payer comme pour tous les autres Français un peu d’impôts», a expliqué l’économiste qui défraie la chronique en cette rentrée économique et politique chaotique. Avant d’ajouter : «Je demande juste à parachever ce qu’on a commencé il y a plus d’un siècle !»

Néanmoins, Gabriel Zucman reste d’accord sur le principe selon lequel il faut continuer à soutenir les entrepreneurs tricolores, mais pas à n’importe quel prix. «On a besoin d’encourager l’innovation, de développer nos startups, mais on ne peut pas créer une hiérarchie dans le mérite qui serait telle que les fortunes seraient tellement au-dessus des autres qu’elles sortiraient de la solidarité nationale. Cela ne fonctionne pas, c’est une attaque contre nos idéaux de démocratie. Les plus riches ne devraient pas pouvoir payer moins que les autres catégories sociales. Donc il faut un mécanisme correctif», a-t-il estimé devant des entrepreneurs et investisseurs pas forcément convaincus.

Aghion propose une taxe Zucman à 1,5 % qui épargne les startups

Plutôt que de s’entêter avec cette taxe Zucman, Philippe Aghion propose des méthodes fiscales alternatives, comme un rétablissement de l’ISF, une contribution différentielle sur les hauts patrimoines hors outil de travail, une taxation des ressources non-productives placées dans les holdings ou… une taxe Zucman revisitée à 1,5 % en exonérant les entreprises de moins de 10 ans. «Le problème de l’Europe, c’est qu’on ne fait pas assez d’innovations de rupture. Or on doit rattraper les États-Unis et la Chine et nous sommes le pays qui taxe le plus le capital avec le Danemark», a-t-il étayé pour justifier sa position. Une intervention applaudie par l’audience.

Si Philippe Aghion et Gabriel Zucman ne partiront visiblement pas en vacances ensemble pour discuter de cette taxe, ce débat aura au moins eu le mérite de faire réagir. En tout cas, Gabriel Zucman a accepté l’invitation de Maya Noël, la directrice générale de France Digitale, pour prendre part prochainement à une nouvelle discussion avec les entrepreneurs français.

Affaire à suivre donc !