Alors que les grands groupes s’emparent massivement de l’IA générative, les promesses de transformation peineraient à se concrétiser. Selon un rapport polémique du MIT “GenAI Divide” publié en août 2025, 95 % des projets GenAI échouent à franchir le cap de la production. Face à cette déperdition, certains choisissent de s’associer à des startups spécialisées, plutôt que de s’appuyer exclusivement sur leurs équipes internes. Elles constituent, dans certains cas, une alternative aux équipes en interne pour industrialiser les projets, et même parfois même les sauver de l’enlisement, à condition de ne pas en faire des substituts à une stratégie inexistante.
Pour Bruno Zerbib, Chief Technology and Innovation Officer chez Orange, le moment actuel rappelle les débuts d’Internet : “on est comme en 1995, au moment du web décoratif.” À l’époque, les entreprises qui créaient leurs premiers sites Web, se contentaient de vitrines sans impact. Il a fallu une décennie pour transformer le web en moteur de business. “L’IA générative est à ce même point de bascule : il reste à comprendre comment opérationnaliser.” Mais ce passage à l’opérationnel est tout sauf trivial. Si les projets menés par les équipes Tech en interne permettent souvent d’explorer, de tester, ou de prototyper, dès qu’il s’agit de passer à l’échelle, les limites apparaissent. C’est tout l’objet du rapport “GenAI Divide” publié par le MIT en août dernier, qui alertait sur le très faible taux de passage en production des projets GenAI. Il relevait cependant un point de divergence notable : les projets menés en partenariat avec des startups affichaient un taux de succès significativement plus élevé que ceux portés uniquement en interne.
Internaliser quand c’est possible, s’appuyer quand c’est utile
Au sein du Groupe SEB, cette limite est clairement identifiée. L’IA générative n’est ni une posture, ni une vitrine. Actuellement, le groupe pilote une dizaine de projets, tous structurés autour d’un principe simple : s’appuyer sur les compétences internes quand elles existent, sinon aller chercher l’expertise à l’extérieur. "Nous ne partons pas d’une solution, mais d’un besoin exprimé”, insiste Geoffrey Huber, chef de projet IA. “Le métier exprime un besoin, l’IT évalue si elle a les ressources et les compétences, si c’est pertinent d’internaliser, ou si on va chercher à l’extérieur.”
Par cette logique pragmatique, un fournisseur de solutions digitales a été sélectionné pour déployer une IA conversationnelle, améliorant ainsi l'avant-vente sur les sites e-commerce.. Un appel d’offres, plus de 50 solutions scoutées, 6 réponses, 3 finalistes, et une sélection basée sur la capacité à aller vite, à industrialiser, à scaler... internationalement.
Du côté d’Orange, le sujet est tout autre. L’IA générative est un levier pour notamment désenclaver l’héritage technique. “Nos équipes travaillent sur l’automatisation de pans entiers de code ancien, ce qui permettrait de s’abstraire progressivement de systèmes complexes, souvent bloquants”, explique Bruno Zerbib. Un chantier qui exige un haut niveau de maturité technologique, bien sûr, mais aussi organisationnelle. Et surtout : la capacité à transformer l’expérimentation en valeur durable.
Du POC au produit : la vallée de la mort
Partout, la GenAI fait naître des projets par centaines. Mais peu franchissent le cap de l’industrialisation. “Généralement, on lance des POC qui fonctionnent sur une dizaine de documents, mais la réalité de l’entreprise c’est des centaines de milliers” résume Igor Carron, CEO de LightOn. “Beaucoup de groupes ont lancé des projets, mais concrètement, ils n’ont fait qu’une démo !”
Le passage à l’échelle expose toutes les failles : gouvernance absente, dette technique, empilement de solutions, non-respect de la compliance, sans parler des failles de sécurité. Et souvent, à ce stade, la réponse est d’externaliser. “On voit plein de groupes faire un truc et se dire : maintenant c’est bon, on va le filer à un prestataire.”
Mais industrialiser la GenAI n’est pas une tâche d’exécution. C’est une dynamique d’orchestration. “On peut faire illusion 2–3 mois avec un outil bricolé. Mais ensuite ça explose” poursuit Igor Carron. Le problème n’est pas la technologie, mais la manière de l’opérer. “L’IT classique, c’est on fait un truc, on le livre, c’est fini. Là c’est pas comme ça. La GenAI c’est pas un logiciel qu’on livre. C’est un système qu’on opère.”
Et pour Igor Carron, c’est chacun son métier. Les entreprises construisent leurs produits, et les startups peuvent devenir des partenaires clés. Pas pour concevoir à la place, mais pour intégrer, faire tenir l’ensemble, opérer. Encore faut-il que les grands groupes ne les réduisent pas à des rustines techniques, appelées à la rescousse une fois le POC en échec. Leur impact réel dépend de la manière dont elles sont embarquées dans le projet : avec une vision claire, des cas d’usage solides, et un ancrage dans les métiers. Car comme le rappelle Igor Carron : “La valeur ne vient pas du modèle. Elle vient du fait qu’on l’a connecté aux bons endroits.”
Quand l’usage devient transformation
Mais même un projet bien industrialisé ne garantit pas l’impact. Car entre la plateforme technique et la valeur business, il reste un dernier saut à franchir : l’usage. C’est là que se joue la vraie transformation. Et c’est aussi là que ça coince. “Le gros problème c’est que les groupes ne sont pas habitués à changer à la vitesse à laquelle une IA générative les pousse à changer” constate Quentin Amaudry, fondateur de Mendo, une solution spécialisée dans l’adoption fine de la GenAI par les métiers.
Selon lui, beaucoup d’initiatives échouent non pas faute de moyens, mais faute de finesse dans le déploiement : des campagnes et des newsletters génériques, quelques vidéos, des emails, puis plus rien. “Généralement, il y a une chaîne de cinq/six mails et trois webinaires, et ensuite plus rien. C’est tellement dommage. Le premier contact doit vraiment être waouh.”
Chez Mendo, on parle de “passage à l’échelle des usages”. Un outil ne sert à rien s’il ne résout pas un blocage réel. “Généralement, ce n’est pas le fait de générer du texte, de corriger un email ou de traduire un texte qui est intéressant pour les collaborateurs ou qui crée réellement de la valeur pour les entreprises. C’est plutôt le moment où ils réalisent que quelque chose les freinaient depuis des années… Et qu’à présent, ils peuvent l’automatiser.”
L’adoption devient alors un levier d’innovation terrain. Mais pour cela, il faut une stratégie de transformation qui s’intègre finement dans les processus. “On forme pour qu’ils puissent repenser les processus, et que tout le sujet de l’adoption finale soit beaucoup plus simple.” Pas de surcouche magique, mais une montée en compétence progressive et “de la GenAI partout, à toutes les étapes.” Et parfois la magie opère : “il y a des gens qui, a priori, ne devaient pas s’intéresser à truc là, et qui deviennent des portes paroles.”
Les startups peuvent jouer un rôle clé dans le développement des projets GenAI au sein des grands groupes, si elles interviennent au bon moment. Elles apportent alors, vitesse, agilité, expertise. Mais, elles ne remplacent ni une stratégie, ni un plan d’exécution. Et surtout pas une culture d’entreprise apte à accueillir la rupture.