Longtemps perçue comme un bastion réservé aux grands groupes, la commande publique s’ouvre progressivement à la French Tech. Après Alan, qui a décroché un contrat historique avec le ministère de l’Économie, et Swile, qui a remporté deux appels d’offres d’ampleur auprès de France Travail et de Bercy, c’est Mooncard qui vient confirmer la tendance. La fintech française, spécialiste des cartes de paiement professionnelles, prolonge son partenariat avec l’État pour trois années supplémentaires.
Mooncard, symbole d’une nouvelle génération de fournisseurs publics
Fondée en 2016 par Tristan Leteurtre et Damien Metzger, Mooncard vient d’annoncer le prolongement pour trois ans de sa collaboration avec l’administration, amorcée en 2020. Cette décision confirme la place de la fintech comme acteur clé de la modernisation des paiements publics.
Aujourd’hui, Mooncard équipe plus de 3 300 organismes publics, dont 2 000 entités rattachées à des ministères, parmi lesquels l’Intérieur, la Défense et l’Écologie. Sa solution est également utilisée par plusieurs grands comptes privés (Air France, Webedia, Norauto ou Selecta), signe d’un modèle désormais transversal entre secteur public et privé.
Matthieu Bagur, Chief Business & Marketing Officer de Mooncard, revient sur cette confiance renouvelée : “C’est évidemment une satisfaction pour nous que l’État nous refasse confiance.”
L’entreprise, qui a lancé son activité sur les marchés publics en 2020, a significativement renforcé sa présence : “Le premier marché, on avait à peu près un quart des 100 000 cartes mobilité tout-en-un. Aujourd’hui, nous avons plus que triplé ce pourcentage de pénétration dans le marché, avec près de 70 000 cartes mobilité qui accompagnent les agents publics au quotidien” Cette progression illustre un changement profond au sein des administrations : “des entités qui utilisaient encore des solutions traditionnelles sur le premier marché, ont effectué la révolution de leurs méthodes et nous font désormais confiance, ce qui montre un changement, une révolution des usages pour l’État.”
En parallèle, Mooncard affiche une croissance rentable de 70 % de son chiffre d’affaires entre 2024 et 2025, reflet d’un modèle sain et d’une technologie devenue mature. Sa carte intelligente, connectée et paramétrable, renforce la transparence et la traçabilité des dépenses publiques tout en simplifiant le quotidien des agents.
Pour Matthieu Bagur, cette réussite tient à la combinaison de simplicité et d’efficacité : “C’est la praticité, la liberté et de l’efficacité opérationnelle qu’on propose, sans compter évidemment les économies réalisées.”
L’État ouvre la porte aux startups dans ses appels d’offre
Après des années où les appels d’offres semblaient inaccessibles, les administrations amorcent un changement de culture profond. Pour Julie Huguet, directrice de la Mission French Tech, cette évolution relève d’un véritable tournant : “C’est une véritable révolution culturelle qui touche particulièrement le métier des acheteurs public. On ressent un véritable élan de souveraineté, une envie de privilégier d’abord les solutions françaises, puis européennes.”
Une tendance que constate également Mooncard sur le terrain : “Aujourd’hui, on a plutôt tendance à co-construire des appels d’offres ensemble pour leur donner des innovations, et des idées de nouveaux modes de fonctionnement qu’ils n’avaient pas forcément en tête. On va plutôt être main dans la main avec eux pour construire la solution idéale qui va leur convenir.” Ce rapprochement est aussi porté par un attachement croissant à la souveraineté technologique. “On pitch le made in France. C’est un élément sur lequel on s’appuie et je pense que ça fait la différence.”
Le programme “Je choisis la French Tech” vient renforcer cette dynamique. Lancé pour doubler d’ici 2027 les commandes publiques et privées passées auprès des startups, il vise à faciliter leur accès à un marché longtemps jugé trop complexe. “En discutant avec des acheteurs publics, on a réalisé que des marchés porteurs n’étaient pas encore suffisamment accessibles aux start-up, en raison de trop nombreuses barrières à l’entrée”, explique Julie Huguet.
Pour lever ces obstacles, la Mission French Tech a lancé, début 2025, Je choisis la French Tech Academie, une formation gratuite 100% adaptée aux besoins des start-up, déjà suivie par plus de 2 000 startups depuis février. “Les start-up nous ont dit : « On a compris. Maintenant, on passe à l’action. ”
Des startups plus solides et plus souveraines
Ce rapprochement entre startups et institutions n’aurait pas été possible sans une montée en puissance de la French Tech. Les jeunes pousses d’hier sont devenues des scale-ups capables de supporter les cycles longs et les exigences contractuelles du secteur public. “Aujourd’hui, on a des entreprises qui sont matures. Dans le classement Next40/120, c’est 44 % des entreprises qui sont rentables” souligne Julie Huguet.
Mooncard illustre cette maturité par sa capacité à conjuguer innovation et solidité opérationnelle. “Nous mettons à disposition des entreprises privées des comptes pro qu'elles alimentent pour pouvoir utiliser nos solutions de paiement. Pour le public, il s'avère qu'on ne peut pas héberger l’argent de l’État. Nous devons avancer les fonds à chaque paiement. Il faut quand même avoir les épaules et une structure financière tech avancée pour gérer ces flux et nous assurer que nous pouvons récupérer l'argent avancé tout en garantissant un fonctionnement optimal pour des agents qui souvent occupent des rôles clés, Police, armées, pompiers, hôpitaux…)” Cette architecture financière, qui permet à la fintech d’avancer chaque année des centaines de millions d’euros à l’État, illustre la solidité de son modèle et la confiance acquise auprès des institutions publiques.
Cette robustesse se double d’une proximité maintenue avec les clients. “On a su bien garder cette notion de service humain, contrairement à d’autres où dans la tech, il y a quand même beaucoup de bots.”
Un changement de comportement chez les acheteurs publics
L’autre bascule se joue du côté des acheteurs. Après des années de frilosité, les administrations intègrent désormais la souveraineté et l’agilité dans leurs critères de sélection. “On avait une culture du zéro risque avant. Aujourd’hui, un véritable élan de souveraineté vient contrebalancer cette tendance. Ce critère, qui n’existait pas hier, est désormais pleinement pris en compte par les acheteurs” observe Julie Huguet.
Un constat partagé par Mooncard, qui remarque un changement d’approche dans les échanges : “Désormais nos concurrents et nous collaborons avec les acheteurs publics pour la construction des cahiers des charges, on construit. Alors qu’à l’époque, quand on a gagné en 2020, on devait entrer dans le moule de ce qui était imposé.”
Dans un contexte où la souveraineté numérique et la transparence deviennent des priorités nationales, la commande publique s’impose comme un terrain clé pour l’innovation française. Pour la French Tech, c’est à la fois un nouvel espace de croissance et une preuve de maturité.