La French Tech ne sait plus sur quel pied danser. Complètement dépités par la trajectoire politique de la France depuis la dissolution inattendue de l’Assemblée nationale en juin 2024 le soir des résultats des élections européennes, les acteurs de l’écosystème ont accueilli la démission surprise de Sébastien Lecornu lundi matin avec amertume, seulement 14h après l'annonce de son gouvernement (Naïma Moutchou aura brièvement récupéré l'IA et le Numérique). La dernière goutte d’eau d’un vase qui a déjà débordé depuis bien longtemps.

Et pour cause, 8 entrepreneurs sur 10 ne faisaient déjà plus confiance à Emmanuel Macron fin 2024. Depuis, le fossé avec l’exécutif n’a fait que se creuser davantage. Après la nomination de Sébastien Lecornu il y a un mois, , 67 % des entrepreneurs se déclaraient inquiets, et près d’un sur trois (28 %) se disait même très inquiet par rapport à la situation politique dans l’Hexagone. Pire encore, 83 % tablaient même sur une nouvelle crise politique. Ils avaient malheureusement vu juste. C’est désormais la Ve République qui vacille.

«C’est la cerise sur le gâteau d’une situation qui traîne et s’aggrave depuis des mois»

Dans ce contexte, malgré l’optimisme et l’ambition qui les portent, les entrepreneurs sont au mieux dépités, au pire en colère contre l’exécutif et même toute la scène politique française. Alexandre Pham, fondateur de Mistertemp' group, un spécialiste du travail temporaire, ne cache pas son désarroi. «C’est la cerise sur le gâteau d’une situation qui traîne et s’aggrave depuis des mois. Aujourd’hui, on oscille entre lassitude et exaspération : le monde avance à une vitesse considérable, nos voisins européens innovent, investissent et se réforment, nous le voyons en Italie et en Espagne où nous sommes présents, tandis qu’en France, nous restons englués dans l’incertitude et l’attentisme», observe-t-il. 

Même son de cloche chez Alexandre Berriche, co-fondateur et CEO de Fleet, entreprise proposant de simplifier la gestion de l’équipement informatique des startups et des PME. «Comme beaucoup de Français, je ressens un mélange de préoccupation et de lassitude face à cette situation. Je suis profondément attaché à notre pays et c’est douloureux de le voir aujourd’hui en mauvaise santé démocratique et économique. Voir la scène politique se transformer en spectacle permanent, où les ambitions personnelles semblent primer sur l’intérêt général, est à la fois inquiétant et décevant. On a parfois l’impression d’avoir touché le fond, mais la crise continue de s’aggraver semaine après semaine», souligne l’entrepreneur avec dépit. Avant d’ajouter : «L’impact est direct : l’incertitude politique et fiscale mine la confiance. Or la confiance est un pilier essentiel de l’investissement, de l’emploi et de la croissance. Beaucoup de dirigeants hésitent à embaucher ou à investir dans un tel climat, ce qui freine l’économie dans son ensemble et pèse sur notre compétitivité.»

Clarté et stabilité réclamées

Dans ce chaos général, tous les acteurs de l’écosystème se montrent unanimes : ce qu’ils veulent, c’est avant tout de la stabilité ! «Les milieux économiques ont aujourd’hui besoin de stabilité et de visibilité pour continuer à investir, recruter et innover. Il devient urgent qu’un accord politique voie le jour afin de permettre à nos entreprises de poursuivre sereinement leur développement, en France comme à l’international», estime ainsi Maya Noël, la directrice générale de France Digitale.

«J’attends avant tout de la stabilité et de la visibilité. Les entrepreneurs et les investisseurs ont besoin d’un cap clair, d’un environnement fiscal et réglementaire lisible pour continuer à investir et à innover en France», renchérit Stéphanie Hospital, qui a lancé le fonds OneRagtime. Un cri du cœur partagé par Alexandre Pham : «Ce que nous demandons, c’est de la clarté et de la stabilité. Les entreprises ont besoin d’un cap, pas de débats politiciens ni de calculs personnels qui, à terme, nuisent à l’ensemble du pays. La France a les talents et les moyens de rebondir… à condition de pouvoir se projeter !»

«Mesdames et messieurs les politiques, laissez-nous entreprendre !»

Dans ce contexte explosif, certaines voix commencent à se faire entendre, à l’image d’Éric Larchevêque, pour enjoindre les entrepreneurs tricolores à monter leur projet ailleurs qu’en France. La taxe Zucman avait allumé la mèche en septembre, notamment au FDDAY. Ces dernières 48 heures politiques pourraient logiquement agir comme un détonateur. Mais Stéphanie Hospital estime, malgré la grave crise politique que traverse la France, qu’il est toujours possible de réaliser de belles choses dans l’Hexagone.

«La tentation de partir ou d’investir ailleurs sera forte pour certains, mais je reste fidèle à mes convictions : faire de la France le plus bel endroit pour entreprendre, continuer à avancer et innover», indique-t-elle. Avant de prolonger sa réflexion : «L’attentisme est toujours plus facile que l’action. L’incertitude politique freine la prise de risque, mais c’est justement dans ces moments que la valeur d’un écosystème comme le nôtre, construit depuis quinze ans, doit s’exprimer. Dans un contexte de fortes turbulences géopolitiques, climatiques et technologiques avec les opportunités de l’intelligence artificielle, il est essentiel de continuer à innover et entreprendre.» Après tout, chaque crise est source d’opportunités !

Charge désormais à Emmanuel Macron et à l’ensemble de la classe politique d’accorder leurs violons pour apaiser une situation qui n’en finit plus de s’aggraver depuis plus d’un an. «Mesdames et messieurs les politiques, laissez-nous entreprendre, créer, embaucher. Gouvernez la France avec la même énergie, la même ambition et le même engagement que ceux qui la font avancer chaque jour», conclut Stéphanie Hospital.

Un vœu réaliste ou trop optimiste ?

Les prochaines semaines permettront de livrer les premiers éléments de réponse.