« Que nous reste-t-il à l’heure de l’IA, finalement ? Nos sens ! » Cette formule de Bruce Hoang, Directeur de la communication digitale et Data chez Orange, restitue la tonalité des trois jours du One to One IA x Expérience Client à Biarritz, qui s’est tenu en début de mois.
Sans surprise, l’IA était au cœur de toutes les prises de parole, avec son lot d’incertitudes - mais surtout une forte volonté d’expérimenter. Ce sont tous les métiers de la Relation client qui ont pu échanger sur place - et par « sur place », il faut entendre dans les travées du salon, les salles d’atelier, mais aussi dans les navettes, les cours de yoga, la soirée jazz et même sur la plage, à deux pas des stands.
L’IAG à toute vitesse
Premier constat, la profession n’a pas tardé à s’emparer de l’IA générative. « Notre objectif à très court terme est d’automatiser par l’IA 25% de notre production de contenus », a indiqué ainsi Pierre Antoine de Saint Légier, Head of Internal Creative Agency chez Pernod Ricard. En précisant : « Le concepteur reste essentiel pour trouver l'idée créative qui pourra ensuite être insérée dans le prompt. »
Quelle place pour l’humain, quelle place pour l’IA ? Un meet-up portait précisément sur ce sujet, intitulé « Culte de la performance versus culte de l’humain ». On y a évoqué la course aux résultats et la frénésie qui n’a pas faibli après trois années de règne de ChatGTP. C’est un point particulièrement important pour les métiers de la relation client, car les interrogations portent à la fois sur l’évolution des métiers des collaborateurs et sur les attentes des clients : que désirent-ils ? Que sont-ils prêts à saluer, à accepter, à tester ?
Du côté des salariés, Simon Millesse, Chief Transformation Officer chez Beauté Privée, a estimé qu’il fallait être « transparent » : « La transformation peut faire peur, il faut prendre de la hauteur, être un libérateur de pression, être dans l'empathie, l'écoute et aider pour réussir à embarquer les équipes. C’est en équipe que l'on arrive à aller plus loin. »
Un conseil partagé par Claire Guelton, Directrice expérience collaborateur et culture chez Leroy Merlin : « Les peurs sont justifiées, c'est un changement qui impacte les emplois de demain, il faut donc accompagner le changement et demander au collaborateur de développer de nouvelles compétences. Il faut garder l'éthique comme boussole, humain et IA doivent cohabiter intelligemment. »
Côté clients, les participants du One to One ont évoqué la « data émotionnelle » : l’analyse des émotions et l’intelligence artificielle transforment l’expérience client en ouvrant la porte à un marketing dit « sensoriel ». « Notre job n’est pas de créer de fausses émotions, mais de créer les conditions pour que les vraies émergent », a ainsi résumé la conférencière Marine Deck, spécialisée dans l’expérience client. Clarisse Blanc (MatchGroup Europe) et Bruce Hoang (Orange) ont insisté sur « le rôle de la vidéo et de l’authenticité comme leviers pour créer une relation plus humaine avec les consommateurs. »
L’émotion au centre des métiers de l’expérience client
« Avec 4 600 échanges business (+10% par rapport à 2024) à Biarritz, nous avons certes coché la case des “opportunités“, résume Sonia Mamin, Directrice des événements One to One. Mais au-delà de ces rencontres entre décideurs et prestataires, je crois que nous avons réussi collectivement à nous emparer du sujet structurant de l’IA appliquée à l’expérience client. L’expérience est une affaire d’émotions. Comment préserver l’émotion dans un monde de données et d’IA, qui nous invite à tout rationaliser ? »
Pour répondre à cette question difficile, il est précieux de s’autoriser un pas de côté et c’est ce dont ont bénéficié les participants du One to One, invités par exemple à quitter le terrain du marketing digital pour évoquer… la vasque olympique ! Mathieu Lehanneur, son designer, a rappelé le rôle fondateur de la surprise : « Si on avait demandé à 5 millions de Français ce qu’ils voulaient comme vasque olympique, ils n'auraient pas été nombreux à dire “J’ai envie d'une vasque volante à base d’eau et d'électricité”. On s'attache aux personnes qui nous surprennent. Je voulais aller chercher les larmes des personnes les plus réticentes à aimer les Jeux. L'émotion était le premier outil. La force de l'objet est d'envoyer un message fort, mais de laisser la possibilité aux personnes de se projeter : certaines voyaient dans la vasque une certaine poésie, d'autres l'aspect technique. »
Un nouveau « triangle des Bermudes »
« Selon McKinsey, 20 % des ventes en e-commerce se feront via le live shopping en 2026. » Un chiffre remonté par la journaliste Charlotte Bricard, qui donne une bonne idée de la place qu’occupent les réseaux sociaux sur la feuille de route des professionnels de la relation client. « TikTok et Instagram sont désormais les canaux privilégiés de la Gen Z, car c’est là qu’ils achètent », a précisé Graziella Kaeuffer, Directrice expérience client omnicanal chez COURIR.
Pour autant, le sujet est complexe, comme le relevait l’intitulé d’une conférence dédiée au sujet : « IA, réseaux sociaux, confiance : le nouveau triangle des Bermudes du digital. » Lors de cette keynote, Michael Beresin, Director innovation & AI chez Cosmo 5, a montré comment les moteurs LLM et les réseaux sociaux bouleversent le parcours client. Entre fragmentation du web, perte de confiance et baisse d’usage de Google au profit de l'IA générative, il a souligné les nouvelles opportunités mais aussi la dégradation de l’expérience utilisateur : redondance, thin content, mésalignement des intérêts.. Un phénomène qualifié « d’enshittification », qui les pousse à rejoindre des plateformes fermées. « Pour les marques, le défi est immense : rester visibles et crédibles quand l’utilisateur doute de tout. »
Le tout premier défi : une intermédiation croissante
Au sujet des plateformes justement, les marques sont confrontées avant tout à leur multiplication, qu’il s’agisse des réseaux sociaux comme évoqué à l’instant, mais aussi de la télévision connectée ou du Retail media. Conséquence immédiate : une dépendance à ces acteurs et une perte de contrôle de la relation client, comme l’a souligné Alban Peltier, CEO d'Antvoice et coprésident du Collectif pour les Acteurs du Marketing (CPA).
Ce phénomène porte le nom de « dark kitchen » et induit une certaine opacité sur la gestion des données clients. « Dans ce contexte, le marché est actuellement encombré et peut entraîner une hausse impressionnante des tarifs publicitaires, ce qui peut compliquer l'émergence des contenus produits par les marques, notamment les petites entreprises. En raison du développement du search génératif, les éditeurs (médias et annonceurs) vont subir également un décrochage du SEO et du SEA en termes d'audience. Nous recommandons d'identifier et de tester des cas d'usage d'IA, notamment avec l'approche 70/20/10. »
Tester, expérimenter, pour se faire une opinion et écarter ce qui ne fonctionne pas. C’est le tout premier conseil avec lequel les 460 participants ont quitté Biarritz au terme de 45 prises de parole. Les tendances fortes (searching, streaming, scrolling, shopping) appellent une logique d’expérimentation massive : « Il nous faut tuer vite les mauvaises idées, et concentrer l’IA sur la productivité, la mesure et la création. L’IA n’est pas une promesse lointaine, mais un levier immédiat pour s’adapter, innover et se développer », estiment la majorité des experts.
Actionable remporte le concours de pitch
À noter enfin, c’est la startup Actionable qui a remporté le Prix de la communauté, unique prix du concours entrepreneurial de l’évènement, décerné par l’ensemble du public. Dix startups étaient en compétition (Actionable, AlloBrain, Deebr, Klark, Newtone, Primelis market, POWER.xyz, SmartEvo, Spyne et StackEasy). Fondée par Nicolas Rieul et Nans Thomas l’année dernière, Actionable permet grâce à l’IA de mieux prédire la satisfaction de l’ensemble d’une base client. Elle travaille déjà avec Carrefour, Engie, Fnac-Darty ou Sephora et a levé 2 millions d’euros depuis sa création
« Donner la parole aux startuppers, c’est encore une manière d’expérimenter, d’apporter à nos participants le plus d’exemples et le plus d’insights possibles, conclut Sonia Mamin. Certains speakers comme Grégory Sion (Pierre & Vacances) ont évoqué le plaisir que l’on prend à tester : à travailler cette matière bousculante qu’est l’IA. La notion de plaisir dans le travail me parle beaucoup ! C’est aussi comme cela que l’on construit sa feuille de route avec plus d’assurance. »