Né dans le sillage de l’État-nation, le service public s’est progressivement redéfini. Structuré autour des idéaux d’unité et d’égalité, il embrasse désormais des défis contemporains parmi lesquels, la numérisation, devenue cruciale pour qui cherche à simplifier l’accès aux démarches administratives, à améliorer la qualité des services et à renforcer l’inclusion. Selon le rapport eGovernment Benchmark 2025 de la Commission européenne, la numérisation des services publics progresse dans toute l’Europe, avec une moyenne de 82 % des démarches administratives pour les citoyens et 86 % pour les entreprises complètement réalisables en ligne.
Des réussites européennes et des défis persistants
L’Europe compte plusieurs exemples emblématiques de numérisation réussie. Le Danemark, par exemple, a mis en place des portails uniques comme borger.dk et sundhed.dk, permettant aux citoyens d’accéder à l’ensemble de leurs démarches administratives en ligne. Ce pays s’est également doté d’une Digital Post, une boîte aux lettres numérique officielle désormais obligatoire pour chaque citoyen, afin de recevoir les communications administratives. La Finlande se distingue par le principe Once Only, interdisant à l’administration de demander deux fois la même information au citoyen.
L’Estonie, quant à elle, fait figure de référence mondiale avec l’initiative e-Estonia, qui repose sur l’infrastructure sécurisée X-Road, permettant l’échange de données entre près de 2000 organisations publiques et privées. Et c’est sans compter sur les 97,9% de citoyens estoniens disposant d’une carte d’identité numérique obligatoire, utilisée pour tous les actes administratifs, la signature électronique et l’accès aux services publics.
En France, la déclaration d’impôt en ligne, France Connect ou la numérisation de France Travail illustrent la dynamique en cours. Interrogée sur l’état d’avancement de cette numérisation, Rosen Nicolas-Berthou, directrice du programme « Accueil, relation usager et marketing » chez France Travail confie regarder avec attention les avancées des autres pays en la matière « Nous avons beaucoup benchmarké, en interne et en Europe, notamment avec les jeunes nations d’Europe de l’Est qui ont des systèmes très digitaux de base, mais aussi des pays comme la Grande-Bretagne ou l’Italie qui ont des approches différentes. Cependant, il y a une grande diversité dans les périmètres et les publics, ce qui complique la comparaison directe. » Elle ajoute : « Aujourd’hui, beaucoup de pays viennent vers France Travail pour s’inspirer. Il semblerait que nous soyons devenu un point de référence, que ce soit à l’international ou en France. »
Un sentiment conforté par les résultats du rapport eGovernment qui révèle que la France progresse,notamment sur les services liés à l’emploi, avec un score de 79/100 en 2024, soit une hausse de 4 points par rapport à l’année précédente.
Cependant, des voix se font entendre, dont le think tank Le Sens du Service Public, pour affirmer que la numérisation peut parfois creuser les fractures territoriales et sociales, notamment dans les zones rurales où la fermeture de guichets physiques n’est pas toujours compensée par des alternatives numériques accessibles.
L’IA au cœur de la transformation : entre opportunités et vigilance
La dimension IA occupe une place croissante dans la modernisation des services publics. Le rapport de la Commission européenne met en avant l’essor des chatbots et des agents IA, qui permettent d’automatiser certaines tâches et d’améliorer l’expérience utilisateur, explique Sylvain Poirier, directeur en charge de l’IA chez France Travail.
« L’IA est utilisée pour libérer du temps aux conseillers, afin qu’ils puissent recentrer leur expertise sur la relation humaine. Par exemple, notre outil ChatFT est utilisé par 45 000 conseillers, et 73% d’entre eux déclarent un impact positif dans leur quotidien. » Rosen Nicolas-Berthou, ajoute : « L’IA nous permet de personnaliser la relation avec les usagers, de mieux les accompagner et de simplifier leurs parcours. Mais il est essentiel que ces outils soient pensés avec et pour les agents, et non contre eux. »
En témoignent aussi les actualités récentes. La startup Doctrine, légal tech française, s’est allié par exemple pour aider les directions juridiques des ministères, en l'occurrence ceux de l’intérieur et des armées, à utiliser l’intelligence artificielle (IA). Ce n’est pas la première annonce de ce type. On se souvient aussi qu’à l’occasion de la dernière édition de Vivatech, en juin dernier, le gouvernement a choisi Mistral AI, le champion français de l’IA générative, pour proposer son chatbot IA à des milliers de fonctionnaires. Ces deux annonces illustrent concrètement la volonté du service public à “vivre avec son temps”.
Emilie Agnoux, cofondatrice du think tank Le Sens du Service Public, rappelle toutefois la nécessité d’une position d’utilisation de l’IA dans le service public : « Il faut garantir la matrice publique, préserver les compétences humaines et encadrer les risques de cybersécurité. L’IA ne doit pas être une solution miracle, mais un outil au service de la relation humaine. »
L’IA agentique, le levier pour un service humain et personnalisé
Caractérisée par la capacité à fonctionner de manière autonome, à percevoir l’environnement, à planifier, à prendre des décisions et à agir sans supervision humaine constante, l’intelligence artificielle agentique s’impose comme un moteur clé de la transformation numérique des administrations publiques.
D’après l’étude récemment publiée par Capgemini, 60 % des portails nationaux offriraient désormais des fonctionnalités de support en direct, dont 43 % via des agents conversationnels automatisés basés sur l’IA. Cette évolution permet d’améliorer la personnalisation des services et la réactivité des administrations, tout en allégeant la charge de travail des agents.
Sylvain Poirier, directeur en charge de l’IA chez France Travail, illustre cette avancée : « L’IA agentique permet de créer un dialogue entre plusieurs agents spécialisés, qui « s’appellent » successivement pour répondre précisément à un besoin usager, tout en conservant l’humain au centre de la démarche. Nous construisons ces outils avec les agents, en co-conception, ce qui favorise une adoption forte et une meilleure qualité de service. »
Vers une numérisation responsable et inclusive
La numérisation du service public en Europe est un chantier en constante évolution. Si les avancées sont réelles, elles doivent être accompagnées d’une vigilance accrue sur les questions d’inclusion, d’accessibilité et de souveraineté numérique. Ces défis - mis en avant dans un rapport de la Cour des comptes publié ces jour-ci - montrent que la réussite passe par une approche équilibrée, qui combine innovation technologique et respect des spécificités du service public. Comme le souligne le rapport eGovernment, la route est encore longue, mais les États européens disposent désormais d’un cadre de référence solide pour poursuivre leur transformation numérique, tout en veillant à ce que personne ne soit laissé de côté.