Pour H Company, 2025 aura (déjà) sonné comme l’année de la transformation. Après une entame en fanfare en 2024 avec une levée de fonds spectaculaire de 220 millions de dollars, la société avait rapidement vu trois de ses cinq fondateurs quitter le navire, avant que Charles Kantor, son patron, ne soit débarqué en plein VivaTech en juin dernier. C’est finalement à Gautier Cloix, ancien directeur général en France de Palantir (l’entreprise américaine qui aurait contribué à localiser Oussama Ben Laden), qu’est revenu la lourde tâche de redresser la startup française pour lui donner une trajectoire ambitieuse.
Six mois après son arrivée, Gautier Cloix s’est imposé comme un personnage important de la scène IA tricolore, multipliant les apparitions lors d’événements, comme AdoptAI récemment au Grand Palais, ou lors de la tournée américaine de la directrice de la Mission French Tech. Sous son impulsion, le dirigeant, qui s’appuie sur Laurent Sifre, co-fondateur et CTO passé par Google DeepMind, pour la partie scientifique, et Géraldine Lafontaine, une ancienne de Palantir qui est arrivée en septembre chez H en tant que directrice des opérations, a fait évoluer la stratégie de l’entreprise.
«Quand je suis arrivé chez H il y a six mois, Laurent avait développé une technologie avec 30 chercheurs. J’ai vu qu’il y avait le potentiel pour créer un champion de l’IA B2B. Aujourd’hui, l’objectif est de déployer l’IA dans les entreprises et les administrations. On sait que ça prend du temps, mais heureusement, les grands comptes signent de plus en plus vite comme on a pu le voir avec la FDJ», souligne Gautier Cloix. Lors du sommet Choose France en novembre, H et FDJ United avaient en effet annoncé un accord visant à déployer l’usage de l’intelligence artificielle agentique au sein du groupe de jeux d’argent.
Une «mafia» Palantir à l’œuvre
Pour sortir H de l’ornière, Gautier Cloix a repris quelques éléments de la recette du succès de Palantir, la société américaine ayant notamment pour spécificité de dépêcher une équipe de consultantes dans ses entreprises clientes pour faciliter l’adoption de son outil, comme elle a pu le faire avec la DGSI ou Airbus. Mais plutôt qu’une équipe de consultants, le dirigeant mise sur des «ingénieurs déployés» qui vont directement chez les clients pour les aider à tirer pleinement profit des fonctionnalités d’IA proposées par H. Autrement dit, leur objectif est de faciliter l’adoption de la plateforme de H dans toutes les strates des entreprises.
Ces profils, qui doivent avoir aussi bien une compréhension métier que technique, doivent permettre de lever la barrière de la résistance culturelle changement au sein des entreprises, qui lancent trop souvent des initiatives isolées qui franchissent rarement le cap du passage à l’échelle. «Ils viennent dans l’entreprise avec une obligation de résultat. Ce sont des profils ultra-qualifiés et il y en a assez peu sur le marché. Aujourd’hui, on n’a pas de concurrence sur notre segment. Nous sommes les seuls à avoir cette approche avec des ingénieurs déployés pour les entreprises», se réjouit Gautier Cloix.
Pour chapeauter ces «ingénieurs déployés», H s’est attaché les services de Maxime Defauw, qui est un ancien de Palantir comme son patron dans la startup française. A noter que Caroline Charra, la directrice des produits, est également passée par Palantir, tout comme Géraldine Lafontaine. Une vraie «mafia» Palantir à l’œuvre au sein de H, ce qui ne manque pas de faire sourire Gautier Cloix. «Chez H, on ne refait pas un Palantir à la française», rappelle-t-il néanmoins. Avant d’ajouter : «L’équipe actuelle, ce sont les nouveaux fondateurs de H.» Au total, H compte aujourd’hui 80 salariés provenant de Google DeepMind, Meta, Microsoft, Mistral AI, InstaDeep, Owkin et bien sûr Palantir. Ils sont répartis entre Paris, Londres et New York. Les effectifs devraient être doublés l’an prochain.
H mise sur des «androïdes» pour se distinguer
Au-delà de cette approche inspirée de Palantir, H veut faire la différence avec des agents d’IA particuliers, baptisés «androïdes» par l’entreprise française. Ces agents de «computer use», que la startup désigne comme le «maillon manquant pour générer de la valeur avec l’IA dans les entreprises», sont capables d’utiliser un navigateur Internet comme un humain, notamment pour effectuer des achats en ligne ou retrouver des factures par exemple.
Comme ils fonctionnent en toile de fond, ils peuvent être jusqu’à 100 fois moins coûteux qu’un modèle d’IA généraliste. «Cela permet de créer des automatisations, même si les logiciels des entreprises ne sont pas interconnectés. C’est un vrai changement de paradigme», estime Gautier Cloix. «Les androïdes s’adaptent à l’environnement qui les entoure quand les autres outils cassent», ajoute Géraldine Lafontaine.
Les États-Unis dans le viseur
Avec des agents et ses modèles open source (Holo1, Holo1.5 et Holo2), H aborde donc l’année 2026 avec ambition. En dehors de la France et de l’Europe, la société veut accélérer sa traction commerciale en Amérique du Nord, notamment aux États-Unis où l’appétit des entreprises pour l’IA est d’un niveau bien supérieur à celui des groupes et PME français. «Aux États-Unis, ils ne se préoccupent pas de savoir d’où vient la technologie. Ils ne veulent pas que les concurrents aient une semaine d’avance», observe le patron de H, qui revient d’une tournée américaine à San Francisco et Miami.
«Nous sommes allés dans les locaux de Nvidia dans la Silicon Valley et le COO de Meta (Javier Oliván, ndlr) est venu nous voir», ajoute Gautier Cloix. Les pays du Golfe, surtout les Émirats arabes unis, et l’Inde sont les autres régions du monde où la startup tricolore espère rapidement se développer, avant de viser l’Asie à plus long terme. Samsung figure d’ailleurs au capital de la société.
«On se concentre sur le go-to-market»
Pour acter sa renaissance, un nouveau tour de table ou des acquisitions sont-elles au programme ? «Nous ne sommes pas dans ce type d’opérations à l’heure actuelle. On se concentre sur le go-to-market», assure Gautier Cloix. Après la FDJ, le dirigeant espère annoncer rapidement la signature d’autres grands comptes. «Nous avons une cinquantaine de discussions avancées en cours, principalement avec des grandes entreprises mais aussi quelques scaleups», précise-t-il. En Europe, H mise aussi sur la souveraineté pour aller chercher quelques contrats. «C’est un petit atout dans certains secteurs clés, comme la défense», reconnaît le patron de la startup.
Après six premiers mois très intenses, ce dernier aborde l’année 2026 avec davantage de sérénité. Surtout que Laurent Sifre, le CTO de la société, estime que le danger ne viendra pas forcément des mastodontes américains de l’IA. «La concurrence finira par arriver bien sûr, mais pas forcément avec les Gafam ou les grands acteurs des LLM», estime-t-il. Dans un marché toujours aussi euphorique trois ans après la sortie de ChatGPT, ce ne sont pas les surprises qui manquent en effet.