Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2026, les sénateurs ont adopté un amendement qui réduit d’un milliard d’euros les crédits de la mission budgétaire “Investir pour la France de 2030”. L’amendement, porté par le rapporteur général Jean-François Husson et soutenu par la majorité sénatoriale, prévoit la suspension de l’ouverture de toute nouvelle aide via ce dispositif en 2026. L’objectif annoncé est clair : contribuer à l’effort de maîtrise des dépenses publiques, dans un contexte où le déficit reste au-dessus des objectifs européens.
Une mesure est politiquement inattendue
On peut s’étonner de voir une telle coupe arriver aussi tard dans le processus budgétaire, sans annonce préalable. Pourtant, sur le plan institutionnel, le Sénat est dans son rôle. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, chaque chambre parlementaire peut proposer des amendements, à condition qu’ils respectent les grands équilibres budgétaires. Le Sénat, en modifiant une ligne existante sans créer de dépense nouvelle, exerce ici pleinement son droit d’amendement.
Concrètement, cela signifie qu’aucune aide nouvelle ne pourrait être engagée l’an prochain via France 2030. Les crédits déjà contractualisés, eux, ne sont pas remis en cause. Le Sénat considère que les 4,3 milliards d’euros restants suffiraient à couvrir les paiements dus pour les projets déjà sélectionnés.
Le fonctionnement particulier de France 2030 en question
Ce vote s’appuie sur un mécanisme budgétaire propre à France 2030. Contrairement à une dépense classique, les aides issues de ce plan sont d’abord engagées par des opérateurs comme Bpifrance ou l’ANR, puis versées sur plusieurs années. Autrement dit, les crédits de paiement ouverts dans la loi de finances n’ont pas vocation à couvrir uniquement des décisions prises dans l’année, mais à financer des engagements pluriannuels.
C’est ce décalage entre engagement et décaissement qui a permis au Sénat de cibler spécifiquement les crédits de 2026 non encore affectés. Dans son rapport sur la mission budgétaire, la commission des finances estime que la réduction votée “n’empêche pas de tenir les engagements pris” mais qu’elle permettrait de “faire une pause dans l’ouverture de nouvelles aides” sans interrompre les projets en cours. Ce point technique est au cœur de la justification avancée par la majorité sénatoriale.
Un signal d’alerte pour l’écosystème innovation
Cette décision a provoqué une levée de boucliers. Le 17 décembre, France Digitale, accompagnée de plusieurs organisations représentatives de la French Tech, a signé une tribune dans Les Echos pour appeler au maintien des dispositifs de soutien à l’innovation. Selon les signataires, la réduction des dépenses publiques ne doit pas se faire au détriment des outils qui permettent à la France d’exister dans la compétition technologique mondiale.
Maya Noël, directrice générale de France Digitale, alerte : « Si France 2030 est raboté par le Sénat, c’est la fin de la politique industrielle amorcée ces dernières années. Or, ce qu’il nous faut, c'est précisément une vraie politique industrielle de long terme et de la stabilité. Ce dont on a besoin, c’est d’une vraie continuité. Il ne faut pas, sous prétexte qu’il y a une volonté de renouvellement, menacer une politique industrielle de long terme, dont les startups sont partie totalement intégrante. Et ça ne concerne pas que les startups, ça concerne tout type d’entreprises.” Elle ajoute : “on a su insuffler une forme d’attractivité à la France depuis quelques années. Je pense qu’il ne faut pas casser ces efforts. Il ne faut pas être dans une logique de rupture. 2025, est une année de décélération. Si, en 2026, c’est la même chose, cela nous amènerait vers un arrêt.”
Le message est clair : au moment où la France commence à s’affirmer dans les deeptech, l’intelligence artificielle, le quantique ou les biotechs, toute rupture dans la trajectoire de financement serait un risque majeur pour les startups et PME innovantes. D’autant que ces entreprises subissent déjà un resserrement des conditions d’accès au capital et un ralentissement des marchés.
Rien n’est encore acté, mais le signal est là
L’inquiétude est d’autant plus forte que France 2030 a permis, ces deux dernières années, d’amorcer une dynamique positive. Des pôles d’excellence ont émergé, des partenariats industriels se sont structurés, et plusieurs startups ont franchi des étapes critiques grâce à ces soutiens publics. Cette trajectoire est encore fragile, et elle repose sur un facteur-clé : la stabilité de l’investissement public.
L’amendement voté par le Sénat n’est pas définitif. Le projet de loi de finances 2026 est désormais entre les mains de la commission mixte paritaire, chargée de rapprocher les versions adoptées par l’Assemblée nationale et le Sénat. Si aucun accord n’est trouvé, l’Assemblée aura le dernier mot et le Gouvernement pourra rétablir les crédits supprimés. Ce scénario est encore probable : chaque année, de nombreux amendements adoptés par le Sénat sont partiellement ou totalement écartés à ce stade..