En early stage, l’impact ne se lit pas dans un tableur. Faute de données, les investisseurs doivent évaluer des projets encore en construction, sans tomber dans un exercice déclaratif ni imposer des cadres inadaptés à des équipes qui cherchent avant tout leur product market fit. L’objectif n’est pas de mesurer un impact réel à tout prix, mais de qualifier une trajectoire crédible et intentionnelle, appelée à se structurer dans le temps.
Décider d’investir sans indicateurs chiffrés
« À l’époque de notre lancement, début 2021, il existait peu de fonds impact avant la série A et les frameworks disponibles n’étaient pas adaptés à l’early stage », rappelle Charles Fourault, partner d’AFI Ventures, le fonds tech à impact early stage (pré-seed et seed) de Ventech. « Nous avons créé AFI Ventures parce que nous étions convaincus que l’impact devait se structurer très tôt, au même titre que la stratégie de passage à l’échelle, et que les outils existants n’étaient pas adaptés aux réalités de l’early stage », explique-t-il.
Chez Ternel, fonds d’investissement en amorçage (seed à série A) dédié aux startups à impact environnemental et social, la mesure commence par l’intentionnalité. « En amorçage, on ne peut pas entrer par du reporting. Le point de départ, c’est l’identification du problème social ou environnemental adressé, l’adéquation de la solution et la formalisation d’une mission claire », explique Mohamed Abdesslam, partner du fonds.
Au-delà du pitch, cette intentionnalité se détecte aussi à travers des signaux faibles très concrets comme les fiches de poste, le discours commercial ou encore des arbitrages produit. « Nous ne voulons pas faire de l’impact par accident, mais de l’impact intentionnel », insiste-t-il. L’objectif est d’éviter les projets qui revendiquent une cause sans que celle-ci ne structure réellement le modèle.
Mesurer l'intentionnalité et suivre des KPIs ciblés
Pour objectiver cette première lecture, Ternel a développé un outil de scoring d’impact, accessible en open source. Il ne s’agit pas d’un outil de mesure ou de reporting, mais d’un questionnaire permettant de qualifier le positionnement d’une startup. Le score repose sur trois piliers : un pilier environnemental “restore the planet”, un pilier social “foster well being” et un pilier sociétal “empower communities”. La règle est simple : contribuer positivement à l’un de ces piliers sans générer d’effets négatifs sur les deux autres, tout en démontrant une capacité à passer à l’échelle.
Sur les indicateurs, la ligne est volontairement pragmatique. « Trois à cinq KPI maximum, très liés au modèle économique », précise Mohamed Abdesslam. Chez Cosma, l’une des participations qui développe des drones sous-marins, les indicateurs portent par exemple sur les surfaces cartographiées (indicateur de moyens) et les espèces protégées (indicateur de résultats). « L’outcome, c'est-à-dire l’impact réel par rapport à un scénario sans la solution, reste difficile à mesurer en amorçage. C’est plutôt un objectif de long terme », ajoute Mohammed Abdesslam.
AFI Ventures adopte une logique complémentaire. Le fonds n’exige pas de business plan d’impact en condition d’investissement, il se concentre aussi sur l'intentionnalité, mais il structure l’impact après coup. « Plus on attend pour structurer l’impact, plus c’est difficile. Mais trop en faire trop tôt peut nuire à l’agilité », commente Charles Fourault.
AFI Ventures a mis en place un playbook dédié à l’early stage, avec des contenus, des workshops, des outils partagés et une roadmap d’accompagnement de 12 à 18 mois. L’équipe a par ailleurs été récemment renforcée avec l’arrivée de Marion Dop, ESG et Impact Manager globale.
Écueils classiques et bonnes pratiques en amorçage
Premier piège identifié par les investisseurs : confondre impact et ESG. « Réduire ses externalités négatives ou être bien structuré sur l’ESG ne suffit pas à caractériser un modèle à impact. Ce sont deux choses différentes », rappelle Mohamed Abdesslam. Chez Ternel, cela n’empêchera pas une startup impact native d’être aussi challengée sur ses pratiques ESG. Autre écueil fréquent : sur-exposer un use case à impact alors que le modèle économique reste orienté ailleurs. « L’impact doit être convergent avec le business, pas périphérique », insiste-t-il.
Côté bonnes pratiques, les fonds sont alignés. Identifier un besoin structurant, démontrer en quoi la solution y répond différemment, prouver que des clients sont prêts à payer et choisir un nombre limité d’indicateurs. « L’impact ne doit pas être traité comme un sujet à part, il faut lui appliquer la même exigence que celle qu’on applique au business », conclut Mohamed Abdeslam.