Est-ce un coup dur ? Pas vraiment, répond Philippe de Chanville, président et fondateur de ManoMano. « Cela fait partie de l’évolution normale de notre entreprise », insiste-t-il. La licorne française n’est plus dans le French Tech Next 40 qu’elle avait intégré chaque année depuis 2019. Elle n’est plus non plus dans le French Tech 120. Pour intégrer la sélection, il faut justifier de la confiance de clients via la croissance et le chiffre d’affaires ou de la confiance des investisseurs via les levées de fonds.
Pour le French Tech 120, il faut avoir cumulé au moins 30 millions d’euros de levées de fonds entre janvier 2022 et avril 2025 ou avoir réalisé 20 millions d’euros de chiffres d’affaires et 15% de croissance annuelle en moyenne sur trois ans. Il semblerait que ce soit ce dernier point qui pêche pour la marketplace qui subit de plein fouet les difficultés du secteur du bricolage et du « DIY ».
ManoMano, 15ème licorne française
Pourtant, le début de l’histoire de ManoMano est la success story parfaite pour une jeune pousse. Fondée en 2013 par un duo d’entrepreneurs, Philippe de Chanville et Christophe Raisson, toujours à la tête de la scaleup en tant que co-CEOs, ManoMano enchaîne les levées de fonds, jusqu’à la série F, en 2021. Premier tour de table en 2013 de 600 000 euros.
Puis la startup relève 2 millions d’euros en 2013, 13 millions d’euros en 2014 et 60 millions d’euros en 2017. Parmi les investisseurs, on retrouve Piton Capital, un fonds européen, l’Américain General Atlantic, le Français Partech et bien sûr Bpifrance. En 2019, la société reboucle une levée de fonds sur une croissance exponentielle de son revenu de 85%. 110 millions d’euros en 2019, 125 millions d’euros en 2020 et enfin 300 millions d’euros (355 millions de dollars) en 2021. À cette période, l’argent coule à flot dans la French Tech pour encore quelques mois. Cette série F est la dernière de ManoMano, elle est donc trop ancienne pour être prise en compte dans les critères de sélection du French Tech Next 40 / 120. Au moment du tour, la marketplace est valorisée 2,6 milliards de dollars, environ 2,2 milliards d’euros. Elle est alors la 15ème licorne française et se déploie en Europe.
« Il y a une période durant laquelle nous étions très très fiers d’avoir fait beaucoup de levées de fonds. Nous ne sommes plus du tout dans cette perspective », explique Philippe de Chanville. Le président de ManoMano l’affirme : la rentabilité est proche, et devrait être atteinte « dans les prochains mois, prochains trimestres. » « Nous sommes déjà très largement rentables en France qui est notre plus grand pays. La moitié de nos ventes se font en France », révèle Philippe de Chanville.
ManoMano subit la baisse d’attrait des activités de bricolage
ManoMano est présent sur 6 marchés européens : la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Elle compte aujourd’hui 600 collaborateurs, elle a dépassé les 1000 salariés fin 2022, avant de devoir en licencier une partie.
En 2024, sur l’ensemble de ses marchés, ManoMano revendique un milliard d’euros de volume d’affaires. Un chiffre en baisse de près de 20% en deux ans. En 2022, le volume d’affaires de la marketplace est de 1,243 milliard d’euros. L’année suivante, il est déjà en baisse et atteint les 1,141 milliard d’euros. Si la scaleup ne communique pas son chiffre d’affaires, ces données ne sont pas très encourageantes. L'exclusion du Next40 et du FT120 révèle également que ManoMano a vu sa croissance diminuer dans les derniers mois.
Philippe de Chanville assure néanmoins que ManoMano résiste, dans un marché en berne depuis l’époque post-Covid, sans pour autant donner de chiffres. « Le marché du do it yourself baisse de 5 à 10% par an depuis deux-trois ans », assure le co-CEO. « Nous avons de la chance d’avoir une belle croissance en BtoB. »
C’est justement sur le BtoB que va miser ManoMano dans les prochaines années en s’appuyant sur son actif le plus précieux : sa data. « La différence importante entre ManoMano et n’importe quel autre spécialiste du bricolage, c’est notre data qui apporte une pertinence spécifique. Nous avons 30 algorithmes propriétaires », explique Philippe de Chanville. Pour soutenir son développement, ManoMano veut développer des services « plus loin que l’acte d’achat » pour les professionnels notamment. « Nous voulons faciliter leur quotidien », dévoile le cofondateur en faisant référence aux entreprises du bâtiment et aux industriels. « Par exemple, la gestion de leur facturation, la gestion de leur TVA, la gestion des réconciliations bancaires pour leur comptabilité, la gestion de l'achat groupé pour leurs différents chantiers, la gestion de RH, gestion de leur marketing personnel… et nous le faisons avec l’IA. » Mais pas question de lever des fonds pour ce nouveau développement de ManoMano.
« Nous sommes fiers d’être une ETI »
La scaleup a encore des liquidités. Elle fait partie des entreprises françaises qui ont le plus levé, notamment sur la période 2013-2022. Ses premiers tours de table, dont sa série A, ont plus de dix ans. Dans la mécanique du VC, les investisseurs vont vouloir récupérer leur mise. Pourtant, pas de stratégie d’exit pour les fondateurs, ni d'IPO, ni de rachat par un industriel. La valorisation doit être trop élevée pour les acteurs traditionnels du secteur comme Leroy-Merlin ou Bricorama.
« Les investisseurs rentrés il y a longtemps vont devoir sortir du capital à un moment donné. C’est notre travail de fondateur de chercher de nouveaux investisseurs pour remplacer les sortants. Il y a toujours des actionnaires prêts à nous accompagner pour la prochaine étape de l'aventure, notamment la partie servicielle. Mais on ne va pas chercher à lever des fonds ! », affirme Philippe de Chanville. « On rend l'argent avec le TRI et on fait rentrer quelqu'un d'autre pour nous accompagner sur la suite. »Pour autant, pas d’annonce à venir d’après le cofondateur.
De scaleup, la plateforme devient une entreprise plus classique, avec une croissance plus faible. Un changement de paradigme qui correspond à la mutation de la Frech Tech, où les méga levées de fonds se font plus rares, les investisseurs plus exigeants et les valorisations plus réalistes. « Ce qu’on a fait, c’est grâce à la tech », conclut Philippe de Chanville. « Mais nous sommes une entreprise plus mature, qui n'est plus dépendante des levées de fonds. On a financièrement notre destin en main grâce à notre cash et à notre modèle rentable. Je suis très fier d’être une ETI. »