Imagination Machine n’en est qu’à sa première promo mais d’aucuns fondent beaucoup d’espoirs en Rob Spiro, le maître d’oeuvre de l’accélérateur nantais passé par la Silicon Valley, pour attirer les talents européens.

« Rob Spiro, l’entrepreneur à succès venu de la Silicon Valley ouvre un accélérateur à Nantes » : ces derniers mois, la presse nationale et régionale a quasi unanimement vanté les louanges de l’entrepreneur venu de la mère patrie pour aider les petits Frenchies à accélérer. Si Nantes n’avait pas besoin d’un soldat Spiro pour réussir, la venue de l’entrepreneur américain est devenue un véritable outil d’attractivité du territoire. Une situation dont il s’amuse.

« Dans la Silicon Valley je ne suis personne, reconnait-il, des mecs comme moi qui ont revendu leur boite à Google il y a en a des centaines. » Car ce qui confère aujourd’hui son aura à ce trentenaire débarqué il y a deux ans de la Mecque de la Tech, c’est notamment le fait d’avoir revendu à Google une entreprise qu’il a cofondé : Aardvark.  Après un cursus d’histoire à Yale, pour « s’ouvrir l’esprit » et avoir appris le code en autodidacte, il rejoint le projet Aardvark en 2007. « J’étais le product guy et j’étais le plus jeune des quatre associés. On a créé une technologie, un produit à mi-chemin entre le moteur de recherche et le réseau social. À l’époque, Google était en course contre Facebook et voulait lui aussi lancer son réseau social. » Après le rachat, le jeune Rob atterrit à Mountain View sur les cendres de Google Buzz en 2010, et y reste un an. « Les 30 personnes d’Aardvark sont passées chez Google et on a bossé sur Google + et Google Hangouts mais j’avais envie de lancer ma propre startup, avec des valeurs humaines et écologiques. »

De la livraison de produits frais à la restauration

Il crée alors sa société Good Eggs en 2011 et commercialise son service de livraison de produits frais en direct du producteur aux consommateur deux ans plus tard. De San Francisco, il étend rapidement le service à trois autres villes, mais se brûle les ailes.  « C’était trop tôt, le cashburn était trop important et on a dû fermer pour se concentrer sur San Francisco. » Une mauvaise passe vite oubliée puisqu’aujourd’hui sa société génère « des dizaines de millions de dollars de chiffre d’affaires » et qu’il a passé la main à un nouveau CEO. « Gérer 50, 100 personnes c’est bien, mais au-delà c’est un autre métier pour lequel je ne suis pas fait. », explique-t-il. Rob Spiro, c’est l’allumette qui donne vie à un projet et s’éteint une fois que le feu frémit. Toujours actionnaire de sa société, l’Américain arrive donc en France en 2016 avec sa femme et leur premier enfant avec l’idée de monter un restaurant.

" Quand je suis arrivé, je me suis dit, c’en est fini des startups et de la technologie "

C’était sans compter sur le dynamisme nantais. Il passe une année à apprendre le français et à travailler son insertion, lui qui ne connait « ni le coin, ni les gens. » Il rencontre Julien Hervouët, fondateur d’iAdvize et Adrien Poggetti qui dirige La Cantine. Humble et rôdé aux codes de la Silicon Valley, ayant connu les succès mais aussi les échecs, Rob Spiro intrigue. « Quand on l’a rencontré on s’est dit qu’il fallait absolument ouvrir quelque chose et faire circuler son savoir », explique Adrien Poggetti. Point de restaurant pour Rob donc. Dans une ville souvent vue comme la locomotive de la French Tech, un ancien de la Silicon Valley, avec son carnet d’adresses, son savoir et son expérience, apparait rapidement comme un réel atout.

« Je ne voulais pas relancer de startup mais j'ai compris que Nantes manquait d’un accélérateur à visée internationale pour attirer des étrangers mais aussi créer des startups à l’ambition globale. » Il n’en fallait pas plus pour qu’en moins de six mois Rob Spiro cofonde Imagination Machine ("Silicon Valley ambition, french style" dit la baseline) avec Julien Hervouët, Adrien Poggetti et Vincent Roux et lève 1 million d’euros auprès d’une cinquantaine d’entrepreneurs locaux. Une opération séduction de l’écosystème local « plutôt facile », avoue-t-il, même si les « détails étaient compliqués ». Les détails ? La répartition des bénéfices entre les cofondateurs et les investisseurs. "L'actionnaire principal c'est Rob et nous sommes cofondateurs de la structure à hauteur de 15% chacun, approfondit Vincent Roux, le programme Imagination Machine nous appartient mais nous avons mis en place un système où 80% des bénéfices tirés de l'accélération sera reversé aux investisseurs." Parmi ces investisseurs, des anciens et des modernes avec d’un côté, les entrepreneurs nouvelle génération à la tête de pépites en vogue comme Akeneo, Intuiti, Lengow etc. de l’autres des mastodontes bien ancrés dans le territoire comme le groupe Lacroix, CIC Ouest, le groupe Eram, Armor etc.

Des ETI impliquées dans le circuit de l'innovation

Des ETI de renom qui participent ici à un modèle qui s’est rarement vu. En s’associant directement à l’accérateur, les ETI du secteur financent l'innovation mais y sont surtout intéressées et peuvent ainsi toutes s'y frotter. L’une des startups de la promotion, Fifty Truck, est d’ailleurs une spinoff du Groupe IDEA, une ETI logistique de Saint Nazaire qui affiche un joli chiffre d'affaires de 120 millions d'euros. L'entreprise a confié à Vincent Roux la direction de cette startup qui a vocation à répondre aux enjeux d'automatisation du marché du transport, "qui souffre cruellement de ses marges aujourd'hui, c'est un moyen pour eux de participer activement à la mutation du secteur, d'être aux premières loges pour ne pas subir", explique ce dernier. Un modèle qui permet aux jeunes pousses de ne pas subir le poids de la structure porteuse du projet.

On est clairement dans la unsexy startup zone
mais les besoins des PME et des ETI industrielles
en matière d'innovation est énorme.
Et il faut que ça aille vite et que ça ne coûte pas cher.
Startup excubée = autonomie, frugalité, agilité, vitesse "

Vincent Roux

Une recette Spiro ?

Outre cette implication essentielle des ETI locales, Rob Spiro pousse un modèle hybride : à la fois accélérateur et startup studio. « Le but est de créer un portefeuille d’entreprises, au capital desquelles on entre à hauteur de 6 à 10% pour une mise de 15 000 euros (pour la partie accélération, NDLR), ou dont on est actionnaire minoritaire (dans le cas des projets issus du startup studio, NDLR) et d’obtenir de jolies exits ».

Alors que la toute première promotion (3 startups accélérées et 3 startups issues du startup studio) vient tout juste de terminer son programme, une première levée de fonds est en passe d’être closée pour l’une des entreprises accélérées (mais on ne peut rien dévoiler de plus à ce stade) et les sourires sont radieux sur les visages des résidents de l’Imagination Machine. Ce qui pousse à l’interrogation. Au-delà du fait d’être passé par la vénérée Silicon Valley, y aurait-il donc une recette Spiro ?

Dorothée Barth, entrepreneure en résidence à la tête de Jho, une marque de produits hygiéniques en coton bio qui devrait entamer sa commercialisation mi-2018, est on ne peut plus enthousiaste. «À la base je suis journaliste et je ne pensais pas avoir l’étoffe d’une entrepreneure, j’ai donc postulé pour être à la communication. Rob m’a reçue et a essayé de comprendre comment fonctionnait le monde du documentaire et m’a questionnée sur un one man show que j’avais monté. Il m’a démontré que dans chacune de ces expériences j’avais déployé des qualités essentielles à un entrepreneur. » Plutôt que de l’engager pour la communication, Rob Spiro lui confie le projet Jho. « Une autre personne ne m’aurait probablement pas donné ma chance.» Première qualité, Rob Spiro ne s’arrête donc pas à un CV pour décider de la valeur d’un candidat et sait rapidement repérer les forces et les faiblesses de chacun. 

« Il casse vraiment les codes, ajoute de son côté Coline Mazeyrat, cofondatrice de Jho. Nous avons lancé la boite avec 143 euros de capital, parce que Rob nous a dit qu’on s’en fichait royalement de mettre 10 000 euros chacune. Il a également des méthodes de travail très efficaces, nous apportent des réponses en une heure alors que ça nous aurait pris 3 jours de trouver par nous-mêmes et un réseau qui nous est utile au quotidien.» Alors que les deux entrepreneures se font au départ recaler par les trois seuls fabricants de protections hygiéniques en coton bio d’Europe, le réseau d’Imagination Machine intervient. « Aujourd’hui on a notre fabricant et nous avons monté notre marque en 13 semaines. »

La vitesse, l’autre trait Spiro. Alors qu’un closing est en cours pour l’une des six startups, le mentor s’insurge contre les levées qui traînent dans le temps, comme on sait si bien le faire en France.

" Pour une startup, surtout dans la première phase de financement,
ça ne doit pas prendre plus de six semaines.
Cela prend beaucoup d’énergie
et les fondateurs n’ont pas six mois à perdre,
ça les empêcherait d’innover
"

Côté financement, quelques investisseurs américains proches de Rob Spiro scruteraient également avec intérêt les projets de la couveuse Imagination Machine. « Je suis en contact avec certains fonds américains qui attendent les prochains pitchs. » Envie d’en être ? L’appel à candidatures pour la seconde promo court jusqu’au 25 janvier !

Et ce n’est pas Vite mon marché qui vous déconseillera de postuler. Nicholas Hoddevik, son cofondateur, s’est lancé sur le même marché que celui de Good Eggs et livre les produits des producteurs partenaires directement aux Nantais. « Quand on a appris que la personne à la source de notre idée venait à Nantes on a pensé que ça ne pouvait pas être une coïncidence, on lui a écrit sur Linkedin et il nous a invité chez lui. Il nous a dit que si aujourd’hui il devait refaire Good Eggs il y avait quelques erreurs qu'il ne referait pas et il nous a invité à rejoindre Imagination Machine. » Avoir un entrepreneur qui aide un copycat à se lancer sur son marché domestique, qui lui donne salve de conseils pour ne pas recommencer les mêmes erreurs, ce n’est pas banal. « On peut dire que son accompagnement a été vital pour nous, et ça a tout accéléré », explique Nicholas.

Alors que de plus en plus de profils internationaux postulent pour entrer chez Imagination Machine, Rob Spiro a un objectif : ne pas faire de l’accélérateur une machine nanto-nantaise. « Si ce n’est pas mon premier objectif de valoriser la ville, je serais ravi que l’on puisse créer une licorne à Nantes. On n’a pas envie de créer quelque chose comme Y Combinator, c’est une grosse machine. Angel Pad, en revanche est un modèle intéressant. Il faut que l’on ait un programme qui créé un cercle vertueux, qui attire les meilleurs investisseurs et donc les meilleurs entrepreneurs. »

Pourquoi ne donnerait-on pas envie
à toutes les startups en Europe
de se déplacer à Nantes ?
"

Rob Spiro