Par Nicolas Guyon
22.05.25 — 10h45
AlphaEvolve : l’IA qui permet de faire avancer des problèmes mathématiques vieux de 300 ans ou d'économiser un datacenter entier à Google !
Libérer 0,7 % de capacité dans les fermes de serveurs de Google paraît presque anecdotique. Jusqu’à ce qu’on traduise ce chiffre : c’est l’équivalent d’un data-center entier, représentant plusieurs centaines de gigawattheures économisées chaque année, qui disparaît de la facture énergétique, 24 heures sur 24. La raison ? Un algorithme stratégique – celui de Borg, qui orchestre les ressources des data-centers – réécrit par une IA et validé en production depuis plus d’un an.
Derrière cette prouesse se cache AlphaEvolve, l’agent évolutif dévoilé mi-mai par Google DeepMind. Son secret ? Une boucle d’évolution artificielle appliquée au logiciel : Gemini Flash génère des milliers de propositions de code, Gemini Pro sélectionne et affine, des vérificateurs automatiques évaluent chaque fragment, puis un algorithme génétique préserve et améliore sans relâche les meilleurs résultats. Cette méthode, aussi créative que rigoureuse, tourne jusqu’à atteindre la limite de ce qui est optimisable.
Les résultats impressionnent : cette même approche a réduit de 23 % un calcul matriciel central, raccourci de 1 % l’entraînement des modèles Gemini, simplifié le circuit d’un TPU (Tensor Processing Unit) de Google et accéléré de 32,5 % le très complexe algorithme FlashAttention, essentiel aux modèles génératifs.
Mais AlphaEvolve ne se limite pas aux améliorations techniques. Google l’a également lancé sur plus de cinquante problèmes ouverts en mathématiques, combinatoire et géométrie. Dans 75 % des cas, AlphaEvolve retrouve spontanément les meilleures solutions existantes ; et dans 20 %, il fait encore mieux.
Le cas le plus frappant est sans doute celui du Kissing Number (ou Nombre de Newton). Imaginez une pièce posée sur une table : six autres pièces peuvent l’encercler en la touchant toutes simultanément. Passez maintenant à des oranges : douze oranges au maximum peuvent entourer et toucher une orange centrale. Newton lui-même, en 1694, s’interrogeait déjà sur ce nombre maximal en trois dimensions, sans imaginer qu’il faudrait plus de 250 ans pour prouver sa conjecture. Trois siècles plus tard, AlphaEvolve améliore la meilleure solution humaine connue en onze dimensions, passant de 592 à 593 sphères – une avancée minuscule en apparence, mais gigantesque pour les mathématiciens.
Cette capacité unique d’exploration programmatique donne corps aux prévisions de Sam Altman : 2025 sera l’année où les agents feront du développement logiciel ; 2026, celle où ils feront des découvertes scientifiques majeures ; 2027, celle où ils entreront pleinement dans le monde physique, avec des robots capables de créer directement de la valeur économique.
En clair : l’IA cesse d’obéir passivement. Elle invente, optimise, et réinvestit ses propres avancées pour progresser davantage. Ce cycle d’auto-amélioration transforme la recherche-développement traditionnelle en un processus exponentiel.
Pour les ingénieurs, cela implique moins d’écriture directe de code et plus d’orchestration créative de cette intelligence algorithmique. La lisibilité des solutions proposées devient aussi cruciale que leur performance brute.
Pour l’économie, chaque fraction de pourcentage d’efficacité gagnée à l’échelle des géants du numérique représente des centaines de millions d’euros économisés et des milliers de tonnes de CO₂ évitées.
Enfin, pour la science, AlphaEvolve montre que les grands modèles d’intelligence artificielle ne sont plus seulement des outils passifs de compilation du savoir humain, mais bien des co-chercheurs capables d’étendre activement les frontières de la connaissance. Le mécanisme même d’évolution algorithmique développé par AlphaEvolve ouvre des perspectives immenses pour résoudre d'autres défis scientifiques, mathématiques ou techniques jusqu'ici inaccessibles.
C’est précisément ce potentiel révolutionnaire qu’ont récompensé les récents prix Nobel décernés à Demis Hassabis (AlphaFold) en chimie et Geoffrey Hinton (réseaux neuronaux profonds) en physique. La génération d'Hassabis et Hinton a prouvé que l’IA savait expliquer le monde ; AlphaEvolve et ses successeurs montrent aujourd’hui qu’elle peut véritablement le transformer.
Google annonce d’ailleurs qu’AlphaEvolve ne restera pas cantonné à ses murs : un programme d’accès anticipé pour les chercheurs et entreprises externes vient d’être lancé. La décennie de l’auto-innovation s’ouvre ainsi, portée par une IA capable, en quelques heures, de résoudre des énigmes qui défiaient l’humanité depuis trois siècles.
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