26.06.25 — 08h30

Dette cognitive ou révolution éducative : l’IA à l’épreuve du savoir

Si l’impact de l’IA générative sur l’avenir du travail alimente déjà mille interrogations, son influence sur l’éducation pourrait s’avérer encore plus décisive. Comme à chaque saut technologique majeur – de l’écriture, à laquelle Socrate s’opposait vivement, mais dont nous bénéficions toujours près de 2500 ans plus tard, jusqu’à Internet, les smartphones ou encore le GPS –, une inquiétude surgit : celle d’une « tricherie » potentielle qui affaiblirait nos compétences et dévaloriserait nos efforts. Cette anxiété trouve aujourd'hui une résonance particulière avec la publication d’une récente étude du MIT, intitulée Your Brain on ChatGPT. Après quatre mois d’utilisation intensive, 83,3 % des utilisateurs de ChatGPT se révélaient incapables de citer précisément des extraits d’essais qu’ils venaient pourtant tout juste de rédiger. Les chercheurs décrivent ce phénomène sous le terme évocateur de « dette cognitive », emprunté à la notion de dette technique en informatique : soit nous accumulons cette dette jusqu’à en devenir dépendants, soit nous développons notre force cognitive afin de devenir de véritables « multiplicateurs » de l’IA. Ce dilemme s’incarne dans deux exemples très concrets. Récemment, une étudiante paniquée m’a contacté avant de rendre son mémoire, découvrant l’existence de Turnitin, ce logiciel capable de détecter les traces de ChatGPT dans les copies universitaires, et cherchant désespérément comment contourner le détecteur par des prompts adaptés. Plus radical encore, la startup américaine Cluely, dont le cofondateur fut renvoyé de l’université de Columbia pour avoir créé une application destinée à tricher, vient de lever 15 millions de dollars grâce à un marketing assumé et remarquablement exécuté, promettant avec une décontraction absolue : « cheat on everything ». Son interface ultra-fluide, indétectable même en réunion ou lors d’un partage d’écran, nourrit l’utilisateur de réponses instantanées. L’expérience fascine, tant elle préfigure ce que pourrait être demain un assistant omniprésent sur nos écrans. De l’autre côté de l’Atlantique, la France peut être fière d’une startup comme Wilgo, qui porte haut les valeurs d’une « IA for good ». Wilgo utilise l’intelligence artificielle pour adapter précisément les exercices au rythme et aux besoins de chaque élève, renforçant la mémorisation par la répétition espacée et proposant des explications personnalisées. Un usage vertueux de l’IA, démontrant comment la technologie peut enrichir l’apprentissage sans jamais s’y substituer. Quant à Ray Kurzweil, pionnier de l’IA, il prévient clairement : « Not teaching AI in college means preparing people for a world that doesn’t exist. » Enseigner l’IA n’est plus une option, mais une nécessité absolue. Nous devons nous préparer à l’arrivée imminente d’une génération mutante, pour laquelle l’IA sera un authentique système d’exploitation – comme l’évoquait récemment Sam Altman en décrivant les usages des plus jeunes utilisateurs de ChatGPT. Un système si puissant et omniprésent que s’en passer pourrait bientôt devenir inimaginable. Apprendre avec l’IA, oui, mais sans jamais cesser d’apprendre à penser.
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