12.06.25 — 12h52
IA générative : la semaine de 15h enfin à portée de main ?
VivaTech se remet encore des déclarations fracassantes de Dario Amodei sur l'impact de l'IA générative sur l'emploi. Le patron d'Anthropic avait prédit dans une interview à Axios en mai dernier que 50 % des emplois juniors pourraient disparaître d’ici 1 à 5 ans, provoquant un chômage massif pouvant atteindre 20 %. Peu importe le manque de précision, il a touché quelque chose de profond car les utilisateurs des derniers modèles savent qu’ils cochent les cases d’une grande partie des tâches des jobs “entry-levels”.
La riposte ne s'est pas fait attendre. Jensen Huang (Nvidia), invité à VivaTech, vient de déclarer qu'il « désapprouve presque tout » ce que dit Amodei sur ce sujet, préférant miser sur la transformation et la création d'emplois. Plus virulent encore, Yann LeCun (Meta) traite le CEO d'Anthropic de « doomer » et l'accuse même de malhonnêteté intellectuelle sur les réseaux sociaux.
Cette polémique révèle surtout notre difficulté collective à appréhender une révolution technologique exponentielle. Les jeunes diplômés font déjà face à une concurrence déloyale : les modèles d'IA touchent aujourd’hui 800 millions d'utilisateurs hebdomadaires – 10 % de la population mondiale – et Sam Altman (OpenAI) annonce que ses systèmes atteindront dès 2025 le niveau d'un stagiaire. Nos jeunes diplômés se retrouvent ainsi en concurrence directe avec des algorithmes qui progressent exponentiellement en performance et en nombre d’utilisateurs.
Face à cette accélération, le silence des économistes devient préoccupant. Seules l'OIT et le WEF ont publié des études récentes, mais leurs projections prudentes (40 % des emplois « affectés ») peinent à modéliser clairement l'impact d'une évolution exponentielle. Le débat reste dominé par les seuls développeurs d'IA, brillants certes, mais novices en sciences sociales – rappelons que Dario Amodei est biologiste de formation.
Pendant ce temps, certains dirigeants dessinent déjà l'après-travail. Jamie Dimon (JP Morgan) anticipe une semaine de 3,5 jours d'ici dix ans ; Bill Gates pousse jusqu'à deux jours en fin de décennie. Ces prédictions rappellent étrangement celles de Keynes qui, en 1930, promettait 15 heures de travail hebdomadaires pour… 2030. Mais ces 15 heures hebdomadaires seront-elles la norme pour tous, ou simplement une moyenne dans une société à deux vitesses, divisée entre ceux qui travaillent efficacement avec l’IA et ceux qui subsistent grâce à un revenu universel minimum ?
Ravi Kumar (Cognizant) tempère judicieusement en rappelant que l'IA pourrait permettre aux jeunes diplômés de monter plus rapidement en compétences, réduisant les barrières à l'entrée plutôt que les emplois eux-mêmes.
Tobi Lütke (Shopify), lui, ne perd pas de temps en débats : sa consigne interne, « prouvez que l'IA ne peut pas faire le job avant de recruter », cache une stratégie redoutable. Derrière cette directive apparemment anodine se dessine la vraie révolution : celle qui transforme chaque salarié en expert actif de l'IA générative – avant de potentiellement le remplacer ?
L'urgence est claire : les économistes doivent sortir du silence et proposer enfin des scénarios crédibles. Faute de quoi, nous risquons de subir cette révolution plutôt que d'en faire enfin le progrès social que Keynes annonçait il y a près d'un siècle.
Car Dario Amodei a raison sur un point crucial : finissons-en avec le « sugar coating ». OpenAI a démocratisé l'IA pour que chacun puisse s'en saisir rapidement, évitant ainsi un réveil brutal face à une superintelligence incontrôlable. Mais cette démocratisation nous impose dès aujourd’hui des questions fondamentales : à quoi ressemblera une société post-travail, et comment répartir les richesses créées par les machines ?
La vraie question n’est plus « combien d’emplois ? » mais « quelle société voulons-nous quand l’IA saura (presque) tout faire ? »
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