Le départ de son capitaine historique, Alexandre Malsch, est un nouveau test pour le canot devenu paquebot. Désormais dans les mains de Jérémie Clévy, il navigue entre la recherche d’un modèle pérenne propre à une startup et les difficultés managériales d’un grand groupe.

La nouvelle a fait l'effet d'une bombe dans le paysage médiatique français. Le 27 mars, en quatre tweets et moins de 600 caractères, Alexandre Malsch a annoncé qu'il quittait la présidence de melty, le groupe média qu'il avait fondé quinze ans auparavant. Bien qu'il reste actionnaire de l'entreprise, le charismatique entrepreneur disait vouloir "se mettre au service d'autres groupes".

La présidence revient donc à Jérémie Clévy, directeur général du groupe depuis son arrivée il y a un an. Il hérite d'un groupe "agile", "plus proche de la startup que d'une grande entreprise", selon sa définition. Qui n’est pas forcément partagée par ceux qui ont travaillé pour melty.

Jeremie Clevy

Jérémie Clévy, à gauche, avec Alexandre Malsch

L’esprit melty mis à mal

Derrière l’esprit startup mis en avant par Jérémie Clévy, melty rencontre pourtant des problématiques de grands groupes. Plusieurs anciens rédacteurs évoquent “des problèmes financiers” qui auraient poussé melty à revoir sa stratégie managériale. “Quand melty a commencé à connaître des pertes financières, ils ont instauré un contrôle drastique des freelances, raconte l’un d’entre eux. Nous nous sommes retrouvés à n’écrire plus que quelques articles par semaine.

Après avoir réorienté sa ligne éditoriale vers les contenus à forte audience, le groupe a décidé de se séparer de nombreux freelances. Un rédacteur raconte ainsi que le groupe procède à des “roulements internes” en permanence pour pallier les départs. “Certains deviennent chefs de rubrique au bout de seulement quelques mois. On se retrouve parfois avec deux rédacteurs en chef dans un même service.

Un jour, on m'a appelée pour me dire qu'on ne me donnerait plus d'articles à écrire. Quand on te sort ça comme ça après plusieurs années dans la rédac, tu te dis qu'on ne te considère pas beaucoup

Une freelance

Woman is typing on the laptop

Une nouvelle stratégie axée sur les réseaux sociaux

Un tour de vis apparemment payant du point de vue de la direction. Revendiquant 27 millions de visiteurs par mois (20 millions en février selon l'Alliance pour les chiffres pour la presse et les médias pour melty.fr), melty réalise désormais 73% de son audience sur mobile. Côté  réseaux sociaux, ces derniers sont au coeur de la stratégie du groupe initiée par Alexandre Malsch et que Jérémie Clévy compte non seulement conserver mais renforcer. "Notre credo était d'être les champions du monde du référencement sur nos thématiques de prédilection, rappelle le nouveau président. Mais aujourd'hui, tout ne se passe plus sur Google mais sur les réseaux sociaux, devenus incontournables."

Avec 4 millions de visiteurs mensuels sur Snapchat Discover, selon les chiffres dévoilés par la presse que Jérémie Clévy n'a pas désavoué, ce dernier "pense que melty est leader" sur ce segment, à peine un an après s'être lancé dans l'aventure. Des équipes sont déjà constituées pour transformer l'essai également sur Facebook et Instagram Stories. Dans le même laps de temps, le groupe a triplé sa présence sur Facebook, passant de 1,5 à 4,5 millions de fans, la plateforme sur laquelle "la traction est la plus facilement mesurable". C'est sur celle-ci que le groupe fonde ses plus grands espoirs, même s'il soigne également son Instagram, où "l'engagement et la monétisation sont moindres".

Car c'est bien là le nerf de la guerre. Presque deux ans jour pour jour après une levée de fonds de 10,5 millions et alors qu'Alexandre Malsch annonçait en juin 2015 qu'une nouvelle levée - le montant de 25 millions d'euros circulait alors -  "sui(vai)t son cours", aucune transaction ne s'est finalement concrétisée. "Il nous reste encore un peu des fonds levés alors, rassure Jérémie Clévy. Et nous n'avons pas de besoins particuliers." Les investissements se concentreront sur la publicité programmatique, dont le chiffre d'affaires a doublé en six mois pour atteindre "plusieurs centaines de milliers d'euros" et pour laquelle une équipe de 6 personnes a été constituée. Une façon aussi de signifier que ces investissements seront facilement absorbables. Davantage que ceux qui avaient été effectués il y a trois ans, quand Melty caressait l'ambition de s'internationaliser.

Le difficile pari de la monétisation

En matière d’internationalisation, Jérémie Clévy estime avoir "réussi à 50% ce qu’on a lancé". "Nous avons su rassembler une audience mais pas la monétiser depuis Paris. Et nous avons peut-être ouvert trop de pays d'un coup", lâche-t-il dans ce qui ressemble le plus à une critique de son prédécesseur. Toutefois, une fois son empire français solidement bâti, le groupe pourrait bien étendre ses tentacules et relancer ce chantier international laissé à l'abandon.

Mais, en France, sur son premier marché, melty a déjà revu ses ambitions à la baisse avec la fermeture en 2015 et 2016, faute d’audience, des sites meltyBuzz, meltyFood, meltyCampus et meltyDiscovery. Une surprise pour les rédacteurs qui travaillaient pour ces rubriques. “Je me suis levée un matin et un message affichait qu'il n'y aurait plus de mise à jour sur meltyBuzz, raconte un ancien freelance. Personne ne comprenait ce qu’il se passait. C'est seulement après plusieurs mails que le rédacteur en chef nous a dit que la direction avait pris la décision de fermer le site et que cela s'était fait à la dernière minute. Pourtant, quelques jours après, l’équipe nous a avoué être au courant depuis plusieurs jours sans avoir eu le droit de nous en parler.
Fondé par un jeune qui ciblait les jeunes, le groupe melty semble aujourd’hui en pleine crise d’adolescence. Dans un billet posté sur Medium ce jeudi, l’entrepreneur Benoît Raphaël, ami d’Alexandre Malsch, revient sur l’aventure melty. “Tant qu’il y a des briques, et tant qu’il y a du rêve, il y a toujours quelque chose à construire. melty est un rêve presque achevé”, écrit-il. Encore faut-il qu’il reste des briques.