Depuis quelques années apparaissent des logiciels, didacticiels ou « selforiels » qui prétendent pouvoir automatiser la mise en œuvre du Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Dans un article récent, Maddyness mettait en avant plusieurs plateformes susceptibles d’aider les startups dans leurs démarches au moment de déposer leurs dossiers de CIR. S’il est bien sûr possible de proposer des « checklists » ou des fiches pratiques, il est en revanche fallacieux, et potentiellement dangereux, de laisser croire à une entreprise que la démarche peut être automatisée.

Une telle promesse tient de la méconnaissance du dispositif et ne peut conduire l’entreprise que, d’une part, à une valorisation erronée de ce à quoi elle a droit et, d’autre part, à un dossier justificatif ne répondant pas ou répondant mal aux attentes de l’Administration.

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Sans compter que les plus lourdes diligences en matière de CIR concernent la défense des dossiers, tant sur le plan technique que sur le plan juridique, lors des débats, recours et contentieux avec l’Administration : l’idée même d’une automatisation en la matière est évidemment illusoire…

Des compétences multidisciplinaires indispensables

Le CIR est un dispositif entré en vigueur en 1983 et qui offre aux entreprises la possibilité de se faire rembourser une partie de leurs frais de R&D. De nombreux postes de dépenses sont pris en charge dans le calcul du Crédit d’Impôt : pour calculer puis justifier le montant auquel elle peut prétendre, une entreprise doit identifier très précisément ses activités de R&D éligibles cette année-là, pour se livrer ensuite à un travail rigoureux et complexe de valorisation, de documentation puis de défense, qui semble en effet incompatible avec toute idée d’automatisation.

Le rapport technique attendu par l’Administration à l’appui d’un CIR doit être extrêmement précis, détaillé et argumenté sur le plan scientifique : il doit décrire les objectifs du projet de R&D, les performances techniques ou scientifiques à atteindre, le contexte des opérations et les contraintes correspondantes, les problèmes à résoudre et les verrous à surmonter, le détail des travaux réalisés étape par étape, les résultats obtenus et les perspectives que ces résultats laissent entrevoir. Parvenir à faire la part entre ce qui est éligible et ce qui ne l’est pas impose un travail qualitatif rigoureux qui suppose de disposer de moyens humains pluridisciplinaires : scientifiques, techniques, comptables, et financiers pour établir le dossier, mais également de compétences juridiques spécialisées pour le défendre lors du débat qui s’instaure immanquablement avec l’Administration à l’occasion d’une déclaration de CIR.

En effet, l’emballement suscité par ce dispositif, dont les gouvernements successifs ne cessent de vanter les mérites, engendre à juste titre une multiplication des contrôles de la part d’une Administration plus frileuse que les politiques au moment de verser l’argent. Ce qui oblige à actionner successivement les nombreux recours prévus par la loi en matière de CIR et, souvent, à plaider devant les tribunaux administratifs pour faire valoir ses droits… et obtenir au passage des jurisprudences plus favorables aux entreprises. Une plateforme et un logiciel CIR, on l’aura compris, ont peu d’utilité pour ce type de démarches.

Un travail expert et méticuleux au service des entreprises

Quant à la valorisation du CIR elle-même, qui pourrait sembler être la partie du travail la plus susceptible d’être automatisée, il n’en est rien ! Il convient en effet de justifier les éléments de calcul du CIR par des matrices complexes de valorisation des différents postes éligibles, d’apporter des justificatifs comptables (factures, DADS, tableaux d’amortissements), de produire les CV et diplômes des chercheurs, d’établir des tableaux de signatures attestant de la participation des personnels R&D… et enfin, et surtout, de produire des tableaux de découpage des projets de R&D dans le temps, phase par phase, tâche par tâche.

Déterminer avec précision le temps consacré à la R&D par chaque collaborateur est donc le fruit d’un travail minutieux et très rigoureux, dans la durée, entre les équipes internes de l’entreprise et le cabinet qui va l’accompagner dans sa déclaration de CIR. Ce calcul ne peut pas - et ne doit pas - être fait de façon ni statistique ni forfaitaire, mais doit résulter d’une analyse très fine des travaux réalisés, faute de quoi, d’une part, la précision des montants auxquels l’entreprise peut prétendre ne serait pas satisfaisante et, d’autre part, l’équilibre vertueux du CIR qui réside dans le fait d’octroyer des aides correspondant aux efforts de R&D réellement engagés, ne serait pas atteint.

Autre exemple de tâche impossible à automatiser : le re-calcul comptable des charges sociales éligibles à l’assiette de calcul du CIR. Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche retenues pour déterminer le CIR comprennent les rémunérations et leurs accessoires, et en particulier les charges sociales, dans la mesure où celles-ci correspondent à des cotisations sociales obligatoires.

Comment prétendre, en effet, automatiser la distinction très subtile, et relevant strictement de l’expertise comptable, entre les cotisations sociales obligatoires (cotisations patronales légales ou conventionnelles à caractère obligatoire versées par l'entreprise, assises sur des éléments de rémunération éligibles au CIR et ouvrant directement droit, au profit des personnels concernés ou leurs ayant-droits, à des prestations et avantages), éligibles à l’assiette du CIR, et certaines autres charges sociales ou assimilées, dues par l’employeur, mais non éligibles à cette assiette ?

On voit bien que le travail de mise en œuvre du CIR ne peut se faire qu’au fil de nombreuses diligences pluridisciplinaires s’appuyant sur une compréhension intime de l’entreprise et de ses travaux de R&D. Nous sommes bien loin de toute possibilité d’automatisation, même dans un pays où l’intelligence artificielle, grâce justement au CIR, progresse à une vitesse vertigineuse !

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