Le label fait fantasmer tous les maires, qui y voient un concept vendeur et un gage de modernité. Mais derrière les belles annonces, les projets tardent à se concrétiser, faute souvent de réel besoin de la part des habitants.

Le marché mondial des technologies de la ville intelligente dépassera les 88,7 milliards d’euros en 2025, prévoit un rapport du cabinet d’études Navigant. Une croissance de 10,3% tous les ans, plus rapide que celle des énergies renouvelables (7% selon BMI Research). Plus de 600 villes ont déjà mis en œuvre des solutions connectées dans un grand nombre de secteurs (énergie, mobilité, éducation, culture, mobilier urbain, infrastructures...), estime BPI France.

Alléluia ! La cité de demain sera donc un eldorado où tous les services seront à portée de main et où la gestion municipale sera aussi simple que d’appuyer sur une icône de smartphone.

Des expérimentations avortées en pagaille

Sauf que cette belle promesse est loi d’être évidente. Derrière l’enthousiasme des élus se cache une mise en oeuvre souvent laborieuse. Lyon, par exemple, mène plus d’une centaine d’expérimentations dans le cadre de sa "Métropole intelligente". "Certaines n’ont pas été reconduites", reconnait Karine Dognin Sauze, vice-présidente en charge de l’innovation et du développement numérique. Le service Sunmoov, qui mettait une flotte de voitures électriques à disposition des habitants du quartier Confluence, a par exemple été fusionné avec le service d’autopartage BlueLy. Trop restrictif, il n’était pas utilisé.

A Barcelone, les lampadaires qui s’éteignent et s’allument automatiquement en fonction des passages, mis en place en 2013, ne fonctionnent déjà plus faute de financement. Le fameux immeuble Media-TIC building, censé être un modèle d’efficacité énergétique, s’avère être un gouffre en énergie, déplore Gemma Galdon Clavell, analyste politique à l’Université de Barcelone. Aujourd’hui, le petit voyage touristique proposé par la ville aux journalistes venus admirer son modèle de "smart city" ne comporte plus que six étapes, contre 14 auparavant.

"De nombreux projets fonctionnent encore malheureusement en silo, alors qu’ils nécessiteraient d’être intégrés dans une vision beaucoup plus globale et intégrée de la ville", souligne Éric Woods, directeur de recherche chez Navigant. Des projets aussi soumis aux aléas politiques. A Barcelone, la précédente administration était tout feu tout flamme sur le sujet, avec plus de 122 projets dans ses cartons. Les électeurs ont apparemment d’autres priorités. Après l’élection de la nouvelle maire Ada Colau en 2015, la plupart des projets ont été abandonnés et le département dédié à la Smart City a été démantelé, rapporte le magazine E&T

Smart city, un mot-valise sans grande réalité derrière

" La meilleure preuve que le mot "smart city" est un concept creux, c’est qu’on en parle beaucoup et qu’il n’y a pas grand chose de concret derrière

Kees Jansen, urbaniste néerlandais spécialiste du sujet

"Pour les concepteurs de ces solutions, c’est le côté innovant qui compte et pas du tout ce que vont réellement en faire les gens". "Qui peut croire un seul instant que ce sont les Google Cars ou les algorithmes d’IBM qui vont, seuls, fluidifier le trafic de métropoles urbaines engorgées si les entreprises n’aménagent pas les horaires d’ouverture des boutiques, des bureaux ou des livraisons dont elles sont responsables ?", renchérit Louis Treussard, directeur de l’Atelier BNP Paribas.

Lors d’un atelier au MIT à Boston en 2014, les participants étaient invités à donner leur avis sur de possibles évolutions technologiques de leur ville (contrôle de sa maison via smartphone, aide à la mobilité via réalité augmentée...). L’enthousiasme n’était pas franchement au rendez-vous. "Les gens ne sont pas convaincus que la technologie va réellement changer leur mode de vie", rapporte ainsi le journaliste Gary Graham, qui a assisté à ces ateliers. Avec toujours la suspicion que la ville intelligente soit juste une affaire de gros sous, promue par les multinationales pour placer leurs produits.

La ville intelligente, futur ghetto de riches geeks

Bien sur, toutes les collectivités assurent prendre leurs décisions "en association avec les habitants". Mais dans les faits, peu de gens participent à ces fameuses consultations. Ce qui conduit de fait à une sorte de ségrégation entre les geeks qui auront accès aux meilleures places de parking et aux bons plans de l’application municipale et tous ceux qui ne maîtrisent pas les nouvelles technologies, ou n’auront pas le réflexe de s’en servir.

D’autant qu’à la question de la maîtrise technique va s’ajouter la dimension géographique : "Les fournisseurs de technologies recherchent un profit immédiat, et privilégient donc les municipalités et les quartiers à fort pouvoir d’achat", avance Nick Taylor Buck, de l’université de Sheffield en Angleterre. La ville intelligente, un futur ghetto de riches accros aux TIC ? "Les villes les plus équipées technologiquement connaissent une érosion de la classe moyenne, comme à San Francisco", confirme Clément Marquet, doctorant en sociologie à ParisTech. Sans compter que le numérique, s’il crée des emplois pour les plus qualifiés, en détruit parmi les classes ouvrières ou les employés de services.

D’autres chercheurs s’inquiètent de la philosophie même des smart cities. "On a construit des barres d'immeubles en les qualifiant d'intelligentes. Mais le principal objectif économique reste de couler du béton. Et une ville, c'est aussi un phénomène social, des gens qui échangent et qui se rencontrent. On ne peut pas réguler un phénomène social avec des capteurs et des réseaux informatiques", considère Sylvain Rémy, chercheur en géographie économique à l'université nationale de Séoul.

Un soufflé prêt à retomber ?

Comme beaucoup de projets technologiques, le développement de la ville intelligente suit une courbe en "U renversé" : au début, tout le monde s’enflamme, ça devient un mot à la mode et chaque ville se croit obligée de suivre la tendance. Puis très vite, le concept s’avère creux et vide de sens, l’enthousiasme retombe et on revient à la réalité, décrit E&T.

Alors que de nombreuses villes font face à des difficultés à déployer leurs projets à grande échelle, il se pourrait bien qu’on soit aujourd’hui au sommet de la courbe "

Une vision minoritaire et rétrograde, dénoncent les adeptes du concept. "Lors de l’arrivée du chemin de fer au 19e siècle, certaines villes ont refusé d’accueillir des gares sous prétexte que c’était dangereux et que ça causait des nuisances", raconte Philippe Rambal, associé chez EY et spécialiste du sujet. "Aujourd’hui, elles s’en mordent les doigts. La smart city, c’est une opportunité que l’on ne peut pas rater".

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