Candidate à la Mairie de Paris, Nathalie Kosciusko Morizet répond aux questions de Maddyness à propos de son programme en faveur de l'écosystème startups parisien, notamment sur le bilan du maire actuel Bertrand Delanoë, mais également sur les projets immobiliers en cours (GLII, Halle Freyssinet...). Il est également possible de lire le programme d'Anne hidalgo.[hr]

Pouvez vous faire un bilan de ce que l'actuel maire de Paris a fait en faveur des startups ?

Comme de nombreux Parisiens, j’aimerais être en mesure de le faire ! Or la Ville semble très réticente à communiquer les chiffres des politiques qu’elle met en œuvre pour favoriser l’innovation et la création de startups. Vous ne trouverez nulle part, par exemple, le montant total des subventions allouées aux incubateurs parisiens ces onze dernières années, sans parler du retour sur investissement de ces dépenses. La Ville ne communique en outre que très partiellement sur le montant et l’efficacité des subventions directes allouées aux startups, notamment via le fonds Paris Innovation Amorçage.

En matière de création de lieux d’innovation (incubateurs, pépinières etc.), nous connaissons les objectifs fixés par Bertrand Delanoë dans son programme de campagne en 2008 : construire 55 000m2 d’espaces supplémentaires consacrés à l’innovation et aux start-ups en 6 ans. Je constate comme vous que les lieux d’innovation ont fleuri dans Paris ces dernières années. Cette stratégie dictée par une logique exclusivement foncière a néanmoins de quoi surprendre. Sur fond de bulle immobilière, ces projets coûtent des centaines de millions d’euros à l’Etat et à la Ville : je pense notamment au GLII et au projet de transformation de la Halle Freyssinet.

Néanmoins, je m’interroge – et de nombreux penseurs de l’innovation partagent mes préoccupations - sur la pertinence d’une stratégie fondée presque exclusivement sur la mise à disposition d’espaces de travail pour réduire les seuls coûts fixes de nos jeunes pousses. Ne serions-nous pas en train de confondre PME et start-ups ? Donner des tables et des chaises à de jeunes entrepreneurs n’est pas suffisant pour faire éclore de bonnes idées. Pour se matérialiser, une idée innovante a davantage besoin de financements, de partenaires et d’un cadre règlementaire stable.

A l’échelle de Paris, nous ne pouvons pas agir sur tous ces sujets. Si je suis élue, je ferai néanmoins en sorte d’insister davantage sur la mobilisation de l’ensemble de l’écosystème, la mise en réseaux des compétences, les économies d’échelles découlant d’un regroupement des besoins. Je m’assurerai également que ces initiatives sont connues à l’international, contrairement à Bertrand Delanoë, qui n’avait pas pour habitude d’associer les entreprises à ses déplacements à l’étranger…

Quelles mesures pensez vous prendre pour favoriser et stimuler la création d'entreprise et l'innovation à Paris?

La Ville dispose de plusieurs leviers pour encourager la création d’entreprises et l’innovation à Paris. A la fois soutien, cliente, et vitrine de nos start-ups, ses actions doivent être guidées par une logique de bonne gestion et d’excellence. En terme de soutiens aux start-ups, il faudra commencer par une évaluation des dispositifs existants, aussi nombreux que coûteux. La Ville de Paris n’a pas les moyens de subventionner toutes les jeunes entreprises, mais elle peut apporter une aide déterminante aux meilleures d’entre elles, pour autant qu’elle se donne les moyens de les repérer.

Nous devrons également être plus ambitieux dans la valorisation des atouts dont nous disposons. La Ville de Paris dispose des qualités inestimables, en matière de R&D, d’excellence de la formation supérieure notamment. Dans mon programme, je proposerai donc plusieurs mesures destinées à fluidifier au maximum l’écosystème de l’innovation parisien, afin de mettre en réseau nos talents, rapprocher entreprises et investisseurs. A ces fins, je consulte déjà régulièrement des laboratoires de recherche, des pépinières, des fonds d’investissement qui m’aident à identifier les carences actuelles et nos moyens d’action.

J’ai également la conviction que la Ville de Paris peut jouer un rôle moteur pour générer des avantages concurrentiels déterminants pour nos startups. Nous devons passer d’une logique de soutien passive à une démarche volontariste d’accompagnement de la création. Cela implique de veiller à l’animation des espaces que nous finançons, à s’appuyer sur un "label Ville de Paris" pour donner plus de poids aux jeunes pousses en leur permettant grâce à la mutualisation, d’avoir accès à certains services à des tarifs préférentiels etc.

Sur une autre grande fonction qui est la sienne, celle de "cliente" des entreprises franciliennes, la Ville pourrait également initier une démarche active pour repérer les services et produits innovants créés par l’écosystème parisien et se les approprier, lorsque cela s’y prête. Cette priorité accordée à l’innovation made in Paris pourrait générer des débouchés pour les start-ups parisiennes. C’est aussi un gage de modernité de l’action municipale. Il faut désormais penser l’efficacité de la dépense publique, à la fois en termes d’économie directes générées pour le contribuable, mais également en économie indirecte, par l’emploi et la création de richesse qu’elle permet sur le territoire. Ceci est rendu possible quand la commande publique se porte sur des services innovants, pour lesquels il est possible de favoriser les PME et les start-ups.

Ainsi, je demanderai à ce que chaque appel d’offre contienne une dimension de libération des données publiques générées par le service acheté. Ensuite, et en fonction de la qualité des services créés par ces données par les startups parisiennes, la Mairie pourra en être cliente, pour le bénéfice des parisiens. Je réfléchis enfin beaucoup à la manière dont la Ville peut améliorer son image à l’international. Je vois plusieurs solutions. D'abord, le rôle du Maire doit évoluer : il ne peut plus être le gardien jaloux d’une ville-musée, il doit se muer en ambassadeur d’une ville qui bouge et veut le faire savoir. C’est au Maire que revient en effet la tâche de communiquer sur l’attractivité de sa ville lors de ses déplacements à l’international afin d’attirer, outre des touristes, plus de talents et d’investisseurs. Boris Johnson, le maire de Londres, que j’ai rencontré le mois dernier, assume déjà très bien ce rôle. En outre, les services municipaux doivent participer à la démonstration de cette vitrine du Paris innovant. Là aussi, l’exemple de Londres est inspirant : la fusion de plusieurs services municipaux y a abouti à la création de "London & Partners", sorte de « hub » de commerciaux chargés de vendre leur ville auprès des investisseurs internationaux…

Que pensez vous du projet de Fleur Pellerin sur la construction d'un lieu dédié au numérique à la Halle Freyssinet ?

Je pense qu’il s’agit d’un projet d’affichage qui n’a pas fait l’objet d’une réflexion prospective suffisante.

Je nourris d’abord de sérieux doutes sur la faisabilité de ce projet. Classé monument historique l’an dernier, la Halle Freyssinet est la propriété de RFF. A l’évidence, l’entreprise a appris en même temps que le grand public qu’elle se verrait déposséder de ce bâtiment pour lors exploité d’une toute autre façon. Il va falloir du temps et beaucoup d’argent pour réaliser ce projet, qui pourrait coûtera à l’Etat plus de 100 millions d’euros. Je doute franchement que ce projet voie le jour avant 2017 (ndlr, des annonces récentes circulent actuellement sur une éventuelle participation financière de Xavier Niel).

En outre, j’ai du mal à comprendre, et je ne suis pas la seule, l’articulation de ce projet avec le GLII, le dernier projet de Silicon Sentier, soutenu par la Ville, la Région et d’autres acteurs privés. Ce projet d’aménagement d’un immense espace dédié à l’innovation rue du Caire coûte déjà une fortune à la Ville, qui finance une partie des travaux. Pourquoi multiplier les initiatives similaires ?

Pourquoi choisir des lieux très éloignés l’un de l’autre au lieu de jouer la carte de la synergie et des économies d’échelle ? C’est un mystère…Il serait bien plus pertinent de se concentrer désormais sur la manière de créer du lien entre les lieux existants. Comme je l'avais fait en tant que Secrétaire d’Etat en charge du Développement de l’Economie numérique, je pense qu'il faut avant tout fédérer l'écosystème autour de projets très structurants, en s'appuyant notamment sur Cap Digital et Systematic, nos 2 grands pôles de compétitivité à vocation mondiale. C'était le but des appels à projets lancés à l’époque sur les serious games et le web innovant. Si je suis élue, je me tournerai vers la Région et vers les services de Fleur Pellerin pour que les entrepreneurs parisiens puissent a nouveau bénéficier, avec l'aide de la ville aussi, de fonds de R&D dédiés à des projets vraiment innovants.

Comment faire remonter la ville de Paris dans les classements internationaux liés à l'innovation et à l'investissement ?

Ce sujet dépasse le cadre de la politique de la Ville. Néanmoins, les services municipaux peuvent jouer un rôle déterminant en la matière. D'abord, leur action est déterminante pour assurer la promotion de la ville à l’international et auprès des acteurs internationaux. Je compte d’ailleurs proposer aux Parisiens la création de « démonstrateurs urbains », chargés d’assurer la promotion de notre tissu de startups auprès des investisseurs étrangers, comme c’est le cas dans de nombreuses capitales internationales.

Ensuite, une mesure simple et peu coûteuse pourrait consister à associer sur une base systématique nos meilleures jeunes entreprises aux déplacements du Maire à l’international. Pourquoi se priver d’ouvrir des portes à nos entreprises, en profitant de la couverture médiatique importante de ces événements. Je ne m’explique pas que l’équipe de Bertrand Delanoë n’y ait jamais songé ! Le Maire de Paris est pourtant le premier VRP de sa ville…

Avez vous des projets pour favoriser le digital et sensibiliser les parisiens à l'essor du numérique ?

D'une manière générale, la Ville, qui est l’échelon administratif le plus proche des Français, doit encourager l’accessibilité et l’alphabétisation numérique de tous les publics tant les nouvelles technologies sont devenues une condition d’insertion sociale et professionnelle incontournable.

Pour ce faire, il faudra intégrer, le plus tôt possible, une formation au digital dans les parcours scolaires. Pour toucher d’autres publics, il faut également proposer davantage de formations au numérique, y compris pour les personnes âgées ou handicapées, en renforçant le catalogue de l’offre de cours de la Mairie de Paris.

La sensibilisation au digital s’étend cependant bien au-delà de la seule acquisition de compétences bureautiques. Aujourd’hui, l’essor du numérique offre de solides débouchés professionnels aux jeunes ayant bénéficié de formation en informatique. Grosses entreprises, PME, entrepreneurs – tous sont à la recherche de développeurs pour créer ou faire évoluer leurs outils numériques. L’avenir appartient à ceux qui sauront coder ! Surtout quand on sait qu’aujourd’hui, plus d’1/4 de la croissance française est d’ores et déjà liée générée par l’économie numérique.

C’est pourquoi dans mon programme numérique, je propose d’introduire dès l’école primaire une formation des élèves à la programmation. Je considère qu’il appartient aux pouvoirs publics de donner à notre jeune génération les moyens de s’orienter vers des métiers d’avenir.

Je ne compte d’ailleurs pas limiter ce programme aux enfants. Je souhaite également que la Ville de Paris développe et labellise des formations ambitieuses destinées aux étudiants et aux adultes. Je suis convaincue encore une fois que c’est en créant des formations dédiées à des secteurs stratégiques identifiés comme tels que nous créerons plus d’emplois à Paris.

J’estime enfin que la Ville de Paris à un rôle majeur à jouer en termes de sensibilisation à la culture de l’entrepreneuriat, afin qu’un maximum de personnes puissent tirer profit de l’essor du numérique. Le miracle d’internet, c’est de faire chacun d’entre nous un entrepreneur en puissance…quelles que soient sa profession ou sa formation académique. La Ville devra donc contribuer à développer le réflexe entrepreneurial chez les Parisiens, notamment en proposant des formations spécifiques à certains publics qui, traditionnellement, n’en bénéficient pas.

Crédits Photos: Pascal Legrand