5/6 - De l’intelligence artificielle à la cybersécurité, les deep tech envahissent notre quotidien. Cédric Favier, venture investor chez Seventure Partners, analyse comment ce secteur se structure.

Il est vrai que l'Europe n'est pas un marché homogène et facile d’accès pour les startups B2C. C'est surtout une multitude de petits marchés qu'il faut attaquer au cas par cas et qui, réunis, ne pèsent que deux tiers du marché américain. Selon VentureBeat, 60% des scaleups européennes ont un focus B2B, ce qui prouve que l’Europe est un environnement bien plus favorable aux startups B2B et notamment en deep tech.

Corporate, je t’aime… moi non plus

La plupart des grands groupes s'engagent activement dans des initiatives pour les startups, comme en témoigne le nombre croissant de structures liées au financement et à l'innovation. Une étude menée par 500 Startups et l’INSEAD classe même l’Allemagne, l’Angleterre, la France et la Suisse dans le top cinq des pays où les membres du Global 500 s’impliquent le plus auprès des startups.

Toutefois, bon nombre d’initiatives (notamment les challenges, hackatons, prix, etc.) sont créées à des fins de communication plutôt que d’innovation. Les grandes entreprises ont réalisé qu’elles devaient aller au-delà de la R&D interne, et l’open innovation est maintenant largement adoptée. Néanmoins ces démarches ne semblent pas être efficaces. Selon Altimeter et Capgemini, 80 à 90% des centres d’open innovation échouent et il y a effectivement peu de concrétisations business significatives.

Des partenariats encore (trop) rares

Selon le Boston Consulting Group, seules 50% des startups deep tech ont réussi à nouer un véritable partenariat. Ce décalage ne serait pas la faute des partenaires industriels mais dû à la trop grande prudence des startups à l'égard des entreprises éloignées structurellement et culturellement de leurs réalités. La collaboration avec une entreprise est souvent synonyme de perte de contrôle : risque de divergence de vision et d'objectifs, peur de perte d’agilité… On retrouve le même problème à l’égard des corporate VCs qui en complément d’un investissement peuvent aider à renforcer un premier partenariat industriel. Ce type d’investissement coûte souvent un prix que les entrepreneurs (et leurs investisseurs) ne sont pas prêts à payer : celui de l’indépendance.

Noeud

Toutes ces expériences frustrantes s’expliquent donc par une différence culturelle encore majeure entre les startups et les grands groupes. Pour réellement tirer bénéfice des startups et continuer à innover, les grands groupes doivent se rapprocher de partenaires qui vont les accompagner dans la définition d’une approche globale et faciliter les relations avec l’écosystème. Typiquement les fonds d’investissements spécialisés et en mode plateforme sont des partenaires idéaux. En effet, ces structures vont les aider à identifier les tendances émergentes et à comprendre l'écosystème naissant des acteurs et l'évolution de la chaîne de valeur. Cet accompagnement leur permettra de créer des opportunités de business pragmatiques et qui s’avéreront stratégiques pour leurs développements futurs.

Rééquilibrer l’équation M&A

Selon le rapport d’Atomico, les deux tiers des plus grandes entreprises européennes ont acquis une entreprise technologique depuis 2015. Même si le contexte semble s’améliorer, la faible activité M&A européenne dans la tech est un problème majeur. Les perspectives de sorties limitées nuisent à l’attractivité de l’Europe comme un territoire d’implantation pour les investisseurs et les startups. La valeur de l'ensemble du secteur technologique européen ne représente que 7% de celle des États-Unis. Le manque de champions technologiques européens est encore plus grave. De nombreuses actions ont été lancées pour défragmenter le marché et faire émerger un Nasdaq européen. Malgré tout, peu d’acteurs de taille plus importante vont apparaitre à court ou moyen terme.

Puzzle 1

Toutefois, nous disposons de PME, d’ETI et de grands groupes industriels de premier plan. Malheureusement, ils sont encore sceptiques et n’ont pas encore trouvé un modèle adapté pour profiter de l’innovation des startups au travers d’une stratégie d’acquisition pertinente à l’image de leurs concurrents transatlantiques. Paul François Fournier de la BPI, a d’ailleurs présenté récemment une démarche intéressante de "R&D venture". Selon lui, une part de 10% du budget de R&D en France, tous secteurs confondus, représenterait 4 milliards d'euros, soit déjà dix fois le budget actuel d'acquisitions de startup françaises.

En attendant que les patrons européens comprennent la valeur des startups pour leur développement stratégique, il faut continuer à cultiver les relations avec les grands groupes étrangers et favoriser leur installation en Europe. Les géants américains de la tech ont racheté environ 36 startups deep tech depuis 2014, selon Dealroom.co, soit un deal par mois. Ces acquisitions (même à une petite échelle) génèrent un cycle vertueux en développant des talents de haut niveau prêts à entreprendre et du smart money investit localement. Le patriotisme économique devra donc attendre, et les fonds d’investissements en mode plateforme doivent favoriser les mises en relation et les collaborations entre les startups et les géants de la tech pour préparer les futurs sorties et maintenir un cercle vertueux.

Retrouvez cet article sur la page LinkedIn de Cédric Favier où il a été initialement publié