Quand j’avais 20 ans et que j’écoutais « When I'm Sixty-Four» des Beatles, 64 ans me paraissait une éternité et comme le disait Hemingway, je pensais que « à moins que vous ne sachiez tout à 25 ans, vous n'avez aucune chance de savoir quelque chose à 35 ». Et de fait, bon nombre de gens de ma génération se sentent maintenant comme un vieux carton de lait, avec une date de péremption estampillée sur le front.

Et c’est bien là l’un des paradoxes de notre époque : Alors que les baby-boomers jouissent d'une santé meilleure que jamais, sont fringants et restent dans la vie active plus longtemps, ils se sentent de moins en moins utiles ou pertinents. Ils craignent que, dans leur univers professionnel, on considère leur âge comme un handicap plus qu’un atout. Et ce en particulier dans le monde des startups.

Fin 2005, après une trentaine d’années à diriger de grands groupes du CAC40 dans les secteurs de l’hôtellerie et des loisirs, Steve Case m’a appelé pour me proposer de rejoindre l’aventure Revolution comme partenaire. Le pari était risqué mais j’ai accepté. Et depuis, voici ce que j’appris sur la formidable émulation de la jeunesse mêlée de la sagesse de l’âge.

J’appartiens à ceux qui pensent que les gens "d'un certain âge" sont plutôt des bouteilles de bon vin, et ce en particulier à l’âge du digital. Et j’invite fortement le secteur des nouvelles technologies à savoir enfin tirer parti de la douceur et de la sagesse qui vient avec les années.

Issu du milieu de l’hôtellerie "old-school", je n'avais jamais vraiment touché aux investissements technologiques disruptifs ni travaillé dans cet environnement...

Lorsque je suis arrivé chez Revolution, j’ai réalisé que j'avais en moyenne deux fois l'âge de mes associés et des collaborateurs… Autrement dit, après avoir développé des hôtels aux quatre coins du monde pour Accor, EuroDisney, Le Club Med et dirigé Davos, pendant plus de trois décennies, je travaillais pour des petits jeunes ! C’était honnêtement très intimidant mais j’ai tout de même été m’installer à Washington DC.

La seule chose qui me rassurait était d’être déjà initié aux nouvelles technos grâce à ma présence au conseil d'administration d'eBay depuis 1999 ... Tu parles ! Au cours de ma première semaine chez Revolution, j'ai entendu en réunion une question qui semblait tout à fait existentielle, et à laquelle je ne comprenais rien : « cet investissement sera un « Downround », mais comprendra un Ratchet ».

Je n’avais aucune idée de ce que cela voulait dire. (Un cycle d'investissement effectué à une évaluation plus faible que précédemment et une provision visant à protéger l'investisseur contre les effets dilutifs d'un cycle de baisse).

Bref, Steve me voulait comme partner et « conscience internationale » de l’entreprise et moi je me sentais comme un stagiaire. J'ai rapidement compris qu’il fallait faire table rase de mon passé professionnel et de tous ses codes. Révolution n'avait pas besoin de la sagesse pontificale d’un prof.

Je me suis alors mis à écouter et scruter tout ce qui passait autour de moi tel un anthropologue culturel, fasciné par ce nouvel habitat.

J'ai donc plus de 64 ans, et sais maintenant que tout reste à apprendre !

Après certaines réunions, il m’arrivait même de vérifier discrètement auprès d’un des « Partners » si j’avais bien compris ce que l’on avait discute ou ce qu’on attendait de moi. Pire, après avoir travaillé dur pendant plusieurs semaines sur un plan stratégique, j’envoyais mes recommandations à Steve et quelques associés sur une belle note synthétique de 3 pages. Et je m’envolais pour San Francisco. Et je découvrais quelques heures plus tard a l’atterrissage leurs 50 emails qui démolissaient copieusement mon plan ! Mais en imprimant, copiant, collant et réorganisant l’ensemble de leurs remarques, j’ai réalisé contre toute attente que la stratégie que j’avais proposée était en fait très bien accueillie ! Depuis, je suis devenu un as dans l’animation des conversations emails-forum que je pratique aujourd’hui davantage que les innombrables réunions individuelles...bref j’ai compris !

Il y a quelques mois, j’ai lu que pour être un génie, il fallait penser comme quelqu’un de 94 ans : « Nous supposons que la créativité diminue avec l'âge mais les gens deviennent plus créatifs à mesure qu'ils vieillissent. L’épanouissement tardif n'est pas une anomalie ».

En parallèle, je voulais me reconnecter à la France. J’en ai parlé à mon ami Jean Marie Messier qui m'a conseillé d’accompagner des startups plutôt que de rejoindre le conseil d’administration d'une grande entreprise publique. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Stephanie Hospital, la fondatrice de OneRagtime et décidé d'investir et de participer à l’aventure.

J’ai donc intégré à 68 ans l’équipe OneRagtime, principalement composée de millenials aussi ouverts que brillants ! Et me voilà dans l’une de mes plus belles expériences professionnelles. C’est là que j’ai compris combien il est fondamental de mêler l’intelligence émotionnelle à l’intelligence digitale.

oneragtime

Et c’est normal. Nos jeunes sont plus habitués aux tête-à-tête avec leur iPhone qu’avec les personnes assises à leur côté. Notre monde digital fourmille d'emojis mais ne crée pas de contacts interpersonnels, de face à face directs. (Attention, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas d’émotions, bien au contraire !)

Mais cela nous permet de réaliser que nous attendons de nos jeunes leaders qu’ils détiennent et incarnent la sagesse de la relation, alors même qu’ils n’y ont jamais été réellement formés ! Et c’est aussi pour cette raison qu’il est important qu’ils aient un « mentor » : «Je vais vous offrir une certaine intelligence émotionnelle pour completer votre intelligence numérique».

Aujourd’hui, grâce a eux, je m’interroge sur le "why’ et le ‘What if’ et non plus sur le ‘what" et le "how" de ma generation. C’est d’une extraordinaire complémentarité. Je la ressens tous les jours, chaque fois plus curieux du fruit de nos échanges.

Certaines personnes plus âgées du monde de la technologie cherchent à cacher leur âge : je pense que c'est une occasion manquée. Être ouvert me permet de réussir dans la technologie; Ma vie n’a été que curiosité à propos des gens et des choses. Je fais toujours de mon mieux pour répondre avec un oui enthousiaste. Et je leur suis tellement reconnaissant ! Si je devais retracer toutes les conversations que j’ai eu avec les équipes, je dessinerai un immense réseau de relations et de savoir. Et je crois que c’est surtout la meilleure façon de sentir le pouls de OneRagtime, ce qui me sert encore plus pour conseiller Stephanie, le fondateur, et son équipe puisque j'ai un sens réel du pouls de OneRagtime.

Les baby-boomers et les millennials ont beaucoup à partager et surtout à apprendre les uns des autres. Bienvenu dans l’ère ancienne moderne, qui sert et qui apprend, en tant que mentor et stagiaire, qui reconnaît la valeur de l’étudiant comme du sage. Cette opportunité d’un apprentissage intergénérationnel est d’autant plus importante pour nous les baby-boomers, car nous risquons de vivre 10 ans de plus que nos parents (et qu’en parallèle notre société digitale s’accélère 10 fois plus vite).

C’est fabuleux d’inverser l’ordre du savoir. Ma génération a toujours appris de ses ainés et voilà que maintenant nous sommes stimulés par de plus jeunes que nous. Essayez ! En tous cas, moi cela me dope. Et non parce qu’ils sont jeunes mais parce que j’apprends d’eux et que nous avançons ensemble, de manière constructive et prospective.

Je suis maintenant assez vieux pour savoir que l'âge apporte une nouvelle forme de liberté intellectuelle (à mon âge on ne se soucie plus de conserver son job !) et qu’il serait bien dommage de passer à côté !