Republication du 19 avril 2019

Le secteur des deeptech (projets portant une avancée scientifique majeure ou une innovation technologique de rupture) devient la priorité des investisseurs. Fin janvier 2019, la banque publique d’investissement Bpifrance a ainsi dévoilé un vaste plan de financement de 2 milliards d’euros afin de faire émerger et financer le développement de startups issues de la recherche scientifique. Objectif : financer plus de 2000 startups de la deeptech d’ici 2023 et faire émerger des champions nationaux. Une aubaine pour un secteur historiquement en mal de financement. En effet, les projets deeptech - souvent issus de la recherche fondamentale - n’ont pas toujours eu la cote auprès des investisseurs.

Secteur historique des sociétés de capital-risque (venture capital) dans les années 80 et 90, les deeptech ont perdu de leur superbe au moment de l’éclatement de la bulle télécoms du début des années 2000. Ces projets scientifiques ont ensuite longtemps éprouvé les pires difficultés pour lever des fonds et se financer, ringardisés par l’essor du numérique. Pendant de nombreuses années, les deeptech ont été cataloguées par les investisseurs comme étant des projets particulièrement consommateurs de capitaux, affichant des probabilités de succès limitées.

Un terrain de jeu plus vaste

Mais la donne a radicalement changé pour ces acteurs. Il est aujourd’hui tout à fait possible pour un entrepreneur de développer un très beau projet deeptech avec un besoin en capital tout à fait raisonnable. Le terrain de jeu est particulièrement vaste : la robotique (Wandercraft, Exotec, Farmwise), le newspace (Exotrail, Thrustme), la santé avec l’essor de l’intelligence artificielle (Gleamer, Cardiologs, Synapse) ou encore la mobilité et les nouveaux matériaux.

À cet égard, notre pays n’a pas à rougir de son implication auprès de ces nouvelles sociétés innovantes. La France est en effet le deuxième pays européen à la fois en matière de capitaux investis (330 millions d’euros en 2017) et en nombre d’opérations (109 en 2017). L’excellence française dans la recherche fondamentale est à la pointe dans de nombreux domaines porteurs comme les mathématiques, la biologie, la physique ou les nouveaux matériaux. La France occupe ainsi le quatrième rang mondial dans le système européen de brevets et compte 9,4 chercheurs pour 1000 actifs, devançant l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Classée au septième rang mondial pour ses publications scientifiques, la France compte aussi 8 prix Nobel scientifiques et 16 médailles Fields. Autant d’atouts pour un écosystème deeptech en pleine mutation.

Baisse des barrières à l’entrée

Au cours des dernières années, l’univers des deeptech a en effet entrepris sa mue sous l’effet conjugué de deux phénomènes. En premier lieu, les barrières à l’entrée ont drastiquement diminué. D’importantes innovations technologiques se sont en effet développées au fil des années, permettant de réduire de manière significative la consommation de capitaux. La diffusion à grande échelle de briques logicielles open source participe aujourd’hui grandement à la recrudescence de projets deeptech que nous observons sur le marché. De même, dans le domaine du hardware, grâce principalement à la révolution technologique mobile, beaucoup de capteurs ou de composants ont vu leur prix s’effondrer. Dans un tel contexte, les entrepreneurs de la deeptech sont désormais en mesure de réaliser des POC (proof of concept) à moindre coût et dans des délais rapides. Les entrepreneurs ont donc la possibilité de construire des produits ou des solutions disruptifs sans avoir à faire face aux dangers de la consommation de capitaux des anciens projets deeptech. Ces  POC délivrent ainsi un retour sur investissement plus rapide qu’auparavant. Les retours d’expérience clients gagnent également en rapidité et en fréquence, permettant ainsi aux entrepreneurs de développer un produit plus proche des besoins marché.

De nouveaux profils d’entrepreneurs

Un deuxième phénomène a également permis aux projets deeptech d’entrer dans une nouvelle ère. Depuis quelques années, nous constatons en effet un changement radical dans le profil même des entrepreneurs. Historiquement, ce type de projets était porté par des scientifiques reconnus et expérimentés, issus des grands laboratoires de recherche français ou européens. Brillants, ces scientifiques se lançaient toutefois dans l’entrepreneuriat sans réelle expérience du monde de l’entreprise.

Depuis, la donne a changé. Sous l’impulsion des grandes écoles, comme Polytechnique par exemple, de plus en plus de formations spécifiques sont proposées aux scientifiques afin de se familiariser et, ainsi, mieux appréhender le monde de l’entrepreneuriat. Résultat : les scientifiques-entrepreneurs d’antan se sont progressivement transformés en entrepreneurs-scientifiques, désormais mieux affûtés aux exigences du monde de l’entreprise et des investisseurs. En parallèle, nous avons assisté à un rajeunissement des entrepreneurs. Ces derniers n’hésitent plus, désormais, à lancer leurs projets deeptech après quelques années seulement de travaux dans les laboratoires de recherche. Ce rajeunissement a ainsi favorisé l’émergence d’un vivier d’entrepreneurs-scientifiques.

Entre la chute des barrières à l’entrée grâce aux évolutions technologiques et l’émergence de nouveaux profils d’entrepreneurs, le secteur des deeptech est donc clairement entré dans un cercle beaucoup plus vertueux. De plus en plus de projets prometteurs et innovants voient le jour à travers le monde et ce mouvement devrait encore s’amplifier dans les années à venir. Grâce à leurs innovations de ruptures, les deeptech joueront donc un rôle clé dans la compétitivité et la croissance de l’économie.

Guillaume Meulle est  membre du directoire chez XAnge, la marque innovation du groupe Siparex, qui gère 450 millions d’euros et investit dans les startups du digital, des deeptech et de l’impact.