Tribunes par Faustine Duriez
14 octobre 2019
14 octobre 2019
Temps de lecture : 6 minutes
6 min
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Le manager des temps modernes : de "change stalker" à "change maker"

Peu d'entreprises semblent intégrer la nécessité de revoir notre culture managériale et de reconnaître les compétences clés des individus pour évoluer dans un monde complexe et changeant. Il est temps de promouvoir et d'implémenter un management des temps modernes.
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Lorsque l'on entame une transformation, on s’accorde généralement sur le fait que le monde change, et qu’il n’a jamais changé aussi vite. Que le digital est partout et qu’il amène de nouvelles façons de concevoir les échanges, le business et le travail. Parce que globalement, nous avons conscience qu’il faut s’adapter au risque de couler, même lorsque l’on est très grand. Dans la mesure où les règles ont changé.

On accepte alors de remettre plusieurs "monuments" en question dans l’entreprise : le business model des débuts, le point de vente unique, le vieux système d’information, le service client délégué, et doucement on commence même à toucher à la politique du télétravail qui demandait jadis d’habiter à plus de deux heures de son poste pour être éligible. On construit avec ses clients puisque la transparence n’a jamais eu autant de poids. On développe des communautés, on partage sa raison d’être. Bref on écoute, on expérimente et on passe à l’action. 

Mais alors dès qu’il s’agit de remettre en question des rites de management inventés il y a plus d’un siècle et qui promeuvent des qualités comme la discipline, le contrôle, la cohérence et la prévisibilité - des objectifs qui ne sont plus des moyens de se différencier sur le marché - il n’y a plus personne... Et c’est inquiétant, car comme le dit très justement Gary Hamel, les organisations perdent leur pertinence quand le rythme du changement interne décroche par rapport à celui du changement externe.

La culture (numérique) infuse

Et pourtant le numérique n’a pas juste amené une nouvelle façon de consommer, il a amené une nouvelle culture. Et cette culture a un impact sur l’organisation de l’entreprise. Déjà parce que, comme l’explique Michel Serres, une nouvelle démocratie du savoir est en marche et la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence et doit être une forme de fraternité qui vise à augmenter autrui. Qu’internet a amené une organisation en réseau, où " tout ne coule plus du haut vers le bas, de celui qui sait vers l'ignorant ".

Et ensuite parce que cela concerne la compétitivité de chaque acteur du marché. Le cabinet Novethic nous rappelle que les mauvaises organisations du travail sont la première cause de dégradation de la compétitivité des entreprises du secteur privé, bien avant les coûts salariaux et charges sociales. Mais en plus, la nouvelle compétition est celle de l’innovation. En d’autre termes, l’objectif n’est pas de s’assurer que Jean-Philippe est arrivé à 9h et a accompli les tâches restrictives de sa fiche de poste qu’on lui a assigné, mais bien de s’assurer que les processus de l’entreprise lui permettent d’être audacieux, autonome et créatif.

Passer de " Change Stalker " à Change Maker

Si vous en êtes à votre quatrième Learning Expedition et votre troisième livre sur l’innovation managériale c’est super mais vous êtes plus proche du " Change Stalker " soit celui qui observe le changement chez les autres, que du Change Maker, celui qui l'applique à sa société… Il serait temps de passer à l’action. Car justement l’ADN de notre nouveau monde du travail, c’est bien la vitesse et l’exécution. " Fail fast " est d’ailleurs le premier adage que l’on entend en startup.

Et évidemment il n’y a pas de solution miracle, le copié collé d’une réussite managériale n’est souvent pas une bonne idée. Mais il faudrait encourager davantage ceux qui osent expérimenter de nouveaux outils et de nouvelles approches dans l’optique d’apporter plus d’autonomie aux salariés.

Et pourquoi ne pas commencer avec ce qui construit la culture d'une entreprise, et qui contribue au bien-être et à la performance des salariés : la reconnaissance au travail. Et plus particulièrement la reconnaissance des compétences humaines, transversales et comportementales des salariés : leurs soft skills.

Reconnaître les soft skills

Car dans un monde VUCA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu), les seules compétences techniques ne suffisent pas. C'est ce qu'explique Jean-Marc Vittori dans son superbe édito "Quand les entreprises embaucheront des cœurs"

"Dans l’entreprise d’hier, beaucoup de salariés restaient dans leur coin, à faire un travail souvent répétitif. Au-delà de la machine à café, ils étaient peu en relation avec leurs collègues, et encore moins avec les clients. Mais le travail répétitif devient largement mécanisé ou numérisé. Les salariés, eux, travaillent de plus en plus en équipe, en collectif, en mode projet. Si l’expertise technique reste précieuse, elle n’est utile qu’à celui qui est apte à collaborer avec les autres. Les autistes ne trouvent plus leur place, fussent-ils X ou HEC. Place à l’écoute et à l’attention, à l’empathie, à l’envie et à la volonté d’aller vers l’autre, de coopérer avec lui."

L'entreprise a de plus en plus besoin de compétences humaines, c'est pourquoi elle doit davantage les reconnaître. D'ailleurs, elle n'a jamais autant affirmé que l'humain est son atout le plus fort : "Nous plaçons l'humain au cœur de notre stratégie", "Nous sommes Human First". Mais les systèmes de reconnaissance des entreprises continuent pourtant à se faire de manière verticale et à se focaliser sur les résultats individuels. Ce qui est mesurable et objectif.

Le collaboratif comme élément de réponse

Certes les grilles d’évaluation de fin d’année commencent à intégrer les soft skills. Mais je continue à trouver difficile pour un salarié d’auto-déclarer qu’il est bon en leadership... Le manager reste alors le seul avec la RH à se prononcer sur les compétences de savoir-être de son équipe bien qu’ils ne puissent voir et savoir tout ce qu’il se passe au quotidien. Au-delà de la subjectivité et des biais relatifs à cette verticalité, cette reconnaissance à sens unique a également le travers de focaliser les équipes vers le haut. Ce qui n’encourage ni le travail en équipe ni l’attention à l’autre.

Faire de la reconnaissance des comportements positifs de chacun l’affaire de tous est selon moi une solution naturelle. Qui a du sens. Parce que, dans la plupart des cas, un grand nombre de personnes sont plus intelligents qu’un petit nombre, et que chacun reste légitime à se prononcer sur des compétences de savoir-être. Ce qui est moins vrai sur des compétences techniques.

Reconnaître les compétences indispensables du monde moderne, exploiter la sagesse collective et repenser sa culture managériale, la clé des leaders de demain ? C’est déjà certainement une réponse pour redonner du sens dans l’entreprise et faire que chaque salarié retrouve l’envie de donner le meilleur de lui-même pour son entreprise. Surtout à l’heure où seulement 6% des salariés s’affirment engagés au travail selon un sondage Gallup de 2018.

Faustine Duriez est fondatrice et présidente de Cocoworker