Article initialement publié le 8 août 2017

C’est impressionnant comme les startups polarisent aujourd’hui tous les regards. Il y a encore quelques années, tous mes collègues de promo ne cherchaient qu’une chose : un poste stylé dans une grosse boite internationale. Moins de 10 ans ont passé, et plus aucun jeune diplômé n’a envie d’y mettre les pieds. Pour les plus jeunes, un contrat avec une boite du CAC40 revient presque à pactiser avec le diable. Même les employés des grosses boites lorgnent sur ces startups bouillonnantes d’activité.

Ils troqueraient avec joie la sécurité de leur salaire et leurs fausses responsabilités pour l’adrénaline de l’aventure, et un peu de cet esprit startup qui nous fait tant rêver.  L’objectif n’est pas ici de définir cet esprit, mais plutôt de creuser le constat suivant : La plupart des startups, quand elles grandissent, perdent complètement cet esprit.

Comment sentir le début de la fin ?

La perte de l’esprit startup n’est pas un phénomène instantané. Elle prend du temps, et même beaucoup. Ce n’est pas non plus quelque chose d’irrémédiable.

Le premier signe à sentir, c’est la présence le soir en période de crise. Au début, dans les coups de bourre, tout le monde est sur le pont et se serre les coudes. Là, on commence à voir de gens qui rentrent toujours tôt… Et si on prend le temps de les interroger, et bien leur réponse est systématiquement la même : “ce n’est pas mon problème, et moi j’ai une vie à côté”. Ne pas adhérer aux problèmes de l’entreprise, et du coup ne pas être engagé quand l’entreprise est charrette, c’est le premier symptôme.

Le second, c’est la non-communication entre les équipes qui ont des points d’achoppement. L’exemple très classique : les développeurs et l’équipe produit/marketing. Quand ces personnes commencent à se mettre dessus, même gentiment sur Slack, il est temps de se poser des questions. Les développeurs ne rêvent que d’une chose : faire le produit qui fasse le plus kiffer les clients. Et l’équipe produit/marketing aussi. Si ces gens-là commencent à avoir des difficultés à prioriser les sujets, à délivrer, voire même à parler entre eux, alors vous vivez la fin de la super ambiance, et ça ne va pas aller en s’arrangeant.

Un autre symptôme classique, c’est les one-to-one. Observez vos équipes et les réunions qui se passent à 2. Une réunion à deux dans un univers sain est une réunion de travail, donc avec du papier, du tableau blanc, du jus de cerveau. Une réunion à deux sans ses éléments est très souvent une réunion “politique », du lobbying interne, des lamentations, ou du complot. Soyez attentifs au climat des pauses clopes, attentifs aux groupes de départs le soir, aux groupes dans les évènements d’équipe, et prêtez une attention toute particulière aux points à 2. Ne jetez pas la pierre à ceux qui les pratiquent, c’est un phénomène totalement normal. Constatez simplement un symptôme de disparition de votre esprit startup.

Le dernier dont je voudrais parler est le “besoin irrépressible de s’organiser”. Je me souviens de cette citation de Robert Margerit : « Le besoin d’organisation imprègne profondément l’esprit des hommes, même ceux qui prétendent vivre le plus anarchiquement, hors de toutes règles”. Ce besoin existe toujours. Mais pas avec la même intensité. Au début de l’aventure, on comble assez bien le besoin d’organisation, mais plus on avance, plus il grossit avec nous. Et parfois, malgré toutes les solutions que l’on peut mettre en place, il reste accroché à nos tripes et ne nous lâche pas. C’est un sentiment instinctif. Écoutez-le. Quand il nous fait écrire des to-do dans tous les sens, nous réveille la nuit, ou nous fait perdre notre concentration, alors il est vraiment temps d’agir.

Quelle solution ?

Une solution très classique consiste à se dire que l’on va prendre un “boss d’une grosse boite bien calé en management”, et lui donner le poste de COO, de directeur des opérations, parfois même de CEO. Très naturellement, on se dit que l’on est en train de devenir une “vraie” boite. Dans la très grosse majorité des cas, ça ne fait qu’accélérer la perte de l’esprit startup.

L’autre jour j’étais dans un salon de recrutement dédié aux startups. Je discutais avec une nana qui recrutait pour une boite qui dépasse maintenant les 70 employés. En lui demandant comment l’équipe vivait la croissance, elle me répondait, d’ailleurs assez tristement, que l’esprit du début s’effilochait, et qu’ils ressemblaient maintenant à une vraie boite. Qu’il ne fallait pas en être triste, que c’est normal en grossissant de perdre cet esprit.

On parle très souvent dans la presse de ces startups qui ont si bien réussi leur croissance. En deux mois on valorise Blablacar au-dessus du milliard, CaptainTrain se fait racheter quasiment 200 millions, et Criteo court devant. Dans chacune d’elle, l’esprit startup est encore là !

Garder cet esprit et réussir sa croissance, ça va ensemble !

Pourquoi l’esprit startup se taille la route quand l’équipe grossit ? Le management et l’organisation sont des sujets très souvent négligés dans les premières phases des startups. On parle ici de science molle. L’idée générale, c’est : « t’es bon ou tu ne l’es pas”, idée est très largement accentuée par le processus de levée de fonds. Si t’as réussi à lever, alors c’est que tu seras bon dans la gestion d’équipe, que ça va bien se passer. Je peux vous assurer que c’est loin d’être le cas. D’ailleurs, valider ses compétences managériales par un VC dont le métier est particulièrement solitaire, ce n’est pas très pertinent.

De plus, gérer une équipe, au début c’est super facile. En général, même le plus mauvais des managers peut s’en sortir à peu près avec une équipe de moins de 7-8 personnes. Un fondateur avec un leadership affirmé, et une bonne intelligence émotionnelle réussira même très bien avec une équipe de 20-30 personnes, sans faire d’effort. Du coup, on se croit assez finalement bon dans le domaine. Seulement c’est quand la taille de l’équipe dépasse nos propres limites que les ennuis arrivent.

Et nos capacités managériales sont encore plus sollicitées dans les phases de croissance importantes. Il est très fréquent dans nos entreprises de voir les effectifs prendre 30% en un an, voir 100% parfois. Seulement, une telle croissance est terriblement stressante pour les individus qui composent le groupe. Imaginez simplement votre groupe de potes le plus soudé, qui doublerait de taille en un an. Vous perdriez très probablement des amis au passage, et souvent, pas ceux que vous vouliez perdre… Chaque groupe a sa propre dynamique interne, et nécessite un équilibre. Il est indispensable de donner le temps à chacun d’intégrer en lui-même la croissance, et de construire des équilibres à chaque palier !

En résumé, l’esprit startup se casse la figure parce qu’on néglige d’accorder de l’importance à la construction de son collectif au début, de poser les bases. On se croit facilement bon dans le domaine alors que le plus dur est à venir. Et n’écoutez pas ce qu’on vous dit, ce n’est pas une compétence innée, ça se travaille !

Très concrètement, que faut-il bosser pour conserver l’esprit de votre boite dans la croissance ? L’esprit startup, c’est avant tout une équipe soudée et solidaire fasse aux défis qui s’annoncent, ayant la capacité à travailler intelligemment ensemble. Pour parler avec des mots un peu moins sexy, c’est le management du projet d’entreprise, et la culture d’entreprise.

Don’t fuck up your culture

C’est l’unique conseil de Peter X aux fondateurs d’AirBnb, lors de la levée de leur série C. J’aime bien cet exemple car c’est une caricature à lui tout seul. Au départ, les gars sont 3 fondateurs, et décident de faire du Bed & Breakfast sur internet. Clairement, ils sont pas tout seuls à avoir eu l’idée, il y en a pas mal sur le coup en même temps. Donc il faut aller vite. Pourtant, ils vont passer six mois à embaucher leur premier employé. Six mois, pour être sûr que le gars va bien coller à leur culture. A l’époque, on se foutait pas mal de leur tronche. Aujourd’hui, un peu moins quand même.

On parle beaucoup de la culture de Netflix, de Blablacar, d’airBnb, de Google, ou même de Critéo. Et tout le monde s’accorde à dire que la culture est importante. Pourtant les fondateurs qui ont bossé leur culture sont assez rares. Certains parfois ont écrit leurs valeurs. Parfois même elles sont de bonne qualité. Mais ce n’est pas fréquent. Le tout n’est pas d’en parler, il faut que ça serve ! La culture, ça se pratique. Si vous n’avez pas pris une décision stratégique sur la base de votre culture d’entreprise, alors vous ne faites encore qu’en parler.

Pourquoi est-ce que c’est si important pour le collectif  ? Parce que la culture, c’est l’huile dans les rouages. C’est ce qui assure que chacun sait comment fonctionner avec les autres. Comment parler, comment travailler, comment déconner ensemble. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la culture existe nécessairement. C’est avant tout la vôtre, celle des fondateurs de l’entreprise. C’est le jeu de valeur commun entre vous. Mais elle peut être faible ou forte. Elle sera plus forte si vous êtes une équipe charismatique. Mais elle le sera beaucoup plus si vous formalisez vos valeurs.

Le risque d’une culture faible, c’est qu’à mesure que le groupe grossit, vous allez rajouter des personnes avec d’autres valeurs que les vôtres. Une distance va naturellement se créer. Elle se crée et s’accentue entre chaque vague de recrutement. Il existe déjà une distance entre vous, fondateurs, et vos premiers employés. Et dès que vous allez mettre des silos là-dedans, et bien l’équipe marketing aura une culture différente de celle des devs. C’est normal, c’est humain. Votre job à vous, fondateurs, c’est de réduire au maximum ces distances. Et pour ça, il n’y a pas trente-six solutions, il faut bosser votre culture d’entreprise ! N’attendez pas. Plus vous vous y prendrez tard, et plus ce sera difficile de faire converger toute l’équipe, plus vous aurez du mal à trouver ce qui vous rassemble vraiment. Alors que plus on s’y prend tôt, plus c’est facile. Et plus ça paiera vite.

Savoir rester agile

Quand on est moins de 10, le pilotage d’un projet d’entreprise, ce n’est pas si compliqué. C’est simple parce que déjà, on est tous dans la même pièce, donc on peut communiquer facilement. Et avec tout le monde. Ce qui veut dire que l’on sait à peu près sur quoi chacun bosse. On connait aussi relativement bien les expertises de chacun. Et puis, le projet en lui-même reste relativement simple. Parce que finalement, que ce soit le dev, le marketing, la relation client ou tout autre sujet, on bricole encore.

C’est quand l’équipe grossit que les ennuis commencent. On n’arrive pas à tous se réunir dans la même pièce. On ne peut plus avoir des conversations physiques avec tout le monde. On commence à se spécialiser, à être meilleur chacun dans nos domaines. Cela devient de plus en plus difficile d’expliquer au voisin ce que l’on fait.

L’organisation, c’est sensiblement la même chose que la communication interne. Pour que le projet tourne bien, qu’il soit réactif et performant, il faut que le niveau de communication monte drastiquement. Le niveau de communication c’est : la quantité d’information qui circule, mais aussi (et surtout), sa qualité. Si vous demandez quelque chose à votre voisin, sur Slack ou à l’oral, il vous répondra bien plus vite s’il comprend la question parfaitement, du premier coup. Donc si les mots que vous utilisez sont les siens, s’il sait tout de suite dans quel cadre s’inscrit cette question et quelle en est la finalité.

Profitez que ce soit facile au début pour vous former à ces questions de management ! Vos équipes apprendront avec vous, et ce sera d’autant plus facile d’intégrer de nouvelles personnes. Le management que vous adopterez sera le vôtre, et fera partie intégrante de votre culture. Il évoluera avec vos équipes, et s’affinera avec le temps.

Gérer un collectif, ce n’est pas au début que c’est compliqué. Pourtant, plus on s’y prend tôt, plus c’est facile par la suite, et plus les résultats seront importants et visibles sur le moyen long terme. Ne négligez pas les signes avant-coureurs ! Il n’est pas normal d’avoir des départs spontanés si tôt, d’observer un peu de désengagement, ou de voir les horaires qui se réduisent. Si c’est le cas, alors il est plus que temps de faire quelque chose. Cela coute déjà à la boite, et ne va pas aller en s’arrangeant…

C’est toujours triste de voir une startup perdre sa souplesse et le sourire de ses employés. C’est toujours triste de voir que la solution adoptée est souvent d’aller chercher un DG ou un COO dans un grand groupe… Travaillons nos équipes au plus tôt, apprenons aussi vite que possible à collaborer, et nous vivrons tous des croissances plus saines, plus faciles, et plus excitantes !

À propos de Fly The Nest : Fly The Nest propose aux startups ayant levé des fonds un accompagnement qui permet au collectif d’avoir une représentation commune du projet, et de rester agile dans la croissance, tout en décuplant l’engagement de chacun et la vitesse du collectif.