Alors que la littérature spécialisée engage le manager à un management bienveillant, concept vague et fourre-tout, ce dernier affiche un sentiment de perte de contrôle et de perte du lien de confiance qui le lie à ses équipes. Le cabinet Deloitte ne le dément pas, près de 40% des entreprises considèrent que les leaders n’arrivent pas à manager de façon efficiente. La gestion de la performance reposant trop sur une approche hiérarchique. Cette séquence de télétravail forcée a renforcé le sentiment de perte d’informations et de perte de disponibilité des équipes. L’instantanéité des échanges au bureau a fait place à une complexification des échanges. Entre des collaboratrices et collaborateurs mal équipés et mal formés aux nouveaux outils, la destination de chaque média est elle aussi mal appréhendée. Un email n’est pas un outil de gestion documentaire, un chat n’est pas un fil Twitter…

Ainsi, un flot de chat, d’emails et de vidéo-conférences incessant s’est déversé, occupant les heures de travail des salarié·e·s à domicile sans pour autant rendre ces heures plus productives. Certes, ces travailleurs et travailleuses ont beaucoup plus travaillé, mais ont-ils mieux travaillé ? La question reste en suspens.

Le manager, lui, doute. Et c’est justement le manager qui, pour gérer ses doutes, a multiplié les sollicitations, les demandes de reporting, les messages, pour compenser, aussi, ses craintes de perte de pouvoir. Il a tenté d’inventer de nouveaux rituels de substitution, jouant parfois à l’apprenti sorcier. Certains d’entre eux, surtout aux États-Unis, ont, par exemple, déployé des outils de surveillance (keyloggers, captures d’écrans automatiques, activation des webcams ou la surveillance des applications actives…).

Le manager a aussi accentué l’effet porosité vie privée vie professionnelle, déjà malmené par l’unité de lieux. Invité par ses RH à régulièrement prendre des nouvelles de la santé de ses collaborateurs, à organiser des apéritifs virtuels, des jeux concours déguisés et à partager des séances de yoga en vidéo live, il a brouillé son image d’encadrant. Les bilans individuels n’en seront que plus compliqués. Faut-il reconnaitre la compétence créative ou récréative d’un collaborateur ? Plus sérieusement, cette crise met surtout en lumière l’importance des softskills, comme la flexibilité et l’adaptabilité. Compétences importantes tant pour le manager que pour le managé.

La compétence des collaborateurs et collaboratrices en question

L’étude sur les tendances RH réalisée par Deloitte nous enseigne que la durée de vie de nos compétences est passée de 30 ans à moins de 5 ans. Ce constat est d’ailleurs partagé tant par l’entreprise que par ses salariés. Cette obsolescence programmée des compétences rencontre une prise de conscience du phénomène avec des salariés qui pensent de plus en plus à leur employabilité, parfois même plus qu’à leur plan de carrière au sein d’une même entreprise. L’étude nous apprend aussi que plus d’une entreprise sur deux ne se considère pas suffisamment efficace pour identifier (64%), développer (58%) et maintenir (52%) les compétences nécessaires à l’organisation.

Cette problématique d’alignement entre les besoins de l’entreprise et les ressources déployées pour maintenir les compétences au sein des équipes semble d’ailleurs s’aggraver au fur et mesure du temps qui passe. Pourtant, toujours selon Deloitte, la tendance numéro un pour 2019 était la nécessité pour les organisations de changer la façon dont les gens apprennent ; 86% des répondants à l’enquête ont indiqué qu'il s'agissait d'un problème important ou très important. Parallèlement, c’est le modèle des formations classiques qui semble s’épuiser et qui subit une profonde mutation.

Suite à la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018, entrée en vigueur au 1er janvier 2019, le plan de formation devenait le plan de développement des compétences. Et si l’employeur reste tenu d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, il n’est plus obligé de distinguer formations de développement et formations de maintien à l’emploi. On peut ainsi craindre une baisse d’investissement dans les formations de développement, celles qui permettent justement l’employabilité du salarié.

Par ailleurs, le manager n’est pas plus associé qu’auparavant à ce projet. Enfin, le passage d’un compteur CPF (compte personnel de formation) horaire à un compteur monétaire tend à réduire l’assiette budgétaire dont bénéficiait avant le salarié. L’ambition de la réforme est aussi de rendre le salarié autonome dans la gestion de son compteur et dans son projet globalement. Le risque est de voir des salariés livrés à eux-mêmes, sans réelle possibilité d’impliquer le management. Un manager qui devrait profiter de cette période de transformations pour s’essayer au mentorat et revisiter son manuel de management car, avec les règles de distanciation nouvelles, il n’est pas prêt de retrouver son open-space d’antan.

Jean-Denis Garo est International integrated marketing director de Mitel et président du CMIT