Difficile de définir Kamet Ventures. Lui coller une étiquette, ce serait ignorer les spécificités - et les avantages - de chacun des modèles auxquels la structure emprunte un petit quelque chose : Kamet est "en même temps" un startup studio, un incubateur, un fonds d'investissement et un corporate venture. Mais pas tout à fait tout ça à la fois non plus. C'est un "venture builder" , précise Stéphane Guinet, fondateur de la structure. "On est une startup qui fabrique des startups : on imagine des solutions, on les incube et on lance des modèles dans l'Assurtech et la Medtech." Comme dans un startup studio, Kamet prend une participation au capital de ses pépites. Mais est trop impliqué dans la définition des modèles et la constitution des équipes pour être réduit au rang de simple incubateur.

D'autant que ce fonds très particulier a choisi un modèle pour le moins atypique, avec une liste de limited partner qui n'a jamais aussi bien porté son nom puisqu'elle se limite à un seul nom, celui d'Axa. L'assureur a investi en 2016 pas moins de 100 millions d'euros sur cinq ans. De quoi lui donner de la visibilité sur les technologies portées par Kamet ? Même pas. En revanche, le groupe a un droit de préemption lors des tours de table successifs des startups issues du venture builder. "Un peu comme un BSA Air, compare Stéphane Guinet. Il y a une table de capitalisation et Axa a 30 jours pour décider de faire ou non la série A, avec une décote."

Signe particulier : l'assureur investit sur ses fonds propres, pas sur l'enveloppe allouée à son fonds corporate, Axa Ventures Partners. "Quand Axa décide d'investir, il s'agit d'une décision stratégique du groupe. Il peut devenir majoritaires s'il décide d'exercer son option prioritaire à chaque tour mais ce n'est pas systématique." Un bon moyen pour le groupe de s'assurer un deal-flow non seulement varié mais de qualité, alors que les entrepreneurs trouvent eux un partenaire de choix dès le début de leur aventure capitalistique.

D'intrapreneur à business angel

Il faut dire que cette forme "d'optionnalité stratégique" - un néologisme de Stéphane Guinet qui illustre bien le fait que Kamet se plaise à sortir des sentiers battus, y compris de la langue - résulte d'une longue histoire si ce n'est d'amour au moins de business entre Axa et l'entrepreneur. Celui qui a vendu sa société Prima Solutions à Carlyle pour 50 millions d'euros a été le protégé d'Henri de Castries, l'emblématique patron de l'assureur. En 2008, ce dernier le convainc de délaisser l'entrepreneuriat pour rejoindre son groupe et porter Axa Global Direct, une nouvelle division dédiée à la vente en direct aux particuliers de produits d'assurance. "C'était du big data avant que ce ne soit la mode" , s'amuse celui qui était alors intrapreneur. Sous sa houlette, la division devient une verticale-clé du groupe, générant un chiffre d'affaires annuel de trois milliards d'euros.

Mais cet entrepreneur dans l'âme redoute la routine. Pendant son expérience chez Axa, il investit à titre personnel dans une quinzaine de sociétés, dont Wizbii ou Captain Contrat. De quoi lui donner des idées, qu'il concrétise en 2016 avec Kamet Ventures. "Avec ce projet, j'ai cherché à concilier le meilleur des deux mondes, l'agilité de l'entrepreneuriat et la puissance d'un grand groupe avec la data, la marque, le système de distribution et la surface financière" , liste-t-il.

Une démarche balisée

Stéphane Guinet aurait également pu citer le pragmatisme de l'entrepreneuriat. Car bien qu'Axa soit un partenaire financier privilégié, pas question pour Kamet Ventures d'être le laboratoire à idées du groupe. "Nous avons une approche ethnographique, nous essayons d'identifier les points de friction liés à un sujet et de comprendre comment les chaînes de services fonctionnent, évoque l'entrepreneur. Puis nous imaginons comment cela marcherait dans un monde idéal, indépendamment des contraintes juridiques ou administratives."

Et force est de constater que les équipes de Kamet, et les entrepreneurs en résidence, ont des idées. Beaucoup d'idées. Une vingtaine par an, environ, mais toutes ne voient pas le jour. "Nous avons une approche très scientifique : nous tuons énormément d'idées pour arriver à en présenter quatre ou cinq par an à une série A sur le marché." Pour cela, les équipes font le point toutes les six semaines et gare aux projets qui n'ont pas atteint les objectifs. La structure se refuse à faire "de l'acharnement thérapeutique" . "C'est la règle du jeu : si l'idée ne passe pas les fourches caudines du marché, ce n'est pas grave. Il vaut mieux tuer tôt un projet que de perdre beaucoup de temps et d'argent."

Industrialiser la réussite

Au contraire, lorsque le projet rencontre une certaine traction, Kamet Ventures organise sa prise d'indépendance, sous six à neuf mois. À commencer par son lancement sur l'un des marchés-cibles de la structure, la France, le Royaume-Uni et Israël. Avec, là encore, un pragmatisme efficient. "Nous réfléchissons au marché qui est le plus favorable, au vu de son environnement d'usage, réglementaire et concurrentiel, à accueillir le produit" , explique Stéphane Guinet. Comme les solutions créées ont de toute façon vocation "à être dans de nombreux marchés" , il s'agit simplement de lui simplifier la tâche au départ. En France, trois projets ont ainsi été lancés par Kamet : Qare et Padoa, qui ont tous les deux bénéficié du soutien d'Axa, ainsi qu'Akur8.

Cette manière de procéder permet "un très bon taux de retour sur l'utilisation du capital" , note le fondateur de Kamet. De quoi permettre à la structure d'élargir son spectre de mécènes, à la manière d'un club stratégique ? "C'est en discussion" , élude l'entrepreneur. Qui souligne néanmoins que sa priorité est de préserver l'indépendance de Kamet Ventures pour "attirer de vrais entrepreneurs" , tout en continuant, dit-il dans une nouvelle antithèse, de "prendre les côtés positifs de deux mondes irréconciliables" .