Republication du 2 juillet 2020 d’une tribune initialement publiée sur Medium.
Fermez les yeux. Remémorez-vous cette douce et belle (non) période du lycée. Qui dominait cette période ? Les fans de mangas ? Les mecs avec des motos ? Les gothiques ? Les groupes de jolies filles ? Les disciples de Juliano Verbard, surnommé Petit Lys d’Amour par ses adeptes (référence beaucoup trop obscure et endémique) ? Un indice chez vous : la réponse est facile.
Les gens beaux. Les gens populaires. La comédie musicale Roméo et Juliette disait vrai: les rois du monde font tout ce qu’ils veulent. Et les rois du monde ont pendant longtemps été le cliché de ces filles et de ces mecs beaux, sportifs, rois et reines du bal de fin d’année, couronnés par les envieux, les gueux, les losers, les nerds, les geeks. Et puis l’informatique est arrivée. Des petits génies ont commencé à bricoler dans leurs garages, sans se douter qu’ils changeraient le monde et l’humanité à tout jamais. Steve Jobs. Bill Gates. Elon Musk. Jeff Bezos. Mark Zuckerberg. Etc.
Who run the world ? Geeks. Les tronches ont eu droit à leur revanche. Leur moment de gloire. C’est à leur tour d’être couronnés au sommet. Les nerds sont devenus des rockstars.
Revenge of the Nerds
Il est bien loin le temps où les développeurs étaient victimes du cliché de gros binoclards boutonneux dégoûtants. Mais pour commencer Jamy, c’est quoi un développeur ? Et bien Fred, c’est très simple ! Un développeur c’est une personne chargée de la conception et/ou de la programmation de logiciels informatiques et d’applications. Jusqu’ici, rien d’exceptionnel.
Mais maintenant, posez-vous et prenez quelques secondes de réflexion. Regardez autour de vous, et pensez à tout ce qui dans nos vies fonctionne grâce à l’informatique. C’est bon ? Vous l’avez ? Et oui, le quotidien de l’humanité se repose en majeure partie sur l’informatique. L’Humain est dépendant des données, des petits zéros et des petits uns. L’Humain est en permanence connecté. La réalité a presque dépassé la fiction. Matrix est devenue une quasi-réalité. Et avant de devenir “The One” quel était le métier de Thomas A. Anderson ? Bingo, développeur.
You better work
Du coup, les développeurs ont du travail. Beaucoup de travail. Partout. Tout le temps. Et à moins d’une catastrophe orchestrée par la bande de Tyler Durden et d’un retour à l’âge pré-informatique, la situation n’est clairement pas sur le point de changer. Le développeur est et restera toujours en demande.
Dans le rapport sur les métiers les plus recherchés en 2019 établi par LinkedIn, 10 sur 15 sont des métiers informatiques. Dans un article pour Challenges de 2016, Stéphane Boukris (co-organisateur du concours du Meilleur Developpeur de France) les appelle les “bâtisseurs d’autoroute” de l’information. “Ce sont les petites mains qui construisent techniquement les programmes et les applications mobiles dont on se sert tous les jours. C’est pourquoi ils sont essentiels à la digitalisation des sociétés. En France, la demande de profils de type ingénieurs/développeurs web croît de manière exponentielle alors que l’offre- les jeunes qualifiés qui sortent de formation chaque année- reste stable. Pour se rendre compte de la situation de pénurie, il suffit juste de se créer un faux profil de développeur sur Linkedin, on reçoit 8 à 10 propositions par jour, c’est assez extraordinaire. C’est un métier d’avenir.”
Mais être développeur n’a pas toujours été un métier en vogue. “Le développeur ce n’était pas la star, c’était celui qui stagnait, qui n’avait pas pas réussi à atteindre des postes plus “nobles” comme leader technique” , explique Coralie Nohel directrice du recrutement chez Zenika. “Les entreprises ne faisaient pas leurs développements en France, mais en offshore à l’étranger. Puis au fur et à mesure, des entreprises ont commencé à se rendre compte qu’un développeur n’est pas qu’un simple pisseur de code, qu’une application était plus performante et les codes mieux écrits quand le dev comprend ce qu’il fait et pourquoi il le fait.”
L’émergence en 2008 du software craftsmanship, ou artisanat du logiciel, et de ses bonnes pratiques a totalement changé la donne et redistribué les cartes. Le sofware craftsmanship est un mouvement qui s’est érigé contre la banalisation du métier et l’industrialisation du travail de développeur. Leurs compétences sont uniques. Ils ne sont pas de simples pions à délocaliser. Les développeurs doivent revenir à des valeurs artisanales: autonomie, responsabilité et créativité. Un logiciel ne doit pas simplement fonctionner, il faut qu’il soit bien conçu. Et petit à petit, le développeur a fait son nid et a su s’imposer et trouver ses marques de noblesses.
Un milieu et des métiers qui attirent donc. Surtout que l’informatique aujourd’hui, c’est à la portée de tout le monde. N’importe qui, n’importe où peut prétendre à devenir un expert. Pas besoin de faire une grande école ou des études spécialisées: de la motivation, un ordinateur et une connexion internet suffisent pour se lancer dans la grande aventure du développement.
Dans ses résultats d’un sondage effectué il y a quelques mois réalisé auprès de plus de 20 000 développeurs, le site CodinGame indique que 34,6 % d’entre eux se sont formés tout seuls et que 21,7 % n’ont pas de qualification formelle et professionnalisante.
Sacré Graal !
L’informatique est également devenu le secteur en vogue pour de nombreuses réorientations et reconversions professionnelles. Les personnes inscrites au Pôle Emploi reçoivent régulièrement des propositions de formation dans le secteur avec la promesse de trouver le Graal du chômeur : un CDI à la sortie. De nombreuses formations du genre ont ainsi vu le jour ces dernières années. Zenika (une entreprise de services du numérique) a créé la Zenika Academy il y a deux ans. Un programme qui permet à des personnes de tout horizon de devenir développeur au bout de quelques mois, avec une embauche en fin de cursus si le parcours a été validé par les formateurs.
“On peut être en échec scolaire et pourtant correspondre à ce qui est un génie en informatique. On peut ne pas avoir le bac et pourtant devenir le développeur le plus brillant de sa génération.” – Xavier Niel, fondateur de l’école 42. Une école unique en son genre, gratuite et ouverte à tout le monde. La sélection ne se fait pas sur le diplôme ni un entretien mais à l’issue d’un concours d’un mois la tête plongée dans le code (la piscine). Les seules conditions de réussite: la curiosité, l’envie et la motivation.
C’est un métier ouvert à tout le monde, dans lequel n’importe qui peut briller et exceller. Peu importe le sexe, les origines, le milieu social. Alors, des développeurs, il y en a eu, il y en a, et il y en aura toujours. Et pourtant, malgré ça on entend souvent parler de manque dans le milieu, et on en parle comme d’un métier pénurique. Mais pourquoi parle-t-on de carence ? Pourquoi dit-on qu’il est si difficile de recruter des développeurs ?
La réalité, c’est qu’il n’y a pas vraiment de pénurie à proprement parler. Il faut arrêter et être réaliste et honnête deux minutes : il n’y a pas de véritable gros manque de développeurs sur le marché. Non, derrière les termes de pénurie, ce qu’il faut comprendre c’est une disette de “bons” développeurs. Toutes les entreprises cherchent la perle rare, “le mouton à cinq pattes”, le développeur parfait. Expérimenté, susceptible d’aborder n’importe quel projet peu importe le contexte et les technologies utilisées, il est conférencier, leader technique et capable de former et accompagner ses collègues. Le gendre idéal à la Chris Hemsworth/Chris Evans/Chris Pratt/Chris Pine en somme. Bref, n’importe quel Chris du code.
La pénurie ? Quelle pénurie ?
Selon des études récentes, il manquerait environ 50 000 développeurs informatiques en France. L’offre n’arriverait pas à suivre une demande en constante augmentation, encore plus avec l’avènement de la “startup nation” (elle reviendra nous embêter plus tard celle-là…). Le paradoxe, c’est qu’en France, il y aurait environ 30 000 nouveaux diplômés en informatique de plus sur le marché chaque année. Le terme pénurie n’est pas mensonger mais peut-être un poil extrême dans une situation comme ça. Et pourtant, les entreprises continuent à galérer et à se plaindre de ne pas trouver les bons collaborateurs.
La raison principale ? Le niveau d’expérience, si important pour les clients. Dans une ESN parisienne par exemple, le niveau d’expérience exigé est passé de minimum trois ans à six ans ces six derniers mois. Le problème c’est que ces profils sont pour la très large majorité déjà en poste. Un sportif de haut niveau n’a pas de mal pas à trouver une équipe, ou un sponsor, il joue. Pareil pour le développeur de haut niveau. Cette pénurie elle est le résultat direct des entreprises qui se plaignent de ne pas pouvoir recruter. Leur politique de recrutement est en inadéquation avec l’offre, puisqu’elle exclue indirectement les jeunes diplômés, vus comme inexpérimentés. En mettant l’accent uniquement sur des profils plus senior, elles négligent les profils plus juniors, et potentiellement très bons. Et accentue le sentiment de toute puissance chez les développeurs plus seniors. Le secteur informatique devient un ouroboros, un serpent qui se mange la queue.
Orgueils et préjugés et startup nation
Les développeurs expérimentés et bons deviennent ainsi des objets de convoitise absolue, désirés par tous les recruteurs et entreprises du secteur qui font des pieds et des mains pour les attirer. Enfin, clairement pas tout le monde. Si certains recruteurs font de leurs mieux pour personnaliser leur approche et contacter les développeurs de la façon la plus engageante possible, un grand nombre d’entre eux en sont encore à balancer des messages à la pelle, sans même se soucier de s’intéresser un minimum aux technologies, ou pire encore, la base de la base, de savoir s’ils s’adressent à un homme ou une femme.