18 juillet 2021
18 juillet 2021
Temps de lecture : 8 minutes
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Podcasts natifs : des modèles hybrides en quête d'équilibre financier

Qu'il soit éducatif, informatif, libérateur ou drôle, le podcast a globalement connu une belle croissance depuis un an. Mais derrière cette effervescence, une question demeure : comment se financent les créateurs d'un contenu souvent gratuit ?
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Will Francis

Republication d'un article publié le 7 juin 2021 

Fidèle compagnon de route, la radio a fêté au printemps ses 100 ans en France alors que les supports et les usages de l'audio ne cessent de se démultiplier avec l'arrivée constante de plateformes et applications. Malgré la présence de géants de la tech et de groupes médias, les podcasts natifs, c’est-à-dire les créations indépendantes qui ne se limitent pas à un replay d’émissions, ont trouvé leur public. D’après une étude Havas-CSA menée post-confinement pour le Paris Podcast Festival 2020, 14 % des Français en écouteraient de manière hebdomadaire, une hausse de 9 % par rapport à 2019. Une tendance corroborée par le studio et l'agence de podcasts Bababbam qui assure avoir "doublé ses audiences depuis le début du confinement" — sans donner de chiffres précis — mais aussi par Acast qui affiche 6 millions d’écoutes supplémentaires entre juillet 2020 et mai 2021

Pourtant, le podcast n’a rien de nouveau. Il a émergé, en effet, au début des années 2000. "Au départ, il avait surtout la forme d’un échange entre deux personnes. Il cultivait un peu l’entre-soi. Mais aujourd’hui, les auditeurs et auditrices veulent autre chose, ils cherchent à nourrir leur esprit" , analyse Nadia Leroy, associée et co-dirigeante de Bababam. L'engouement pour les podcasts liés à la culture générale, thématique qui figure en tête des sujets les plus écoutés par les auditeurs - devant ceux à destination des enfants - en est la preuve, selon le dernier baromètre Acast publié en mai 2021. "Le caractère audible, la scénarisation, la musique...toutes ces composantes facilitent aussi la mémorisation. Dans le cadre de l’apprentissage et de l’éducation, le podcast a toute sa place" , poursuit la co-dirigeante. Mais pour proposer des contenus aussi qualitatifs, surprenants et engageants, il ne faut pas hésiter à investir... ce qui nécessite de trouver des fonds. Tous les podcasteurs y parviennent-ils ? Et parviennent-ils à se rémunérer ?

Un modèle complexe à équilibrer

"Il n’y a pas un seul business model mais une diversité" , tempère Joël Ronez, co-fondateur de Binge Audio. Les différents interlocuteurs que nous avons interrogés sont sur la même longueur d'onde. Exemple avec Louis-Guillaume Kan-Lacas, le créateur de Choses à savoir Culture Générale, le podcast le plus écouté en France selon les chiffres de l’ACPM. Une fierté qu’il savoure. "En 2015 je me suis lancé seul avec ce projet et aujourd’hui, je travaille sur 14 autres podcasts thématiques (sciences, histoire, santé, tech). Nous sommes 10 personnes pour faire vivre ce réseau" , témoigne t-il. Et c’est grâce à la publicité que le créateur réussit à générer des revenus puisqu’il est affilié à Acast - plateforme d’hébergement et de monétisation des podcasts. Si ce podcasteur a réussi grâce à la seule publicité, son expérience reste relativement rare car le modèle par nature demeure très fragile et difficile à équilibrer.

Marie Arnoult, créatrice de Sois sage et parle fort, n'en vit pas. "Mon podcast est indépendant et je ne touche des commissions que par les publicités placées en pré-roll via mon hébergeur Acast. C’est la noisette de beurre dans les épinards ! Ponctuellement, je diffuse des contenus sponsorisés en pré-roll, au regard de ce que je souhaite transmettre aux auditeurs et auditrices" , confie t-elle. 

La crise sanitaire devenue économique, les marques ont eu tendance à réduire le budget de leur campagne publicitaire. "La publicité représente une part minime de nos revenus puisque 60% d’entre eux viennent du brand content et de la production pour des marques, ce qui nous a aidés durant la pandémie. Mais nous avons noté une baisse de notre chiffre d’affaires au second trimestre 2020 en raison d’un réduction des demandes de la part des annonceurs durant cette période"  , reconnaît Joël Ronez. Un constat également fait chez Nouvelles Écoutes.

Pour limiter les risques, les plateformes comme Louie Media, Nouvelles Écoutes, Binge Audio et Bababam ont choisi de développer un modèle hybride autour de deux, trois ou quatre de ces axes :

  • Les podcasts réalisés en marque blanche pour des tiers comme des grandes entreprises, des structures publiques ou internationales et même des géants comme Spotify ou Deezer;
  • Le sponsoring et la publicité. On retrouve différentes offres allant du host-read, dans lequel l’animateur présente un produit ou une marque, à des spots publicitaires intégrés dans le podcast. 
  • Les produits et événements dérivés. C'est un marché encore naissant qui se concentre principalement sur la publication de livres reprenant les podcasts ou poussant plus loin l’expérience de ceux-ci. On notera ainsi la sortie de La Poudre, Émotions ou encore les Couilles sur la table. Mais à l’avenir on pourrait voir émerger des séries. Binge Audio a également lancé son propre festival en 2019 qui reprendra du service après la pandémie. 
  • Le modèle payant avec des offres exclusives comme Louie Media et son Atelier d’écriture, les masterclass de Nouvelles Écoutes réalisée par le podcast Quoi de Meuf ou encore la newsletter de Binge Audio. Ce modèle payant “va prendre de plus en plus d’importance dans les années qui viennent notamment grâce à Apple [qui a lancé une offre payante en avril 2021, ndlr] et Spotify. Cela correspond également à une demande du public, très engagé, qui apprécie le contenu et est prêt à le payer” , assure Joël Ronez. 

En s'intéressant d'un peu plus près aux modèles économiques de ces quatre plateformes — Louie Media, Nouvelles Écoutes, Binge Audio et Bababam — on s'aperçoit également que certaines d’entre elles multiplient les rôles comme hébergeur, régie de publicité ou accompagnateur dans la diffusion des podcasts, dépassant le simple rôle de créateur et d’éditeur. Interrogé sur la rentabilité de Binge Audio, Joël Ronez ne donne pas de détails, se contentant de répondre que "notre but est pour l’instant de grandir et de se développer”.

L’entrepreneur consent toute fois à reconnaître la difficulté de l'aventure entrepreneuriale sur ce marché. "Sans un accès au capital et à un investissement conséquent, c’est difficile de se lancer et de réussir ". Car contrairement aux autres medias, “le podcast ne bénéficie d’aucune aide : pas d’aide à la presse, pas d’aide aux producteurs, ni aux auteurs. C’est une difficulté réelle " . À la tête des quatre plateformes interrogées, on retrouve des personnes connues du milieu des médias ou de l’audio, ce qui a sans doute facilité leur arrivée dans le secteur du podcast même si cela ne fait pas tout. Co-fondée par l'ancien PDG de Radio France, Matthieu Gallet, soutenue à hauteur de 10 millions d'euros par IdInvest, Xavier Niel et même Bpifrance, Majelan a pivoté un an après son lancement pour se concentrer sur un contenu audio premium dédié à l’apprentissage. 

Une audience fidèle

Si créer un podcast est un plaisir, passer à l'étape d'être écouté n'est pas une mince affaire. Les standards ont beaucoup évolué. Un véritable travail d’écriture, de recherches, de scénarisation, de sonorisation sans parler du montage et de la promotion sont à réaliser. "Pour créer une fiction, cela peut prendre plusieurs mois" , confie Mélissa Bounoua, co-fondatrice de Louie Media. 

Contrairement aux États-Unis où les statistiques des podcasts sont étroitement analysées depuis déjà plusieurs années, la France a longtemps souffert de l’absence de données sur lesquelles s’appuyer. Ce n’est que depuis 2018 que des entreprises comme Médiamétrie, l’ACPM, Acast et d’autres plateformes publient des infographies, des classements et des statistiques. Ces analyses sont également possibles grâce aux services proposés par les hébergeurs et s'avèrent très utiles pour aider les podcasteurs à démarcher des sponsors ou des annonceurs. Le milieu du podcast n’échappe donc pas au règne de la donnée, la publicité étant une des composantes essentielles des revenus des podcasteurs. Outre-Atlantique, le montant investi par les annonceurs devrait même dépasser le milliard de dollars en 2021. Un chiffre vertigineux qui fait rêver les créateurs français. "Le marché du podcast va prendre beaucoup d’ampleur. Aujourd’hui, il ne touche que 10% de la population mais il va se démocratiser et offrir une grande audience aux marques. Nous avons des données sur les audiences mais aussi sur les taux de rétention. C’est d’ailleurs cette fidélisation plus que les audiences qui est importante et va pousser les marques à s’engager dans des campagnes de plus en plus importantes" , s'avance Joël Ronez. 

L’étude réalisée par Harris Interactive et M6 Publicité en mars 2021 devrait achever de les convaincre. Celle-ci révèle, en effet, que 59% des auditeurs sont attentifs aux publicités host-read - lues par l’animateur du podcast - et 62% estiment que ce type de publicités bénéficie d’une bonne qualité d’intégration ne gênant pas l’écoute. On note également que coupler une publicité à la radio et sur un podcast augmente la mémorisation d’un spot (+18%) et pousse davantage à se rendre en magasin (+3 points). Des résultats qui n’ont rien d’étonnant en réalité. Sans ce concerter, Mélissa Bounoua tout comme Joel Ronez et Nadia Leroy qualifient tous trois le podcast d’un média "intime", qui permet de créer une relation de proximité et de confiance entre les animateurs, animatrices et leur public. 

S’associer à des podcasts engagés peut aussi être le moyen pour une marque de mettre en avant ses actions et ses valeurs tout en s’adressant à un public jeune et plutôt aisé puisque les auditeurs sont majoritairement des CSP+ âgés de 15 à 35 ans selon une étude Médiamétrie de 2019.

Avec le besoin de déconnecter des écrans, d'entendre des personnes qui leur ressemblent et d'explorer des idées différentes, les Français et les Françaises ne risquent pas de décrocher du podcast dans les années qui viennent, sont convaincus ses acteurs. En grandissant, le secteur attirera sans nul doute plus d'annonceurs. Reste à voir alors si l'indépendance d'aujourd'hui existera toujours.