25 octobre 2021
25 octobre 2021
Temps de lecture : 8 minutes
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E-commerce : ce que changent les nouvelles règles de TVA en Europe

Les règles encadrant la TVA appliquée au commerce en ligne ont évolué depuis le 1er juillet 2021 dans l’ensemble des Etats-membres de l’Union européenne. Une actualisation pensée pour répondre aux enjeux en matière de simplification administrative, de lutte contre la fraude fiscale ainsi que de transparence vis-à-vis des consommateurs. Explications.
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John Schnobrich

Mise à jour d'un article publié le 20 mai 2021

S’adapter à l’ère numérique. L’Union européenne a revu sa copie en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour faciliter la vente en ligne entre pays de l’Union européenne et renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Les règles, actualisées pour la première fois en près de 30 ans, sont entrées en vigueur le 1er juillet 2021. Les e-commerçants bénéficient désormais d’une uniformisation des démarches à l’échelle communautaire, qui permet, dans l'absolu, de réduire le fardeau administratif et d’éviter les surcoûts, lorsqu’ils souhaitent se lancer dans une activité au-delà de leurs frontières. Les conditions de concurrence seront plus équitables avec les entreprises qui ne sont pas issues de l’UE, puisque celles-ci devront s’acquitter de la taxe pour chaque vente contrairement à aujourd’hui.

Au printemps 2021, Patrice Pillet, chef de l’unité TVA à la direction générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne, est revenu pour Maddyness sur les changements auxquels peuvent s’attendre les entreprises. Pour tout comprendre au sujet, nous republions cet entretien.

Quelles sont la philosophie et l’ambition à l’origine de cet ajustement ? En quoi ce dernier sera-t-il bénéfique pour l’e-commerce en Europe ?

Patrice Pillet : Les règles européennes actuelles en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ont été mises à jour en 1993 pour la dernière fois, bien avant l’avènement de l’ère numérique. Elles sont déconnectées des besoins des entreprises, consommateurs et administrations en ce qui concerne les achats effectués en ligne dans un autre pays. Pendant ce temps, l’explosion de l’e-commerce a transformé le retail à travers le monde et a accéléré davantage encore depuis la pandémie de Covid-19.

Bien avant cette crise, l’Union européenne avait commencé à travailler à un ajustement des règles qui régissent la TVA pour répondre à cette montée en puissance. En 2015, déjà, elles avaient été mises à jour pour ce qui relève des services en ligne : il est, depuis lors, possible de taxer ces derniers dans le pays de résidence du consommateur. Cette mesure s’est accompagnée d’un mécanisme visant à simplifier la mise en conformité des entreprises avec les obligations en matière de TVA, qui sont dénommées Mini One Stop Shop (MOSS). Ces dernières constituent un portail numérique, qui permet aux fournisseurs de s’enregistrer pour payer la taxe dans un seul Etat-membre tout en la collectant sur l’ensemble de leurs ventes au sein de l’UE. Ce nouveau système a fait ses preuves : il a généré un revenu supplémentaire de 5,6 milliards d’euros pour les Etats-membres, rien qu’en 2019.

Pouvez-vous exposer les différents changements auxquels peuvent s’attendre les e-commerçants à compter du 1er juillet en matière de TVA ?

P. P. : Sur la base du succès de cette expérimentation et pour s’assurer que les entreprises issues de l’Union européenne soient à armes égales avec celles qui ne le sont pas, de nouvelles réformes entreront en vigueur à partir du 1er juillet 2021. Elles rendront les règles plus justes, simples et transparentes pour les entreprises qui opèrent en ligne, tout comme les consommateurs européens. D’abord, la TVA s’appliquera à tous les biens qui sont vendus en ligne dans l’UE, sans considération de prix. À l’heure actuelle, ceux qui sont importés dans l’UE et valent moins de 22 euros en sont exemptés. Mais des études ont démontré que cette exemption est abusivement utilisée par des vendeurs sans scrupule, situés en dehors des frontières communautaires : ils font exprès de mal étiqueter leurs produits, tels que des téléphones portables, pour en bénéficier. Ce trou dans la raquette coûte aux Trésors nationaux la bagatelle de 7 milliards d’euros chaque année. C’est de la fraude généralisée. À partir de cet été, l’exemption disparaîtra pour les biens valant moins de 22 euros. Ce qui signifie que la TVA s’appliquera systématiquement et que les entreprises européennes ne subiront plus ces pratiques désavantageuses.

Ensuite, un vendeur en ligne doit actuellement se signaler dans chacun des État-membres dans lesquels il opère afin de payer la TVA à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires – qui varie selon les pays. Dès le 1er juillet, ces seuils seront remplacés par un seuil commun à toute l’UE : au-delà de 10 000 euros de ventes dans un pays, le vendeur devra s’acquitter de la TVA dans ce dernier. Pour simplifier la tâche de ces entreprises d’e-commerce, un portail numérique baptisé "One Stop Shop" a été mis en place pour leur permettre de gérer l’ensemble de leurs obligations en matière de TVA dans toute l’UE. Plutôt que de batailler avec des procédures complexes dans d’autres pays que le leur, les e-commerçants peuvent ainsi s’enregistrer dans leur propre pays et leur propre langue. Ils peuvent alors notifier et payer la TVA correspondante à leurs ventes réalisées dans l’UE à travers une déclaration trimestrielle. "One Stop Shop" se chargera de rediriger la taxe vers le pays concerné par chacune des ventes.

Enfin, un "One Stop Shop" sera instauré pour les vendeurs issus de pays tiers à l’Union européenne. Cela leur permettra de s’enregistrer facilement pour payer la TVA. Cela garantira également que la taxe trouvera son chemin jusqu’à l'État-membre qui doit la percevoir. Cela implique une transparence accrue envers les consommateurs : quand vous achetez un produit à un vendeur hors UE, la TVA doit faire partie du prix que vous payez. Finis les coups de fil des douanes réclamant un règlement supplémentaire quand votre commande arrive à destination. De grandes entreprises telles qu’Amazon, eBay et Rakuten s’enregistrent d’ores et déjà sur la plateforme. "One Stop Shop" fonctionne très bien depuis 2015 pour les services électroniques et son extension à la vente de biens en ligne offrira bien des avantages aux revendeurs dans l’UE. Des réformes similaires ont été mises en place dans d’autres pays, tels que le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande.

Que changera cette adaptation, si l’on prend le cas d’une entreprise française ?

P. P. : Les entreprises vont vite s’apercevoir que les nouvelles règles faciliteront leurs démarches liées à la TVA lorsqu’elles vendent dans d’autres États-membres… tout en leur permettant de mieux tirer parti du marché unique. Une société qui vend des vêtements en ligne, dont le siège est situé en France et qui réalise un chiffre d’affaires compris entre 35 000 et 100 000 euros – le montant le plus courant – dans un autre pays de l’UE, doit actuellement se déclarer dans ce dernier. Cela rend difficile une expansion en dehors des frontières de son propre pays, puisqu’elle doit composer avec les obligations édictées par chaque Etat-membre dans lequel elle opère… et souvent dans une autre langue que la sienne. Ces obstacles deviennent d’autant plus apparents alors que les entreprises se sont diversifiées et elles ont changé de modèle économique suite à la pandémie.

Exemple : une entreprise française vend des tee-shirts à des clients en Allemagne et en Italie. Elle vend, chaque année, pour 100 000 euros de biens dans le premier pays et 35 000 euros dans le second. Elle doit donc actuellement se faire connaître des administrations de ces deux pays pour payer la TVA sur place. Cette mise en conformité, qui représente un fardeau administratif, entraîne un surcoût. Cet argent pourrait servir à son internationalisation, d’autant plus que la pandémie nous a prouvés que la facilité à faire des affaires sera cruciale dans l’essor de l’e-commerce. Avec ces nouvelles règles, cette entreprise française peut remplir l’ensemble de ses obligations en France sans devoir être identifiée à des fins fiscales en Allemagne ou en Italie.

Au-delà de faciliter le commerce, les nouvelles règles doivent permettre de mieux lutter contre la fraude fiscale. Par quels moyens ? Existe-t-il des objectifs chiffrés ?

P. P. : L’estimation la plus réservée laisse penser qu’un déficit de 7 milliard d’euros existe en matière de TVA pour les Etats-membres. Cela est largement imputable à l’exemption que j’évoquais précédemment pour les produits vendus à moins de 22 euros par des commerçants qui ne sont pas issus de l’Union européenne. Ce genre de perte fiscale est inacceptable, dans une période au cours de laquelle les gouvernements ont besoin de flux de revenus fiables qui permettront aux États de mieux se remettre de la crise.

Les nouvelles règles représentent, pour les entreprises européennes, un grand changement dans la manière de gérer leurs obligations et besoins liés à la TVA. Faire des affaires sera beaucoup plus simple grâce à elles. La lutte contre la fraude fiscale aussi, tout comme l’amélioration de l’expérience consommateurs à travers l’UE. Cette réforme est également un bon exemple d’une coopération réussie entre la Commission européenne, les directions générales de la fiscalité et des douanes de chaque Etat-membre et des actionnaires de différentes entreprises, qui ont été consultés tout au long du processus. L’implication de ces derniers était particulièrement importante, puisque l’ensemble du système repose sur la participation des entreprises.