8 septembre 2021
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Temps de lecture : 9 minutes
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BioTech : 3 raisons qui expliquent la fragilité de la recherche française

Un récent rapport parlementaire met en exergue le sous-financement de la recherche française en biologie-santé par rapport à d'autres pays développés. L'organisation même du système pose question, du fait d'une multitude de structures compétentes. Des éléments qui expliquent, selon les députés et sénateurs, une partie des difficultés rencontrées par les laboratoires hexagonaux pendant la crise du Covid-19.
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Bill Oxford

Republication d'un article paru le 26 août 2021.

Si la pandémie de Covid-19 a eu un mérite, c’est bien de rappeler l’enjeu majeur qui existe en matière de financement de la biologie appliquée à la santé. L’incapacité de la France et de ses entreprises à développer un vaccin efficace dans un laps de temps aussi restreint que l’Américain Moderna ou l’Allemand BioNTech interroge sur le tournant pris par les projets tricolores dans le domaine. Au pays de Pasteur, qui est à l’origine du concept même de vaccin, une aversion claire à la prise de risque cohabite, de nos jours, avec un sous-financement chronique des travaux jugés peu rémunérateurs.

Alors que la lutte planétaire contre le virus du Sars-CoV-2 se poursuit, l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dresse, dans un rapport paru en juillet 2021, l'état des lieux de la recherche tricolore en la matière. Et juge que l’organisation même du système, le cœur du réacteur, est à revoir.

Des financements sous la moyenne de l’OCDE

Dans son état des lieux, l’OPECST relève notamment que "le financement de la recherche en biologie-santé est inférieur à la moyenne des pays développés". Pour l’année 2018, la dépense intérieure en recherche et développement (DIRD) ne représentait que 2,2 % du produit intérieur brut (PIB). Un chiffre à comparer avec les États-Unis (2,84 %), le Japon (3,26 %) ou l’Allemagne (3,04 %)... mais surtout avec la stratégie de Lisbonne, qui fixait l’objectif à 3 %. Au-delà de l’Union européenne, c’est au niveau mondial que la France est à la traîne car elle investit moins dans la R&D que la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – la moyenne est de 2,58 %. La santé pâtit de cette politique : toujours en 2018, seuls 15,2 % de la DIRD était consacrée au domaine en France – deux fois moins que le Royaume-Uni et les États-Unis la même année. "La recherche française en sciences biologiques et en santé paraît sous-financée en comparaison des pays en tête de la recherche mondiale" , a constaté l’OPECST, qui rejoint l’avis de l’association d'entrepreneurs France Biotech, dont le président Franck Mouthon estime qu’il est "évident qu’un fort décrochage a eu lieu en matière de financement de la biologie-santé".

Répartition des projets sélectionnés par grands domaines disciplinaires

Un autre phénomène inquiète députés et sénateurs : l’érosion de la production scientifique depuis 20 ans. Entre 2000 et 2016, le France aurait ainsi perdu trois places au classement des pays qui publient le plus d’études – passant du 5e au 8e rang. Et la crise sanitaire n’a fait que souligner ce ralentissement : selon un rapport paru mi-2021, l’Hexagone n’occupe que la 18e place pour l’innovation contre le Covid-19. Si le budget insuffisant alloué à la recherche explique en partie cette mauvaise performance, le rapport de l‘OPECST estime que la manière dont cette dernière est organisée pose question. "Étant liée à la médecine et à la prise en charge des patients, la recherche en biologie-santé a pour caractéristique une double tutelle des ministères des Solidarités et de la Santé et de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation" , note le document, qui juge aussi que "cette situation entraîne une complexité de l’organisation et pose des problèmes de cohérence d’ensemble, rompant la continuité entre la recherche en amont et la recherche clinique".

Une organisation très compartimentée

Le résultat de cette structure à deux têtes : différentes sources de financement coexistent et, même cumulées, elles ne permettent pas d’atteindre des montants adaptés aux enjeux actuels. Comme le relève l’Académie nationale de médecine, les crédits alloués aux deux grands établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) couvrant les sciences de la vie – l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la branche spécialisée du Centre national de recherche scientifique (CNRS) – stagnent depuis plus de dix ans, tandis que le budget consacré à la biologie-santé par la mission interministérielle "Recherche et enseignement supérieur" (Mires) fond depuis des années.

Aucun rebond n’a été observé en 2020, quand s’amorçait la crise sanitaire du Covid-19. "La priorité absolue est d’améliorer la coordination entre les diverses structures existantes, toutes légitimes à agir" , juge Franck Mouthon, qui voit des signaux en ce sens dans la stratégie Innovation Santé 2030 présentée par Emmanuel Macron fin juin 2021.

Budget consacré par la MIRES à la biologie-santé depuis 2006

L’échec de la France à transformer l’essai s’explique aussi par le fait que les financements accordés suite aux appels à projet de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui reçoit elle-même son budget de la Mires, sont à la fois faibles et de courte durée. L’OPECST rapporte que l’Académie nationale de médecine "déplore un taux de succès de 15 % des projets présentés, avec un financement moyen par projet de 450 000 euros et une durée des financements de trois ans, non adaptée à la biologie-santé qui nécessite une prise de risque" . Notons que le montant de toutes les subventions allouées aux appels à projets a, par ailleurs, subi une réduction de l’ordre de 40 % entre 2009 et 2015 – passant de 650,2 millions à 390,2 millions d’euros.

Une trajectoire alarmante que la Loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030, votée et promulguée fin 2020, prévoit toutefois de corriger à en croire l’office parlementaire. "Ce texte devrait plus s’interfacer avec l’ensemble des acteurs et financeurs pour assurer la continuité entre la recherche biomédicale amont et le développement aval de l’innovation. Il n’est pas limpide pour tous les acteurs du secteur" , note cependant Franck Mouthon, qui appelle les trois ministères concernés - ceux des Solidarités et de la Santé (MSS), de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et de l'Économie, des Finances et de la Relance (MEFR) - à renforcer leur coopération.

La recherche privée peine à se financer

L’ANR n’est pas le seul organisme à doter la recherche en biologie-santé. Les Merri (Missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation) viennent compenser les pertes générées par cette activité. Percevoir une subvention de cette institution, sous tutelle du ministère des Solidarités et de la Santé et abondée à hauteur de 1,8 milliard d’euros, n’est pas donné à tout le monde. "Les surcoûts ne sont pas pris en charge en fonction des dépenses affichées, mais selon des critères de performance supposés refléter les résultats obtenus" , relève l’OPECST, qui interroge la pertinence du mode d’attribution des aides quand "les normes internationales rejettent l’évaluation" à partir de tels indicateurs.

Pas de quoi encourager la prise de risque en France d’après l’Académie nationale de médecine, qui appelle la création d’un Conseil d’orientation de la recherche hospitalière de ses vœux pour simplifier l’octroi de bourses. Si d’autres possibilités de financement existent, à travers le Programme d’investissements d’avenir, l’Union européenne, les collectivités territoriales et les associations, elles restent encore trop modestes. "Elles ne remettent pas en question le constat du sous-financement des sciences biologiques et de la santé" , note l’OPECST.

Ces crédits concernent seulement la recherche académique. Si cette dernière fait souvent l’objet d’une valorisation industrielle, les entreprises mènent aussi leurs propres travaux. Particulièrement en pointe face au Covid-19, comme les succès de l’Allemand BioNTech et de l’Américain Moderna dans la quête de vaccins l’ont prouvé, les BioTech n’auraient pas bénéficié du même traitement… même après le début de la crise sanitaire.

Fondatrice de Xenothera, une startup qui commercialisera un traitement à l’automne 2021, Odile Duvaux déplorait en juillet dans nos colonnes que l’essentiel des fonds soit dirigé vers les laboratoires publics. "Les BioTechs sont le parent pauvre de l’histoire depuis le début de la crise, puisqu’elles ont peu de solutions de financement. L’État, via Bpifrance, vous donne quelques centaines de milliers d’euros si tant est que vous ayez un projet crédible. Cela dure quatre ans, et il n’y a plus rien ensuite" , avance-t-elle, soulignant qu’il "reste alors le financement en equity" . Un mode de financement qui n’est pas arrivé à maturité en France dans le domaine de la biologie-santé, dont les startups lèvent moins qu’Outre-Atlantique.

Provoquer la prise de conscience

Une poignée de VCs spécialisés, tels qu’Advent France Biotechnology, Forepont Capital Partners et Arbevel Life Sciences Crossover, a vu le jour. Mais la marche reste haute, tant les besoins de capitaux sont grands. La startup Valneva, dont le candidat-vaccin pourrait être mis sur le marché fin 2021 au Royaume-Uni, s’est notamment rapprochée du gouvernement britannique pour se financer et a levé des fonds au Nasdaq, faute d’aides d’État en France. Ce manque de moyens empêche des BioTech de recruter des patients... et débouche souvent sur un gaspillage d’argent.

Là aussi, "la superposition de structures publiques et l’absence de coordination entre elles" est pointée du doigt par les membres de l’OPECST, qui note qu’un "nombre impressionnant d’essais cliniques a été engagé" en France – 365, contre 415 aux États-Unis, 164 en Allemagne ou 140 au Royaume-Uni – "sans aboutir, le plus souvent, à des conclusions fiables en raison de biais méthodologiques".

Franck Mouthon est du même avis : "Il ne sert à rien de déverser des quantités d’argent tant que l’on ne structure pas la recherche." Le président de France Biotech se dit aussi favorable à "une priorisation des thèmes de recherche soutenus, en fonction notamment des enjeux sanitaires et socio-économiques pour le pays" , tout en laissant "la légitimité aux acteurs de conduire les programmes et en incitant les logiques collaboratives interdisciplinaires" . L’enjeu est majeur pour l’avenir des biotechnologies françaises, alors que de nombreux chantiers sont conduits dans l’Hexagone.

Biothérapie, bioproduction, data et intelligence artificielle appliquée à la santé... "Il faut un État-stratège, déterminé à simplifier et transformer les processus existants. Pour chaque euro investi par le public, deux ou trois autres doivent l’être par le privé" , avance Franck Mouthon, estimant qu’on "a tous les ingrédients pour changer la donne". Selon lui, "une fenêtre existe pour provoquer la prise de conscience" du fait de la crise liée au Covid-19 : "Plus personne ne pourra dire qu’un problème sanitaire n’a aucun impact économique." Repenser la recherche en biologie-santé s’avérera stratégique pour garantir la souveraineté nationale, à l’heure où nombre de scientifiques se risquent à prédire que le XXIe siècle sera celui des pandémies.